Winston McQuade, un artiste dans la ville

Un tableau de Winston McQuade avec un dessin rouge et noir. Un tableau de Winston McQuade avec un dessin rouge et noir.
Dehors, novembre.

Raison de plus pour pousser la porte du bel atelier-galerie 2112 (2112, rue Amherst) créé et géré par l’artiste Antoine Giasson. On y reprend des couleurs. Ses couleurs à lui, Winston McQuade, artiste audacieux, énergique, transgressif qui depuis le début des années 2000, après une longue et brillante carrière de communicateur à la télévision et à la radio de Radio-Canada, où il officia entre autres comme journaliste et animateur culturel fidèle, donc, à la création d’autrui, a choisi de revenir à ses amours premières et à sa création personnelle : la peinture.

Winston McQuade a choisi de plonger dans les couleurs comme d’autres dans un athanor d’alchimiste. Des couleurs franches, primaires, lumineuses, sans concession aux modes des mélanges et des estompements auxquels ni son tempérament ni sa vision de l’art ne l’invitent à céder. Lui, ses influences s’appellent d’emblée Kandinsky, Miró, Picasso, Hartung mais aussi, plus près de nous, Serge Lemoyne et Gilles Boisvert. D’emblée, il rend hommage à ceux qui l’ont inspiré de la meilleure façon qui soit c’est-à-dire en les dépassant, mieux, en s’en libérant. Le résultat est fascinant. On plonge dans cette exposition comme dans une invitation à s’éblouir de couleur, de mouvement, d’énergie vibrante clairement perceptible sur la toile, mais aussi comme dans une exhortation à voir au-delà de ce qui est sur la toile. « Il y a toujours une toile dans la toile » dit-il d’ailleurs, renvoyant à la mise en abîme.

On se prend dès lors à rester devant une œuvre, longtemps, comme si quelque chose – ce quelque chose en nous ou ce quelque chose dans la toile ? -, devait nous être révélé si d’aventure on restait justement assez longtemps devant pour que de l’oeuvre surgisse un secret. Des œuvres « si simples », faites de fulgurances d’énergies dont le trait de couleur franche garderait la trace, et la magie. Si simples mais si complexes, comme une épure d’essentiel. Si simples, ses toiles, et pas du tout. En vérité, si complexes et si subtiles, pour cet artiste qui admet d’emblée « vouloir utiliser le minimum de moyens pour le maximum d’effet ».

De fait, ses toiles sont habitées, pas figuratives mais pas abstraites non plus, plutôt, disons, métaphoriques, comme si toute cette épure véhiculait quelque chose d’immémorial. Comme si chaque trait, chaque geste d’une parfaite géométrie, charriait avec lui plus que lui-même et depuis beaucoup plus longtemps que le seul ici et maintenant. D’abord parce que les couleurs primaires ne sont pas des couleurs mais bien les plus vieux archétypes universels de l’humanité. Ensuite parce que les traits de McQuade sont plus des vibrations, des ondes, que des traits. Et aussi parce que comme il ne cherche ni à reproduire ni à raconter quelque chose, il accorde à la toile le droit – le devoir -, de posséder sa propre narration, celle que chacun y trouve en la regardant juste pour soi, par-delà même le titre de l’œuvre. « Il y a des mots dans ces toiles, souligne-t-il, tout un vocabulaire, un alphabet», et en effet, chaque œuvre est une lettre secrète personnellement adressée à chacun, et déchiffrable par lui seul. Mais il n’y rêve pas, il n’y pense pas avant de se lancer, le corps d’abord ( l’âme comme à son habitude suivra éventuellement… ) dans une nouvelle œuvre : « Je ne rêve pas mes toiles, non, je ne les connais pas avant qu’elles apparaissent, tout vient avec la mise en mouvement. Pour moi, l’art visuel est un art du mouvement. » Ce mouvement dans ses toiles est flagrant, et il entraîne.

Et puis, et puis, – et je dis ça précisément parce que ça ne fait soi-disant pas sérieux de s’exprimer ainsi -, c’est beau, oui c’est beau. Voici des ondes rouges, jaunes, vertes à l’architecture minutieuse, voici un cercle tel un vortex de l’univers, des rouges et des noirs en transe comme dans un rituel chamanique, un diptyque de clair et d’obscur, voici un agencement bien singulier à l’ordonnancement de l’espace de la toile, et puis voici des espaces réarpentés de lumières colorées ou, inattendu, un espace délibérément boréal, délibérément nordique. Inattendu car rare car, et cela depuis les man holes qui l’ont inspiré dès l’une de ses premières expositions en 2004,  Winston McQuade s’inspire de la ville. Il se revendique urbain comme d’autres sont panthéistes. Son surnom n’est-il pas d’ailleurs Winurbain ?

