Un homme, identifié comme étant Jean-Marc Vallée, pointe du doigt la caméra.

Jean-Marc Vallée : un cinéaste mélomane et fin explorateur de la psyché humaine

À  Alex et Émile Vallée[1]
« Ça peut changer une vie d’avoir de la musique dans sa vie[2] ».
C’est presque par hasard que Jean-Marc Vallée (né au début des années soixante) tomba dans le septième art. Il avait entamé à Montréal, au Cégep Ahuntsic, un cursus en « management des affaires » durant deux années. Mais sa participation à un cours complémentaire, intitulé « cinéma et société », dispensé par Yves Lever (le biographe de Claude Jutra) changea son destin puisqu’elle le convainquit de bifurquer vers des études de cinéma qu’il poursuivit à l’Université de Québec et qu’il acheva en 1985. Il gagna ensuite sa vie en faisant des publicités et des piges diverses[3]. Sa carrière derrière la caméra débuta en 1992 avec  son premier court métrage, « Stéréotypes » et s’étala sur près de trente ans. Le réalisateur est à l’origine d’une filmographie foisonnante, des œuvres où indique-t-il, il essaie de raconter avant de dire, essentiellement des histoires qui l’émeuvent, et qui entre autres, explorent les relations familiales (avec souvent l’éclatement du foyer) et les sentiments humains. Son cinéma traite de la différence, des discriminations (enfant trisomique, adolescent se découvrant homosexuel, transsexuel séropositif), scrute en profondeur le mental des ceux et celles qui traversent ses récits.

Le Québécois fait la part belle aux personnages en mal-être, torturés, porteurs de traumas (en deuil d’une épouse[4], d’une mère[5] ou d’un amour perdu[6]) qu’ils tentent de dépasser afin de reprendre les rênes de leurs vies. Abîmés, en lutte contre leurs démons, en pleine crise existentielle, ils évoluent parfois dans la marginalité et sont souvent sous l’emprise de paradis artificiels (Ron, le principal protagoniste de « Dallas Buyers Club » est cocaïnomane ; l’un des cinq fils de la famille Beaulieu, Raymond, se réfugie dans la drogue où il sombre tragiquement dans « C.R.A.Z.Y » ; « Wild » retrace le cheminement physique et mental d’une ex-junkie ; la journaliste Camille Preaker, dans la minisérie « Sharp Objects », est profondément dépressive et alcoolique). Ce sont des combattants, jamais héroïsés, qui s’inscrivent dans un mode de survie (Ron, le cow-boy séropositif dans « Dallas Buyers Club» ; Jacqueline, la mère d’un enfant porteur d’un handicap dans « Café de Flore » ; Davis, le veuf hagard dans « Démolition » ; Cheryl dans « Wild » qui cherche à faire la paix avec elle-même …). Ces âmes en peine, qui la plupart du temps refusent routine et conformisme, se cherchent et sont en quête de sens. Ils ne sont jamais parfaits, mais perclus de failles et le spectateur peut les suivre dans leur errance et leurs errements. Leurs corps portent les stigmates de leurs souffrances physiques et psychologiques : les ravages du VIH dans « Dallas Buyers Club », la vive plaie au gros orteil qui arrache des cris de douleurs à Cheryl, une randonneuse néophyte, en ouverture de « Wild » ; les hématomes sur les bras et les jambes de Céleste, infligés par son époux, dans la minisérie « Big little lies » ; les multiples automutilations sur l’épiderme de Camille dans « Sharp Objects». Toutes ces figures masculines et féminines, souvent rebelles, ont des caractères bien trempés avec une sensibilité à fleur de peau ; « J’ai un faible pour les outsiders » explique le metteur en scène. La filmographie de Jean-Marc Vallée est dénuée de pathos, de sentimentalisme, de scènes larmoyantes même lorsque les protagonistes vivent des situations bouleversantes et tragiques. Le réalisateur colorie la vie avec des couleurs d’amour et d’espoir. Par ailleurs, la trame narrative de ses opus est truffée de dérision, de saillies humoristiques, contribuant ainsi à dédramatiser un contexte ne prêtant pas nécessairement à s’esclaffer. Par exemple, dans « Démolition », Davis, qui vient de perdre sa jeune épouse, parvient à susciter le rire par des répliques souvent grinçantes ou encore lorsqu’il propose 240 $ à des ouvriers sur un chantier afin de les aider dans leurs travaux de destruction d’une bâtisse. Dans « Dallas Buyers club », Ron qui combat une maladie incurable, adopte un comportement désinvolte et goguenard, faisant preuve d’une ironie mordante qui prête à sourire ; un humour noir se glisse également dans « Sharp Objects », une minisérie télévisée singulièrement lugubre et poisseuse.

