L'art du portrait d'une femme assise sur un canapé rouge représenté à l'aquarelle.

L’art du portrait de Marina Gavanski Zissis

Le monde du portrait est un des plus fascinants et riches. Le portrait le plus célèbre est, sans conteste, celui de la Joconde de Léonard de Vinci. Les gens ont élaboré les thèses les plus farfelues à son sujet, se demandant quel mystère cache cette femme. D’ailleurs, est-ce une femme ou un travesti, ou même un autoportrait du peintre ? Que cache son sourire ?

Mona Lissa Gherardini, le modèle, était, on le sait aujourd’hui, la femme d’un marchand de soie florentin, appelé Francesco del Giocondo, ami de Léonardo. Ce portrait est, en effet, mystérieux, car Léonard de Vinci a peint un masque, où rien ne transparait de la psychologie du modèle. Au Moyen-âge, comme à la Renaissance, et jusqu’à aujourd’hui, de nombreux peintres ont pratiqué cette forme de portrait qui montre l’enveloppe et non la personnalité du modèle. Les Vierges, par exemple, dont les modèles étaient souvent des femmes de l’aristocratie, sont généralement des portraits qui se limitent à montrer un sourire béat qui ne dit rien. Modigliani, plus près de nous a fait de tous ses portraits, des masques. À l’autre bout du spectre, Picasso, avec les portraits déconstruits de ses femmes exprime une psychologie violente, proche de la folie, où l’enveloppe est éclatée.

Marina Gavanski Zissis occupe aujourd’hui une place particulière dans le monde du portrait, car ses portraits expriment les deux côtés de la médaille : l’enveloppe, et la personnalité profonde de ses modèles. J’ai voulu en savoir plus et je lui ai demandé une entrevue, la voici :


R.H. — 
Marina Gavanski Zissis, je souhaite parcourir tout le fil d’Ariane pour mieux comprendre les mystères de votre art et ma première question est : comment parvenez-vous à pénétrer dans la tête de vos modèles, pour arriver à capturer leur personnalité, avec autant de précision ?  

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — Avez-vous déjà eu l’impression de connaître quelqu’un au moment où vous le rencontrez pour la première fois ? Cela m’arrive très souvent, surtout lorsque je peins un portrait. Cette impression de connaissance se multiplie en travaillant sur un portrait, surtout dans le cas d’un modèle vivant.

R.H. — En dépit de vos modèles est-ce que vos états d’âme et la lumière influencent votre peinture ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — Oui, tout le sens de l’art c’est l’influence des « états d’âme », surtout dans un portrait. Si une personne pose pour moi en direct, alors nous partageons nos « états d’âme » dans un dialogue avec notre entourage, où la lumière et l’ambiance ont une influence majeure. C’est un fait intéressant que lorsque je travaille à partir d’une photographie, je deviens beaucoup plus logique et moins émotive. Je me concentre sur le visage de la photo et j’essaye de découvrir le vrai caractère de cette personne. Mais je conserve le côté intuitif de la peinture.


R.H. — 
Quels sont les avantages et les désavantages de la photo, face à un modèle vivant ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — La photographie donne à l’artiste un peu plus de liberté, car il n’est pas directement responsable envers le modèle. Avant de commencer à peindre, j’aime en apprendre le plus possible sur la personne qui est sur la photo. Je demande à voir si possible quelques autres photos pour pouvoir peindre avec le plus de ressemblance physique et psychologique. Cependant, il est toujours préférable de rencontrer le modèle et d’avoir au moins une séance de pose. Peindre avec un modèle vivant c’est comme peindre la vie elle-même.

R.H. — Peut-être que chaque portrait est finalement un dialogue entre ce que votre modèle exprime pour vous et votre propre personnalité ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — C’est un dialogue unique, mais c’est aussi une évaluation minutieuse des couleurs et des formes propres à chaque sujet. Je donne toujours toute l’importance à la personnalité du modèle. Ma personnalité est là pour comprendre et filtrer les nombreuses qualités du modèle et les exprimer sur la toile ou le papier. Parfois, je suis surprise, et même le sujet est surpris du résultat. Ils peuvent voir leur ressemblance avec d’autres membres de la famille, ou des expressions qu’eux seuls, leurs amis intimes ou leurs proches connaissent.