Ses origines pourtant, ne sont pas urbaines. Ceci explique-t-il cela ? Et pourquoi cette manie fatigante de devoir toujours expliquer…

Écoutons-le plutôt parler de cette urbanité qui n’était pas sa donne de cartes première. Cette urbanité acquise et non innée : « Je suis un campagnard à l’origine, je viens d’une île, l’ïle d’Orléans, d’un village, Sainte Pétronille sur l’île d’Orléans, et quelque part je reste un insulaire qui est arrivé en ville. J’ai migré à Québec au moment du secondaire pour entrer à l’école des Beaux-Arts. Québec c’est une urbanité particulière, ancienne, celle du 17e s. une architecture historique qui a été ma première rencontre avec l’architecture urbaine. Et puis le monde s’est ouvert à moi.j’ai rencontré l’urbanité par choix, c’est mon choix. Jeviens de la terre et j’ai choisi de devenir urbain, voilà mon évolution.

Je suis un artiste de ville. Elle est pour moi une richesse à tout point de vue, mobilier urbain, regarder par terre, en l’air, observer les styles d’architecture, même les boites de téléphone, même les bornes fontaines, les trous d’hommes, le laid, l’inattendu… Du coup quand je vais à la campagne, je m’emmerde un peu. Oui c’est beau la nature bien sûr… mais moi mon confort je le retrouve dans la construction urbaine car la ville constitue mon terreau d’inspiration infini. Les villes nordiques j’entends, car mes racines sont nordiques et cette culture-là foisonne en moi, est inscrite dans mon ADN.  Je me sens plus près de New York, Copenhague, Dortmund, Amsterdam voire Moscou, que de Barcelone ou Madrid… »

Winston McQuade est nourri de références et sa peinture aussi, il faut le dire. Elles sont certainement, inévitablement, naturelles, en prise avec un terroir même s’il est relégué dans l’ombre, mais elles sont surtout culturelles. On pense que les artistes abstraits font des œuvres abstraites parce qu’ils n’ont aucune culture artistique, n’entendent rien à l’histoire de l’art, et sont incapables de dessiner ou pire, oh là , de sculpter. Eh bien, non. Avec Winston McQuade, c’est exactement l’inverse. Élève brillant des Beaux-Arts, ses amours premières demeurent le dessin et la sculpture. Là se trouve sa propédeutique personnelle, et aussi celle de ses toiles : « Le dessin est mon départ en arts visuels, c’est important qu’il y ait un dessin, une gestuelle, un mouvement, une spontanéité incontournable, toujours au départ de mes toiles. Ce que je fais c’est toujours un dessin finalement, même en peinture. L’influence du dessin se retrouve sur mes toiles dans un grand geste, une pulsion qui se transforme, avec des couleurs primaires. J’ai beaucoup de bagage technique aussi, mais il faut se débarrasser de tout l’acquis technique pour tenter de retrouver la spontanéité de l’enfant. »

Idem avec la sculpture : « Je suis un sculpteur toujours, dit Winston McQuade, je vois toujours les objets dans l’espace, dans ma tête je vois l’espace en trois dimensions, toujours, on retrouve ça dans mes dessins également, notamment avec la sensualité que je veux toujours mettre dans la partie supérieure des corps que je dessine. La sculpture est essentielle dans ma peinture donc, et on la retrouve partout, toujours présente. La sculpture comme pratique est plus compliquée au quotidien, il faut le dire, alors je fais plus de peinture finalement, même si la vision en 3D de la sculpture est toujours là dans mes toiles.» Dans l’exposition, sont présentés d’ailleurs plusieurs dessins, des nus subtils et charpentés, histoire de constater le parcours parcouru.  

Toutes ces influences – au rang desquelles il ne faut surtout pas oublier la musique, notamment la grande musique classique et d’opéra, présente dans sa vie depuis la prime enfance et jusqu’à aujourd’hui -, ces influences macérées, concoctées, mâchées, remâchées, digérées, jusqu’à n’appartenir plus qu’à lui, à travers ses toiles vives et pulsives, signent sa trace, sa signature.  L’exposition à la Galerie 2112 est terminée mais Winston McQuade poursuit son cheminement d’artiste. Un artiste dans la ville. Dans une ville réinventée comme autant d’espaces réarchitecturés par la couleur.  Une belle expérience.

Winston McQuade www.winstonm.tk

L’Atelier-Galerie 2112 https://www.ateliergalerie2112.com/

Mains LibresLe Pois Penché

Parisienne devenue Montréalaise en 1999, Aline Apostolska est journaliste culturelle ( Radio-Canada, La Presse… ) et romancière, passionnée par la découverte des autres et de l’ailleurs (Crédit photo: Martin Moreira). http://www.alineapostolska.com