Si Jean-Marc Vallée est, selon ses mots, issu de la classe moyenne pauvre de Rosemont, un arrondissement de Montréal (où il a grandi avec ses deux frères, Stéphane et Gérard ainsi que sa sœur Marie-Josée), la musique a toujours occupé une place primordiale dans son environnement familial. Son père était discothécaire à la radio, sa mère, femme au foyer, chantait beaucoup, elle avait une passion pour les grandes dames du jazz[7] ; « il y avait bien plus de disques que de livres à la maison[8] » souligne Vallée. L’album des Sex Pistols, « Never Mind the Ballocks » (qui fut à l’origine du mouvement punk en Grande-Bretagne)[9] changea sa vie. Le rock britannique le faisait rêver (comme Zachary dans « C.R.A.Z.Y ») ; ce fut sa religion[10], une fenêtre à travers laquelle il s’envolait vers un autre horizon. Vallée affirme que le cinéma n’arrive d’ailleurs pas à créer les sentiments qu’il ressent. Lorsqu’il assiste à un concert, « communier avec une foule composée de milliers de personnes qui est là pour écouter des sons » lui « procure un sentiment magique[11] ». « La musique me parle tellement, c’est un tel déclencheur d’émotions », déclare-t-il. Elle l’a aidé à nourrir ses films, il en écoute tout le temps, en travaillant, en joggant[12]. « De la musique avant toute chose » (un vers de Paul Verlaine[13]) pourrait être la devise du réalisateur qui joue également de la clarinette à ses heures[14]. La trame sonore de ses œuvres est un personnage à part entière tant elle est porteuse de sens (une démarche que l’on retrouve d’ailleurs chez son collègue et compatriote, Xavier Dolan). C’est avec une rare virtuosité qu’il assortit les images aux mélodies (des pièces musicales qui renvoient souvent au passé et enclenchent un flash-back) ; « Je suis un DJ frustré et je m’amuse avec la musique [15]» avance le réalisateur. Tous ses longs métrages ont été remarqués par l’éclectisme de la bande sonore particulièrement bien étudiée où les sons ne sont pas qu’un accompagnement de la narration et coupent parfois les images. Les mélodies, le plus souvent intradiégétiques (c’est-à-dire non destinées aux oreilles des spectateurs), sont une part intrinsèque de la vie des protagonistes de la narration qui pensent et agissent en les écoutant. Le cinéaste concocte ainsi longuement sa playlist ; il dit avoir du mal à faire confiance à des compositeurs[16]. Dans « C.R.A.Z.Y », Gervais Beaulieu, le père de famille, est un inconditionnel d’Aznavour (il entonne : « Emmenez-moi  » à chaque fête de Noël et en diverses occasions) et se délecte de la musique country de la chanteuse Patsy Cline (Crazy[17] est son disque fétiche au point que chaque lettre du titre musical correspond à l’initiale des prénoms donnés à ses cinq garçons) ; deux de ses fils, Zachary[18] et Raymond, sont des fans invétérés de David Bowie, mais pour des raisons différentes. En 2011, « Café de flore », le film assurément le plus intimiste du metteur en scène s’avère, un hymne à l’amour (on y relève beaucoup d’étreintes) et à la musique ; c’est incontestablement l’œuvre la plus musicale (60 minutes, 24 dans « Dallas Buyers Club »[19]). « On y retrouve la musique qui me ressemble, celle qui me fait du bien profondément[20]» se plaît à préciser le cinéaste. C’est un tourbillon sonore particulièrement dense entre le Paris des années soixante et le Montréal contemporain (les années 2010) avec Antoine, un disc-joker, obnubilé et enivré par « Doctor Rockit – Café de Flore » de Matthew Herbert, un titre qu’il n’a de cesse d’écouter comme une rengaine (lequel fait resurgir tant de souvenirs épars) et qui ravit également Laurent (un enfant trisomique) à Paris, quarante ans plus tôt. Souvent les mélodies s’avèrent de véritables thérapies pour les personnages tels, les morceaux du groupe de rock anglais, Led Zeppelin (« Thank You » ; « What Is and What Should Never Be » ; « In the Evening[21] ») qui adoucissent les tourments de la journaliste Camille Preaker revenue pour enquêter dans sa ville natale et hantée par un passé singulièrement trouble dans « Sharp Objects ». Dans « Big little lies », la jeune Chloe fait écouter, entre autres, « River » de Leon Bridges pour apaiser sa mère Madeline. Dans « Démolition », Chris, un adolescent passionné de vieux rock, transmet son goût de la musique à Davis, un trentenaire veuf depuis peu (lui permettant de lâcher prise) qui écoute en boucle « Crazy on You » de Heart (une chanson rock au rythme effréné). On se souvient également  dans « WILD » des notes récurrentes d’El Codor Pasa de Simon et Garfunkel (une mélodie mystique) que fredonnent Cheryl et sa mère Bobbi.