R.H. — À quel courant artistique identifiez-vous votre art du portrait ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. —  La plupart de mes portraits ressemblent beaucoup à leur sujet, donc dans ce cas je dirais « réalisme », mais comme la personnalité est si importante, je m’arrête généralement avant de terminer tous les détails réalistes. Si les sujets veulent que je réalise un portrait complètement réaliste, je m’y conforme et au cours du processus de nombreux nouveaux aspects de l’individu sont révélés. Je dirais donc que mon style dans les portraits est un « réalisme expressif ». Je dois être consciente de la sensibilité du sujet autant que de son apparence.

R.H. — Comment définissez-vous cet art ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — Je dirais que c’est un mélange de logique, d’intuition et d’émotion ainsi qu’un contrôle délibéré de la technique.

R.H. — Parfois, vous employez le terme de « sensu-expressionniste », qu’est-ce qu’il veut dire exactement.

MARINA GAVANSKI ZISSIS. —  C’est un terme que j’ai trouvé avec une bonne amie à moi qui souhaite garder l’anonymat. Nous réfléchissions sur des termes pour décrire mon art et comme mon amie était l’un de mes modèles, il lui était plus facile de comprendre ce terme. Le terme incorpore « sensuel » comme dans « expressionnisme sensuel » mais ajoute une qualité zen et méditative en le changeant en « sensu », donc « sensu-expressionniste ».

R.H. —  Quels ont été vos maîtres en peinture ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — J’ai vraiment aimé Edward Munch, probablement parce qu’on me comparait à lui quand j’étais étudiante. J’ai également toujours aimé Gustav Klimt et son utilisation de l’or et c’est une des raisons pour lesquelles je l’utilise souvent maintenant, mais pas de la façon art déco comme il le faisait lui. J’ai aussi découvert le célèbre peintre serbe Nadezda Petrovic, lorsque j’étudiais à Belgrade. J’adorais son audace et sa spontanéité.


Nadezda
Petrovic

R.H. — Quelle est l’importance de la couleur dans la conception de vos portraits ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — J’utilise souvent le spectre complet des couleurs dans mes portraits, mais pas toujours, car mon objectif principal est d’exprimer la personnalité de mes modèles par les moyens les plus adéquats.

Les couleurs ajoutent une dimension supplémentaire. Ils signifient l’énergie, l’émotion, l’humeur et les effets de la lumière. L’importance de la couleur dans les portraits est que chaque palette de couleurs est différente, presque comme un code de couleur personnel. C’est là que la peinture d’après nature montre tout son avantage. Je demande souvent au modèle quelle est sa couleur préférée.  

Lorsque j’utilise le spectre complet des couleurs, je commence généralement par une toile blanche en lumière naturelle. Ensuite, j’observe les couleurs naturelles du modèle, c’est-à-dire les tons de sa peau et de ses vêtements, les couleurs de l’environnement qui se reflètent sur eux, ainsi que l’aura personnelle du modèle. Je place les couleurs sur la palette comme je les vois avant de commencer à peindre. J’ai remarqué qu’il n’y a pas deux palettes identiques et parfois je suis surprise des teintes ! Elles sont une pure abstraction lorsqu’elles sont agrandies.

Lorsque je travaille en couleurs à partir d’une photo, que ce soit en noir et blanc ou en couleur, je suis plus modérée et j’utilise ma liberté artistique pour imaginer l’aura.

R.H. — Quelles sont vos techniques préférées ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — Je préfère vraiment les huiles, le fusain et les aquarelles. J’aime utiliser des acryliques, des feuilles d’or et des pigments comme arrière-plans.


R.H. — 
Sans doute l’huile, l’aquarelle, l’acrylique, le pastel, le charbon, le crayon ou la craie, vous permettent d’exprimer différemment votre perception du modèle. Lesquels vous préférez et pourquoi ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — Le fusain et le pastel permettent l’enregistrement le plus rapide de ce que l’on voit. Les couleurs à l’aquarelle permettent la lumière et l’émotion, tandis que les huiles se prêtent à une analyse plus approfondie.

