Fleuve au Théâtre du Nouveau Monde ou Le cadeau

Fleuve au TNM Fleuve au TNM
Fleuve est une création de Sylvie Drapeau.

Une proposition très intense tirée de ses 4 récits autobiographiques Le fleuve, Le ciel, L’enfer et La terre (ce dernier est finaliste pour le prix littéraire du gouverneur général). Sylvie Drapeau a signé l’adaptation théâtrale de ses œuvres, mise en scène par Angela Konrad et porte ce Fleuve sur ses épaules en jouant l’héroïne avec une force et une retenue remarquable.

Deux autres comédiennes incarnent aussi très solidement le personnage à d’autres âges (Karelle Tremblay à 20 ans et les petites Alice Bouchard ou Marion Vigneault à 12 ans.) Sylvie Drapeau et ses deux complices jouent d’une même voix et ont été dirigées de main de maître, sans jamais trop en faire, avec une fluidité et un rythme enlevant. L’écriture est magnifique, porteuse d’un univers lumineux peuplé de métaphores sensibles et romanesque qui ne bascule jamais dans l’apitoiement. Sylvie Drapeau est une arracheuse d’ombres, il est vrai.

Sylvie Drapeau

On découvre une comédienne qui retrace les événements tragiques qui ont marqué sa vie, sur quelques décennies, la perte des êtres chers, dans sa famille, le clan, la meute. D’abord son frère aîné emporté par la marée montante (Fleuve), sa mère enlevée trop tôt par la maladie et le chagrin (Le ciel), son petit frère habité par la schizophrénie (L’enfer) puis la sœur bien-aimée (La terre) partie subitement au moment où la comédienne est elle-même fragilisée par un épuisement majeur.

Sylvie Drapeau
Sylvie Drapeau

Ces tragédies familiales avec lesquelles elle s’est drapée, façonnée, débattue vont mener le personnage de Fleuve à déployer sa lumière et ses ailes sur les planches, la scène merveilleuse, et interpréter au fil du temps et dans un investissement total des dizaines de personnages avec brio. Pouvait-il en être autrement ?

Elle évoque dans La terre, le dernier tableau, tout ce qu’il en coûte pour incarner avec tant de ferveur la panoplie d’émotions que demande un rôle. C’est un moment qui touche différemment, car on a accès vraiment à Sylvie Drapeau et on a l’impression d’entrer dans la vérité complète de son engagement théâtral. La générosité est extrême.

Au-delà des drames, il y a dans cette œuvre un regard attendrissant porté sur la famille, le besoin de la quitter de s’en sortir, puis de revenir à cette source inépuisable que sont les liens du sang.

Mise en scène

Les lenteurs de la mise en scène permettent l’abandon à la rêverie sous les bombardements de mots porteurs d’images vives. Les visages des disparus apparaissent parfois sur écrans géants, yeux fermés, yeux ouverts, ne pouvant plus recréer leur destin. Il y a aussi le fleuve, la forêt noire, le ciel qui se projettent à nous. La famille s’incarne aussi sur scène : la mère, le père, les frères et sœurs qui s’amusent ou qui nous observent tels des souvenirs muets et errants venus soutenir la parole des actrices principales. Des rôles essentiels à l’ensemble, il va sans dire.

On aimerait entendre un quatuor à corde. Mais qu’à cela ne tienne La sobriété de la trame sonore (Simon Gauthier) et des éclairages (Sonoyo Nishikawa) ne nous distraient jamais trop.

On ressort de Fleuve avec le sourire, mais aussi les larmes aux yeux. Je reste un peu dans la salle, je respire, et j’ai envie de poursuivre la réflexion, de revoir le personnage. 1 h 40 sans entracte. Un arrêt dans le temps. Un voyage. On s’y repose. Car nous avons bien tous nos tragédies enfouies dans nos cœurs. Et aussi l’espoir que cela devienne un cadeau. Aussi grand que celui que nous recevons en écoutant les récits de Sylvie Drapeau.

Fleuve est à voir au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 7 décembre. Un cadeau.

Le Pois PenchéMains Libres

Paule Tremblay est autrice-compositrice, interprète et pianiste. Elle a produit et co-réalisé 5 albums de chansons qu’elle présente régulièrement en spectacle. Elle détient un baccalauréat en musique, qu’elle enseigne également, et possède diverses formations en arts et littérature.