Vallée s’échine à se procurer les droits des chansons dont il souhaite irriguer ses films. Pour « C.R.A.Z.Y », il n’a pas hésité à différer sa propre rémunération de réalisateur et de coproducteur afin de pouvoir intégrer dans le budget de 6,5 millions $ du film, les coûts consécutifs aux morceaux musicaux qu’il avait retenus (soit 600 000 $ [22] dont 112 500 $ pour « Sympathy for the Devil[23] »). Il n’a cependant pas toujours obtenu gain de cause. Pour la trame sonore  de « Victoria : les jeunes années d’une reine » (2009), un film au budget de 35 millions $ dont il ne signa pas le scénario[24] », il dut faire des concessions. Il ne parvint ainsi pas à imposer le rythme musical désiré, en l’occurrence, celui du groupe islandais Sigur Ros qu’il affectionne particulièrement, et qui à son invitation s’était rendu sur le plateau de tournage[25]. Les producteurs optèrent pour une musique plus grand public. Le cinéaste compensa néanmoins en diffusant les chansons de Sigur Ros et des Rolling Stones avant le tournage de certaines scènes  pour inspirer les comédiens ; il demanda également à Emily Blunt (qui incarne la souveraine et dont c’était le premier grand rôle) d’écouter  « Trouble » de Cat Stevens  pour façonner son personnage[26]. Mais la déception fut perceptible, il fit d’ailleurs inscrire au générique du long métrage, qu’il s’agissait d’un film réalisé par lui plutôt qu’un film de lui[27].  Pour « Wild », il tenta d’acquérir les droits musicaux de « Stairway to Heaven » de Led Zeppelin, mais il essuya un refus de Robert Plant (le chanteur du groupe)[28]. Quelques années plus tard, grâce à Susan Jacobs (superviseuse musicale), le réalisateur pu intégrer plusieurs titres de Led Zeppelin dans « Sharp Objects » (il en rêvait dit-il, parce qu’il n’aurait jamais eu 21 ans sans ces gars-là[29]).

La bande-son des films de Vallée a toujours été louée, suscitant un fort enthousiasme, même lorsque la critique a parfois vivement vilipendé, pour ne pas dire « assassiné », « Café de Flore » (une expérience visuelle et sonore hors du commun). Les pistes musicales sélectionnées dans cette œuvre  enchantèrent les plus féroces détracteurs du long métrage[30] avec les notes de : « Faith », « Pictures of you » (de The Cure) ; « Speak to me », « Breathe », « Time », soit trois titres des Pink Floyd, tirés de l’album The Dark Side of the Moon[31], qui traitent de thématiques importantes pour le réalisateur comme la difficulté des relations humaines, le passage du temps, la crainte de la mort, la folie … (on retrouve d’ailleurs deux autres morceaux de ce chef-d’œuvre psychédélique dans « C.R.A.ZY[32] » et on aperçoit la reproduction de la pochette de l’album de The Dark Side of the Moon avec le prisme triangulaire et les traits de couleurs qui s’apparentent à un arc-en-ciel sur le mur de la chambre de Zach, qui est un admirateur du groupe). On relève également l’utilisation marquante de la chanson Svefn-g-englar (qui signifie textuellement le sommeil des anges en islandais et qui est également une expression désignant les somnambules).

Une autre marque du style du cinéaste est l’insertion dans le récit de multiples flashbacks mémoriels (qui peuvent être furtifs) ; ils sont destinés à illustrer un ressenti, les réminiscences d’un évènement heureux, d’un déchirement douloureux ou encore d’un fantasme et ceci lorsque les différents protagonistes s’expriment ou sont dans l’action. Ce procédé est particulièrement omniprésent dans « Café de Flore », « Wild » ainsi que dans les deux miniséries télévisées qu’il réalisa : « Big Little Lies » et « Sharp Objects ». Le metteur en scène dévoile ainsi des bribes fugaces de pensées qui permettent de pénétrer dans le psychisme de ceux qui habitent la narration. Jean-Marc Vallée effectue souvent des allées et venues entre le monde présent et un passé souvent sombre et trouble pour mieux nous faire vagabonder dans les multiples méandres mentaux. Il décortique de fond en comble le monde intérieur des principaux personnages ; il se sert beaucoup de leurs regards pour déterminer les plans, « j’aime donner l’impression que je suis dans leur tête[33] » affirme-t-il.