R.H. — Comment choisissez-vous vos pigments et vos supports ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. —  Parfois je commence par une toile ou un papier blanc, j’observe l’aura du modèle et je choisis les couleurs en conséquence. C’est parfait lorsque le sujet pose en personne, car chaque personne a sa propre aura avec ses propres couleurs. Il n’y a pas deux palettes identiques, surtout à l’aquarelle.

D’autres fois, je suis portée par le désir d’expérimenter et d’utiliser des matériaux comme une affirmation. Encore là, deux portraits n’ont jamais le même coloris.

R.H. — Quels sont les personnages les plus difficiles à peindre ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — Les enfants sont les plus difficiles à peindre. Il faut travailler vite et attirer leur attention pour qu’ils restent immobiles. Dans le passé, je les asseyais devant un téléviseur, mais maintenant je prends quelques photos pour m’aider. J’ai également réalisé de beaux croquis d’enfants endormis. Ils sont très sincères parce qu’ils captent l’innocence et la tendresse du sommeil de l’enfant.

R.H. — Quels sont vos formats préférés : le visage, le buste ou le corps entier, debout ou assis ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — Je dirais le visage, avec seulement le début du torse. Tout ce que je peins nécessite une attention particulière. Peindre les mains dans un portrait est intéressant, car les mains ont tellement de caractère, mais c’est presque comme peindre 3 portraits, les mains, le visage et le corps. Chaque partie du corps a l’apparence et le caractère unique de la personne. Je pourrais dire que dans un sens, toutes mes peintures sont des portraits.

R.H. — La sincérité et la loyauté semblent des ingrédients essentiels de votre art du portrait. Est-ce que le respect de ces principes pourrait vous amener à exprimer même les défauts du modèle ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — C’est une question intéressante ! Il arrive que certains « défauts » du modèle se dégagent très fortement. Une fois, une dame m’avait dit que je l’avais peinte trop sévère. Elle s’était plainte que ses employés l’appelaient « la dame de fer » et m’avait demandé si je pouvais adoucir son expression. Je l’ai fait, en allant chercher la partie généreuse de sa personnalité.

Autrefois, les rois, les reines et les riches mécènes voulaient être peints sous un jour flatteur, mais maintenant il y a la photographie. Faire peindre son portrait c’est donc plus original et on pourrait dire « qu’on prend un risque », cela demande une certaine audace. Je suis très consciente des sentiments de mon modèle. Les gens aiment voir leurs réalisations et non leurs défauts. Nous sommes tous un mélange de faiblesse et de force. Montrer les deux aspects fait partie du processus créatif.

R.H. — Votre art est fortement influencé par vos origines serbes. Comment choisissez-vous vos modèles ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — Ayant grandi dans une famille serbe, étant allée à l’université en Serbie et ayant de nombreux amis serbes ; grand nombre de mes modèles, involontairement d’ailleurs, étaient Serbes. Cela est devenu significatif lors des dernières guerres yougoslaves.

Jusqu’alors, je n’avais même jamais pensé à l’origine ethnique de mes modèles ou portraits. Je voulais simplement peindre le vécu que je trouvais soit dans des histoires, dans la vie ou chez les gens qui m’entouraient. Lorsque la guerre a éclaté, une des façons pour moi d’y faire face et de passer à travers, était de peindre le côté « positif » des gens, à commencer par ceux qui m’entouraient. C’est ainsi qu’est né la « Series of golden people », la série « de personnes en or ». Ce terme découle également de mon utilisation de la feuille d’or dans l’arrière-plan de certains portraits.

Nicolas Tesla jeune

Plus tard, j’ai peint des gens qui ont fait une « contribution » importante au monde, et beaucoup de ceux que j’ai choisis étaient d’origine serbe comme Novak Djokovic et Nikola Tesla. À ceux-là, je les ai appelés les Serbes en or. C’était une sorte de reconnaissance envers ces personnes et ce qu’elles ont accompli envers leur nation et le monde en général.

Dans ma collection de « golden people » j’ai aussi peint un groupe de Montréalais en Or. Certains très connus comme Leonard Cohen,  Eugénie Bouchard, ou Valérie Plante, et d’autres moins célèbres.  

J’ai toujours recherché à peindre des gens avec des qualités exceptionnelles, parce que je crois que chaque personne a cette capacité en soi. D’une certaine façon, chaque personne que je peins prend une grande importance pour moi.

