Going in, Lhasa de Sela

Une femme en haut noir sourit à un microphone alors qu'elle se rend à Lhassa de Sela. Une femme en haut noir sourit à un microphone alors qu'elle se rend à Lhassa de Sela.
Going in, Lhasa de Sela.  Par Louis Bonneville
Le 16 janvier 2020, Going In : un film inespéré et contemplatif sur l’art de la chanteuse Lhasa de Sela, surgit discrètement sur des plateformes Web.*
À partir d’un instant précis d’avril 2009, ce fragment éblouissant de vie cristallisée — intemporel et infini — se déploie à l’écran… Tous ceux et celles qui ont été touchés par cette artiste ont sans nul doute ressenti, et viscéralement, le sens unique qui était le sien pour magnifier le 4eart — une démarche d’une pureté et d’un absolu saisissant… Le premier album de Lhasa de Sela fut lancé en 1998 : La Llorona. En amont de cette création jusqu’à sa réalisation finale, le guitariste et réalisateur Yves Desrosiers (le maestro) développa en tandem avec la chanteuse un style magistralement orchestré, en l’imprégnant notamment de formes de néo-klezmer et de ranchera. Le succès, fulgurant, provoqua une onde de choc au Québec et en France. Au final, 700,000 exemplaires de ce disque furent vendus…
Toutefois, cette voix magnétisante ne revint qu’en 2003 avec The Living Road. Désormais, l’espagnol n’était plus la seule langue chantée; l’ajout de l’anglais et du français fusionnait à merveille avec ses sonorités à saveur World music. La tournée de spectacles qui s’ensuivit envoûta les spectateurs. Au lendemain de ce triomphe, Lhasa décida de s’éloigner une fois de plus de l’exigeant milieu musical. Puis, elle rebondit avec un intimiste et ultime troisième album, en anglais… De ce parcours tumultueux — onze années de création — ses trois tableaux sonores, plus grands que nature, surent s’élever d’eux-mêmes, parmi d’autres précieuses œuvres d’art immuables…

Peu de documents audiovisuels ont été réalisés sur Lhasa et sa carrière, provoquant ainsi une certaine forme d’aura mystérieuse autour de la chanteuse. Heureusement, avec cette caméra dans le sillage de cet être sublime, ce film expose un rare moment d’intimité — le privilège, en quelque sorte, d’évoluer avec cette artiste, dans son univers de création, dans sa propre vie.
Un judicieux plan de caméra sur l’extérieur (un traveling à bord d’un train) nous conduit de la campagne jusqu’au cœur de Montréal. Comme si, sur cette voie ferroviaire, on revivait l’arrivée en ville, à l’aube des années quatre-vingt-dix, de cette jeune chanteuse d’origine américano-mexicaine arrivant de San Francisco. C’était le début de sa carrière musicale…
Puis, dans un local de répétition, avancée dans le temps : la chanteuse, accompagnée d’un noyau de musiciens, prépare le spectacle de la tournée de son troisième album, celui-là même qui est sur le point de voir le jour. Parmi ces musiciens exceptionnels (Andrew Barr, Miles Perkin, Joe Grass), la harpiste Sarah Pagé induit une toute nouvelle texture à la direction musicale de Lhasa. Sur ses mélodies en fond sonore, l’artiste livre des parcelles de son intériorité : ses peurs, son contact complexe avec l’industrie musicale et sa difficile émancipation.
Soudainement, l’œil de la caméra nous transporte dans l’espace résidentiel de Lhasa. Avec une candeur attendrissante, elle nous dévoile une de ses facettes créatives — nettement moins connue du grand public : sa peinture, vivement colorée et imprégnée d’une profondeur surprenante. Lhasa est prolifique : autoportraits, portraits familiaux et quelques abstraits…
Montrant des photos de famille, s’exprimant sur la musique, la littérature, et confiant des souvenirs, Lhasa s’ouvre sur son esprit, complexe, sensible, et irrésistiblement ouvert à la vie — la quête est périlleuse… Dans un moment de recueillement artistique — quasi mystique — Lhasa, assise au piano, chante sa bouleversante pièce « I’m Going In ». Sur ce fond musical, un deuxième traveling s’engage, cette fois sur le béton austère de Montréal et s’échappe de ces lieux pour nous ramener vers des sites naturels en périphérie de la cité : analogie du grand départ, vers l’unique voyage nous ramenant au point fixe…
Cette ode cinématographique fut réalisée par Vincent Moon, cinéaste français indépendant à l’approche instinctive, dont les essais cinématographiques avant-gardistes sont chaque fois consacrés au monde de la musique. En collaboration avec la chanteuse, il organisa et filma un spectacle intimiste, dont certains extraits servirent à promouvoir quelques pièces dudit album. En plus d’avoir capté cette performance, Moon suivit Lhasa avec sa caméra pendant quelques jours…
Pendant plus de dix ans, ces bobines ont dormi, jusqu’à ce que Moon se décide enfin à replonger son regard sur ce moment archivé pour se livrer à un savant montage — trame contemplative pour le moins aussi ensorcelante que Lhasa elle-même. Le metteur en scène a su explorer et saisir un moment très concis d’une vie, tout comme il a accompli une véritable plongée dans l’esprit artistique de Lhasa, un être d’exception, lisant Thoreau et en donnant une relecture bouleversante. Le regard de Lhasa, inoubliable, aussi fixe que fulgurant, sur un incandescent voyage existentiel…
Going in :

Mains LibresLe Pois Penché

Intervenant à différents titres dans l’industrie musicale, Louis Bonneville, mélomane, est également un collectionneur de disques vinyle. Cette passion lui permet de découvrir et d’analyser un nombre considérable d’albums.