Avec les interprètes, le cinéaste a à cœur de les faire sortir de leur zone de confort, de les pousser dans leurs retranchements, de les déstabiliser afin de mettre en valeur leur jeu. Dans « Wild », Reese Witherspoon qui, jusqu’ici avait joué des rôles plutôt glamour, accepta de renoncer à tout artifice de maquillage et de ne pas répéter. Le metteur en scène voulait d’ailleurs qu’elle ne dispose pas de miroir lors de sa préparation[34]. « On l’a filmé avec Yves Bélanger (le directeur photo[35]) au naturel et pas toujours à son avantage, précisa encore Vallée. Par ailleurs, l’actrice a réellement arpenté son périple pédestre avec un sac de 70 kilos sur le dos (lorsqu’elle a voulu alléger le poids, cela ne fonctionnait pas) ; elle a également dû affronter les conditions climatiques ardues du tournage (dans l’Oregon et dans le désert de Mojave en Californie) avec un automne froid où elle était le plus souvent en short et un chandail afin de donner l’impression que c’était l’été californien. « Je ne voulais pas jouer à faire beau, je désirais que ça ait l’air vrai » souligne Vallée. Dans « Café de Flore », Vanessa Paradis (l’égérie de Chanel) qui interprète Jacqueline, la mère d’un enfant trisomique, apparaît également sans fard avec une chevelure terne devant la caméra.  Elle est juste naturelle, c’est-à-dire aux antipodes de l’image de séductrice qu’elle projette habituellement dans ses interprétations (pour le rôle, l’actrice qui est également chanteuse a judicieusement transformé sa voix et gommé un peu de sa féminité et douceur) ; elle n’a aucunement craint de s’enlaidir. Dans « Sharp Objects », Amy Adams (qui incarne la reporter Camille Preaker) accepta non seulement de se montrer nue (révélant ses imperfections), mais également de se masturber dans certaines scènes, de prendre du poids en recourant à une alimentation riche en sodium et en s’abstenant de faire de l’exercice. Matthew McConaughey et Jared Leto dans « Dallas Buyers Club » entreprirent une profonde métamorphose (une cure impressionnante d’amaigrissement) pour traduire au mieux le dépérissement du corps de leurs personnages, malades du sida.

Depuis « Café de Flore » en 2011, le cinéaste s’appuie sur une équipe technique réduite avec une caméra portée à l’épaule même lors de plans fixes (un emprunt au cinéma direct). Cette pratique s’est imposé pour les scènes incluant les enfants trisomiques (Marin et Véronique). Il s’avérait alors impossible de suivre les règles de tournage traditionnelles pour obtenir les bonnes performances (avec Marin, explique le réalisateur, il fallait toujours être prêt à improviser car il pouvait aller à gauche ou à droite[36]). Les réflecteurs, micros, projecteurs, tout cet équipement les perturbaient d’où la nécessité de penser et de mettre en œuvre une autre manière de faire[37]. La caméra suit ici le déplacement des acteurs qui n’ont pas à respecter des marques au sol, ils peuvent ainsi se mouvoir dans l’espace à 360 degrés ; un procédé qu’utilisait John Cassavetes. Cette méthode s’est ensuite affinée lors du tournage de « Dallas Buyers Club » et elle est devenue la marque de fabrique du cinéaste qui ne s’attache pas non plus au suivi d’une liste de plans, pas plus qu’il n’établit de story-board (scénarimage). Concernant l’éclairage, il n’utilise jamais de lumière artificielle, mais seulement les lampes qui sont dans les pièces ou dans les décors, y insérant si cela s’avère nécessaire des chandelles supplémentaires ou la lumière naturelle. Le réalisateur qui a une formation d’éclairagiste estime que « dès que l’on commence à tourner sans lumière artificielle, les acteurs se sentent plus libres ; il n’y a pas le stress de se positionner à un endroit précis [38]».

Vallée n’est pas dans la recherche de la bonne couleur ou de la bonne tonalité parce que cela va rappeler tel ou tel tableau et il dit apprécier de sous-exposer ou de surexposer ; ce sont des imperfections qui lui conviennent[39] (« j’essaie d’être imparfait » précise-t-il encore[40]). Pour la réalisation des séries télévisées, il n’a modifié ni ses équipes ni ses habitudes, il tourne constamment même pendant les pauses et les répétitions. Il a juste appris à finir un épisode sur un coup de théâtre[41] et a réussi à obtenir de faire des génériques de trois ou quatre minutes (comme dans les longs métrages[42]).

Jean-Marc Vallée passe parfois de l’autre côté de l’œil de la caméra avec une apparition fugace dans « C.R.A.Z.Y » sous les traits d’un jeune prêtre (qui célèbre les obsèques de Raymond et rend visite à la famille du défunt) et un passage éclair dans « Café de flore » (il est un voisin invité à la soirée où Antoine rencontra et tomba sous le charme de Rose (dans ces deux longs métrages qu’il a écrit, le metteur en scène fit tourner son fils, Émile). Si le cinéaste a effectué jusqu’à présent une grande partie de sa carrière aux États-Unis (où « il ne se sent pas du tout dépaysé même en Arizona ou dans le désert » disait-il, dans une interview en 1998) ; il n’y réside pas. Après les tournages, il revient à Montréal où il tient tout particulièrement à effectuer l’intégralité de la postproduction de ses œuvres entouré de sa « Gang [43]» (dans le studio Real by Fake[44]) ; c’est une condition sine qua non sinon il ne prend pas part au projet. Finalement, cela ne pose guère de difficultés puisque ce choix se révèle moins onéreux que si cette opération était accomplie aux É.-U.. Le cinéaste ne rechigne pas de faire la promotion de chaque nouvel opus parce qu’il considère que « c’est fun lorsque le film a trouvé son public[45] ».