R.H. — Travaillez-vous aussi sur commande ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — À un moment donné, j’avais trop de commandes, j’ai donc ralenti pour trouver mon propre style. Je sens que je l’ai trouvé dans une certaine mesure, mais c’est une recherche constante et peindre des portraits en fait partie. Maintenant, je prends à nouveau les commandes et je donne plus de choix aux sujets : soit un portrait standard, ou quelque chose de plus osé. À certaines étapes de leur vie, les gens ont besoin de se voir différemment et de manière non conventionnelle. Les yeux d’un artiste peuvent les aider à y parvenir. J’approche le caractère unique de chaque personne avec beaucoup d’intérêt, de soin et de respect.

R.H. — Vous êtes sans doute consciente qu’une fois terminés, vos portraits ont leur propre vie qui perdurera dans la plupart des cas à celle de leurs modèles, et ils auront également leurs vicissitudes.

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — Il est réconfortant de savoir que mes portraits perdureront à l’époque que nous vivons. Les bonnes peintures ont leur propre vie, comme les poèmes, la musique, les histoires ou les films. C’est vrai qu’ils peuvent aussi connaître des vicissitudes. Il peut arriver qu’ils soient perdus ou cachés et peut-être retrouvés plus tard, mais j’espère qu’ils auront une longue vie et rendront la vie des gens intéressante.

R.H. — Une fois vos portraits terminés, ils entament un dialogue avec chacune des personnes qui les contemplent. La perception du visiteur est immanquablement influencée par sa personnalité, par son vécu, et par son propre état d’âme. Chacun de vos portraits me laisse une impression profonde. Plus la personnalité est forte, plus le dialogue est impactant. Certains portraits me suivent longtemps.

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — La personnalité et l’humeur du visiteur au moment où il regarde le tableau lui produisent des perceptions différentes, agréables ou désagréables.

C’est vrai probablement parce qu’en peignant, j’avais un certain dialogue avec le sujet. Le but de l’art est d’avoir un impact, donc c’est encourageant pour moi quand je réussis à le faire avec ma peinture.

R.H. —  Considérez-vous que votre art a subi une évolution au fil du temps ?

Eugénie Bouchard

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — Tout à fait… personne ne posera pour moi et ne sera peinte par moi en même temps, dans la même humeur, avec la même lumière, dans les mêmes circonstances. Un fait intéressant est que certains des portraits sont revus et retravaillés pour évoluer avec le temps. D’autres restent avec leurs propriétaires et ont leur propre dialogue.

R.H. — Avez-vous des nouvelles de vos modèles ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — Oui, et la conversation la plus intéressante a été avec une personne qui m’a dit qu’elle ressemblait plus à son portrait après quelques années ! Une parente et amie très proche m’appelle régulièrement pour me dire combien elle aime son portrait et la gentillesse qui y est exprimée ! Je l’ai peinte quand elle avait la cinquantaine et m’a confié qu’un de ses petits-enfants lui avait déjà demandé le portrait ! Un portrait c’est quelque chose de précieux qui va rester dans la famille ! C’est une empreinte artistique dans le temps.

R.H. — Nous n’avons pu montrer qu’une toute petite partie de votre production. Comment les collectionneurs d’art peuvent-ils vous contacter ?

MARINA GAVANSKI ZISSIS. — La meilleure façon serait de m’envoyer un courriel à [email protected] ou d’appeler à mon studio 514-288-4375, pour prendre rendez-vous.

J’ai aussi un site web www.marinastudio.comavec une section portraits.

R.H. —  Merci de m’avoir accordé cette entrevue passionnante Marina Gavanski Zissis.

Note : Tous les portraits illustrant cette entrevue sont sous copyright.

Roger Huet

Chroniqueur

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Le Pois PenchéMains Libres

Ce Québécois d’origine sud-américaine, apporte au monde du vin, sa grande curiosité, et son esprit de fête. Ancien avocat, diplômé en sciences politiques et en sociologie, amoureux d’histoire, auteur de nombreux ouvrages, diplomate, éditeur. Dans ses chroniques Roger Huet parle du vin comme un ami, comme un poète, et vous fait vivre l’esprit de fête.