« C.R.A.Z.Y » : Une œuvre devenue culte

Après « Liste noire » en 1997 (un polar qui fit 200 000 entrées au Québec), Vallée, dont le travail fut remarqué et apprécié par les producteurs américains, répondit à des commandes aux États-Unis et réalisa avec un budget étriqué « Los Locos », un western qui mettait en vedette l’acteur mexicano-américain, Mario Van Peebles.  Puis ce fut « Loser Love », un thriller teinté d’érotisme, deux ans plus tard. Jean-Marc Vallée déplorait de ne recevoir que des propositions qui ne lui donnaient pas satisfaction. Réaliser les films des autres lui pesait, générant lassitude et frustration ainsi qu’une désagréable impression de ne plus avancer à l’aube de la quarantaine (il confessa qu’il se sentait comme un « loser[46] »). C’est la raison pour laquelle il s’attela à concocter son propre scénario dont le canevas fut le fruit d’une longue gestation qui s’étala sur plusieurs années entre l’écriture et la recherche des financements. L’histoire de cette saga familiale fut rédigée en puisant dans le récit des souvenirs d’enfance de François Boulay (un ami de Chantal Cadieux,  l’ex-épouse et mère des deux enfants du cinéaste) que ce dernier accepta de coucher sur le papier, soit une centaine de pages. Vallée transforma ce manuscrit y incluant des éléments personnels surtout concernant la relation à la mère ainsi que l’attachement des protagonistes à la musique de sorte que la narration s’avère un mix de leurs deux vies (les relations père-fils ainsi que l’orientation sexuelle de Zachary doivent à Boulay). Parmi les sources d’inspiration du scénario, « American Beauty » (premier long métrage de Sam Mendes[47]) avec la famille Burnham (Lester et Carolyn ainsi que leur fille Jane) où derrière les apparences de bonheur parfait, se glissent des frustrations, des désirs inavoués, des violences refoulées.

Considérant qu’il disposerait au Québec de bien moins de possibilités créatives, Vallée avait à l’origine situé le récit et le tournage à Boston, puis sur les conseils de son ami, l’acteur Michel Côté (qui interprétait le rôle principal, celui d’un juge, dans « Liste noire »), c’est Montréal qui fut judicieusement retenu (cependant, le cinéaste reconnut qu’il fut contraint de  « couper une bonne dose de folie[48] »). Seules quelques scènes illustrant le séjour de Zachary en Israël furent tournées au Maroc (en l’occurrence, à Essaouira[49]). Le film fut coproduit par Vallée qui souhaitait avoir son mot à dire sur toutes les étapes de la production dont les effets visuels, auxquels il tenait particulièrement.

« C.R.A.Z.Y » est une immersion sous forme de comédie amère chez les Beaulieu, une famille ordinaire de la classe moyenne québécoise avec ses cinq enfants, tous de sexe masculin, dont on suit les pérégrinations sur plusieurs décennies de la « Révolution tranquille » (c’est-à-dire, les années 60, caractérisées par des transformations  socio-économiques,  des mutations culturelles dont le recul de l’influence et de la pratique religieuse) jusqu’en 1981. Le projet nécessita un ambitieux travail de casting puisqu’il nécessita le recrutement de différents acteurs pour interpréter les personnages qui évoluent entre l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte.  Dans le clan Beaulieu, on braille, on crie, on se querelle, on se chamaille, on professe des insultes homophobes, jusqu’à en venir aux coups parfois. Mais on s’aime aussi sans parvenir à l’exprimer. Cette chronique familiale haute en couleur, qui regorge d’humour, véhicule une joie de vivre incroyable ainsi que des moments de pur bonheur ; Vallée dit d’ailleurs avoir beaucoup pensé à « La vie est belle » de Frank Capra, ajoutant « ils sont plutôt rares les films qui procurent cette sensation de bonheur intense ». L’engouement autour du film repose sur un judicieux cocktail de poésie, de spiritualité, de fantaisie et de magie. C’est aussi un récit mystique, où abondent les signes et les symboles de religiosité avec la présence des crucifix dans les chambres des garçons, la croix du Christ en pendentif arborée par Zach ; la foi ardente de Laurianne qui a toujours rêvé de se rendre en terre sainte et de marcher sur les pas de Jésus ; les images pieuses ornant les murs du domicile de Madame Chose (la voyante) ; les prières récurrentes de Zach pour conserver l’affection de son père…  Quant aux sons de « Sympathy for the Devil » des Rolling Stones  (lors de la lévitation de Zach pendant la messe de la nativité) ou encore la longue plainte déchirante de « Shine on you crazy diamond » des Pink Flyod, ils revêtent également une dimension mystique.

Jean-Marc Vallée a ressuscité avec brio l’essence de deux décennies grâce à une multitude de détails à travers tant les costumes (pantalons à pattes d’éléphant, lunettes miroir, vestes de cuir, chemises fleuries, jeans serrés ou moulants) que les décors et divers accessoires (disques vinyles, une Harley Davidson, l’omniprésence des cigarettes[50] accompagnées de ronds de fumée …). Ce retour dans le temps sécrète une profonde nostalgie rétro et pop qui est singulièrement jouissive. Les membres de la famille sont attachants, Gervais (Michel Côté) est un père bourru au cœur tendre, il est parfois autoritaire et obtus. Laurianne (Danielle Proulx) son épouse, très pieuse, est aimante et protectrice ; elle parvient toujours à réconforter les uns et les autres (un petit billet glissé à Zach, un soir de Noël, la confection de toast avec un fer à repasser pour Raymond qui en raffole). Elle n’est aucunement effacée et tient tête à son mari en relativisant ses propos qui peuvent être excessifs ; c’est elle qui prend les décisions qui s’imposent vis-à-vis de Raymond (devenu dealer) tandis que Gervais, plutôt pusillanime, est dépourvu de courage à ce moment-là et demeure silencieux. Les cinq garçons ont chacun un trait de personnalité qui les différencient très nettement les uns des autres : Christian, l’intellectuel discret toujours le nez dans un livre ; Raymond, l’esprit rebelle (avec ses longs cheveux noirs, son pantalon en cuir et son look de Jim Morisson) ; Antoine, le sportif qui n’est pas avare en flatulences ; Zachary (dit Zach) le souffre douleurs de la fratrie et le petit dernier Yvan (qui est particulièrement glouton). La narration sur deux décennies ponctuée de multiples ellipses est focalisée sur les deux frères marginaux qui sont source de soucis pour les parents. Raymond (Pierre-Luc Brillant[51]) tout d’abord, qui s’enfonce progressivement et irrémédiablement dans la drogue et  finira par être banni du foyer familial (il succombera par la suite à une overdose) et essentiellement Zachary (Marc-André Grondin). Ce dernier, né le jour de la nativité, glissa des mains de son père et tomba sur le sol, mais échappa, comme par miracle, à la mort (puis une seconde fois, bien plus tard lors d’un accident de scooter). Sa mère est d’ailleurs fermement convaincue que cet enfant qui arbore une mèche blonde possède un don de guérisseur à distance et communique avec l’au-delà. Mais ce qui singularise également Zach, ce sont ses autres différences, son énurésie puis plus tard son asthme (il doit recourir à un inhalateur), son extrême sensibilité, son homosexualité latente qu’il ignore puis refoule. C’est essentiellement à travers ses yeux que l’on appréhende l’évolution de cette famille déjantée (la voix off divulgue également les réflexions caustiques de Zach sur son entourage).

Longtemps Zach fut le préféré du père, lequel rare privilège l’emmenait en voiture manger des frites, « chez Norman, le roi de la patate » ; des instants d’allégresse inoubliable pour le garçon (c’était le temps de la connivence entre le géniteur et son rejeton). Gervais qui écoute et chantonne régulièrement le registre de Charles Aznavour, lors des fêtes familiales, veut faire de ses gosses des gars et non des « fifilles[52] ». S’il remarque et apprécie que Zach soit naturellement doué pour la musique (il a le rythme dans la peau), il commence cependant sérieusement à s’inquiéter du peu de virilité de ce dernier, désemparé de constater sa nette attirance pour les jouets des filles plutôt que pour le jeu de hockey qui lui est offert (un cadeau très prisé par les petits Québécois à l’époque). Lorsqu’il surprend par hasard son fils affublé d’une robe et des bijoux de sa mère, il est atterré et affecté.

L’homosexualité est un tabou très fort dans une famille catholique pratiquante comme les Beaulieu et plus largement dans la société conservatrice québécoise des années 60 et 70. Pour Gervais, que sa progéniture puisse avoir des penchants homosexuels relève de l’inconcevable et il exprime parfois son homophobie en des termes cocasses : « Faut être malade pour se tremper le pinceau dans une paire de fesses ».  D’où cette difficulté pour Zach d’affirmer sa vraie identité. Le père, qui estime que son fils a besoin d’un soutien psychologique, rémunère un thérapeute à cette fin ; mais il ne tient aucun compte du diagnostic qu’il ne comprend d’ailleurs pas, et le tourne en dérision. Il y a cette scène particulièrement émouvante où Gervais -il est alors plongé dans le désarroi après l’overdose de Raymond- confie dans un monologue son ressenti profond à Zach (qui dépité, préfère garder le silence) : « Tu ne peux pas refuser la plus belle chose qui peut t’arriver dans la vie : d’avoir des enfants. Y’a rien de plus beau, de plus fort… Si tu penses qu’y a rien à faire, que tu ne peux pas changer, je ne pourrai pas accepter ça, je ne serai pas capable… ».

L’échappatoire pour Zach, c’est son imaginaire fertile et ses fantasmes. Il s’évade de son quotidien par la musique (et devient DJ dans une discothèque à Montréal), ce fan de Bowie s’identifie à la star « pour permettre à sa nature profonde de respirer »  fait valoir Vallée[53] ; il chante à tue-tête « Space Oddity[54] » (la chanson n’est pas anodine, « sa dimension spatiale est intéressante pour son absence de frontière : c’est une fenêtre sur l’infini qui nous projette au-delà des clivages[55] »). Zach se libère sporadiquement de son mal-être en se travestissant en Ziggy Stardust (un personnage androgyne de Bowie) et apparaît maquillé comme sur la pochette du disque Aladdin Sane[56] avec le visage zébré par un éclair rouge, noir et bleu. Le look de Zach a été minutieusement étudié ; Vallée s’est inspiré d’une part, de l’apparence vestimentaire (jeans et tee-shirt) et de la gestuelle de Bruce Lee (on voit d’ailleurs Zach s’exercer aux arts martiaux) et, d’autre part, de celle de Sid Vicious, le bassiste des Sex Pistols (Zach revêt ainsi parfois une veste en cuir noir ouverte sans chemise qui expose sa poitrine). Dans le scénario original de François Boulay, Zach écoutait du René Simard[57] ; Jean-Marc Vallée y a judicieusement substitué David Bowie permettant ainsi au plus grand nombre de se reconnaître dans cet artiste[58].

Zach n’a de cesse de s’interroger, il est perclus de doutes sur ses attirances, une thématique que l’on retrouve dans « Démolition », le dernier long métrage du cinéaste, où Chris, le fils de Karen, un adolescent de 14 ans (qui porte parfois du vernis noir et un foulard léopard) se questionne également avec précocité sur son orientation sexuelle parce qu’il ne sait pas vraiment s’il aime les filles et se demande s’il est normal d’imaginer le sexe d’un camarade dans sa bouche ? » ; dans un plan furtif, où il apparaît avec une grande boucle d’oreille, il est violenté en raison de sa différence et sa mère aura ces mots à l’hôpital : « Je veux que tu sois libre d’atteindre qui tu es ». Zach, s’il n’est quant à lui jamais brimé physiquement pour ses penchants, mène un combat douloureux contre son inclination et sa destinée pour ne pas être rejeté par sa famille. Afin de regagner les faveurs et l’affection de son père, il se renie, refoule ses désirs et ses pulsions profondes ; il veut être comme les autres, repousse l’idée qu’il serait un « mangeur de graines » (expression québécoise qui désigne une fellation) et soutient qu’il n’est pas  « fif » (insulte vulgaire désignant un homme homosexuel ou efféminé) terme dont ses frères ne se privent pas de l’affubler, surtout Raymond qui ne cesse de le dévaloriser et de le provoquer. Ainsi lors du vingtième anniversaire de Zach, après une énième altercation entre les deux frères ennemis, Raymond, furieux, renverse la table du repas de Noël sur un air d’opéra, « L’Elisir d’Amore » (élixir d’amour) de Gaetano Donizetti, semant la consternation des convives. Cette scène tournée au ralenti (qui fit l’objet d’une seule prise[59])  mêle judicieusement le burlesque et le tragique.

Ne pouvant supporter le rejet paternel qui le rend malheureux (d’autant qu’il lui arrive de commettre quelques bévues, comme briser par inadvertance le disque de collection que son père idolâtre et qui symbolise la cohésion familiale), Zach cherche à contenter Gervais en lavant et en faisant briller sa voiture (parfois en patins à roulettes). Mais surtout il se ment à lui-même et tente alors de se persuader qu’il aime les filles. Il pensait être amoureux de Michèle (Natacha Thompson) à l’allure androgyne, qu’il côtoie depuis l’enfance, mais ses vraies appétences sont ailleurs ; il est plutôt troublé par Paul, le petit ami de sa cousine. Il refuse dans un premier temps les avances d’un garçon au lycée en l’ignorant puis en le frappant, pour ensuite y céder sous les yeux de son géniteur dans la Chrysler familiale. Il est à nouveau surpris avec le « chum » (petit ami) de sa cousine lors du mariage de Christian, provoquant un affrontement verbal sous la pluie et sa rupture avec Gervais puis sa fuite à Jérusalem. On note que les diverses expériences homosexuelles de Zach évoluent hors champ, elles ne transpirent que par suggestion et sont seulement effleurées. Les moments d’érotisme homosexuels sont ceux des shotguns (pratique prisée par Zach qui consiste à fumer un joint en le tournant à l’envers afin que la partie allumée soit dans la bouche -entre les dents- tandis qu’une autre personne inhale au plus près la fumée qui en résulte) dans une voiture qui devient ainsi à plusieurs reprises un espace de transgression. Même le sexe hétérosexuel (Raymond copule à tout va, accompagné par la chanson, « Tout écartillé », de Robert Charlebois) est montré avec beaucoup de parcimonie. Le cheminement des premiers émois à l’acceptation de sa sexualité sans complexe sera un long processus. Lorsque Zach arrive à Jérusalem au son de la mélodie « Emmenez-moi » d’Aznavour ; jamais la chanson n’aura été autant de circonstances. Il a une aventure d’un soir (mais il n’assume pas encore tout à fait sa condition) avec un jeune homme rencontré dans un bar (aucun marocain ne consentit à jouer le rôle d’un gay, il fallut se rabattre sur un touriste allemand dont le visage, occurrence heureuse, rappelait celui du Christ, précisa le metteur en scène[60]). Cette relation père-fils qui est le cœur palpitant du film avait déjà été traitée par le cinéaste dans le cadre de ses premiers courts métrages. Dans « Les fleurs magiques » (1995), un enfant (déjà campé par Marc-André Grondin) est confronté à l’alcoolisme de son père, il prie pour sa guérison et imagine que si ce dernier compte les fleurs de la tapisserie de la chambre conjugale, il sera guéri (le réalisateur adopta le point de vue de l’enfant) ; le deuxième volet, « Les mots magiques » (qui remportera le grand prix du festival de Clermont-Ferrand ainsi qu’un Jutra) relate l’histoire vingt ans plus tard de celui qui est devenu un adulte et qui se rend chez son père dans l’intention de lui remettre une lettre où il livre tout ce qu’il a sur le cœur (afin d’établir un dialogue avec son géniteur), mais, il n’y parvient jamais.

La présence de nombreux effets visuels auxquels était particulièrement attaché Vallée doit au travail de Marc Côté (qui fut également le collaborateur du réalisateur sur les films qui suivirent  (« Café de flore », « Dallas  Buyers Club », « Victoria ») avec l’élévation de Zach lors d’un office religieux devant des centaines de fidèles. Ou encore la scène lors du séjour du jeune homme à Jérusalem où la caméra quitte sa chambre d’hôtel par la fenêtre pour survoler la cité et s’aventurer jusque dans les dunes du désert (où Zach s’égare et échoue sur le sable totalement déshydraté, sauvé par un bédouin joué par Mohammed Madj[61]). Ce sont « des images digitales réalisées avec la technique extension set), mais d’une qualité jamais vues jusqu’ici dans le cinéma québécois[62] » releva Marc-Côté ; ce plan exigea des semaines de travail en postproduction. L’œuvre fut plébiscitée par le public de la Belle Province avec un million d’entrées (dans un pays qui compte 7,5 millions d’habitants), un phénomène de société qui rafla une palanquée de distinctions avec 14 Jutra[63] (dont celui du Meilleur film et de la Meilleure réalisation ; un record jusqu’à présent inégalé pour un film d’un cinéaste québécois) ; 11 prix Génies[64] et reçut la Bobine d’or[65] qui est décernée au long métrage ayant accaparé la première place au box-office canadien (en France, il réunit 500 000 spectateurs).  C.R.A.ZY fut distribué dans cinquante pays et propulsa son réalisateur sur la scène internationale et en 2015, il fut inscrit dans la liste des dix meilleurs longs métrages canadiens de tous les temps[66]. Marc-André Grondin qui estime que « Tout le monde a une part de soi qu’il peut rattacher à Zach [67] » fit valoir pertinemment en octobre 2021 que « le film vieillit bien et demeure percutant et actuel[68] ».

« Café de Flore » : Quand l’amour exclusif vole en éclat

Cette coproduction franco-québécoise, dotée d’un budget de dix millions $, nécessita 45 jours de tournage sur deux continents et fut filmée en pellicule 35 mm à Montréal et en support numérique à Paris où l’on découvre la capitale en couleur sépia (certains plans sont issus d’images d’archives non utilisées du documentaire sur « Paul-Émile Borduas » de Jacques Gobout[69]). Domine un Paris gris, automnal et austère où l’emblématique Café de Flore, l’antre des Dadaïstes et des Existentialistes au cœur de Saint-Germain-des-Prés, n’apparaît pas à l’écran ; on entraperçoit seulement les chaises empilées sur la terrasse de l’établissement (qui est situé sur le parcours qu’emprunte chaque matin Jacqueline lorsqu’elle accompagne son fils à l’école). C’est un saisissant contraste avec la luminosité et le soleil généreux qui règnent à Montréal 40 ans plus tard. Cette œuvre éminemment personnelle de l’auteur exigea peu ou prou quatre années d’écriture[70]. Jean-Marc Vallée fut non seulement scénariste et réalisateur, mais également monteur et coproducteur.

Le film n’est pas si simple à raconter. C’est un récit d’amour non conventionnel, non linéaire et déstructuré ; un patchwork d’images, de sons, d’histoires avec deux temporalités. On note d’incessants allers et retours qui peuvent être furtifs entre les deux espaces temps ainsi que des flash-backs parfois également très courts sur la jeunesse des principaux protagonistes, sur leurs rêves obsessionnels et divers fantasmes. Ce film dont l’auteur voulait qu’il flirte avec le surnaturel[71] et le fantastique tangue ainsi entre onirisme et réalisme. Les effets visuels avec les ralentis, les flous, les gros plans sur les visages (qui abondent) conjugués aux périodes de silence[72], aux plans fixes, aux séquences récurrentes (tel le sillage d’un avion qui fend l’azur et qui sert d’ailleurs d’habile transition entre les époques) confèrent irrémédiablement une poésie à l’œuvre. Le scénario qui a été publié intégralement aux Editions Alto en 2011 n’est pas exactement celui du montage final du film (il recèle de nombreux détails qui ne figurent pas dans le long métrage). Lorsque l’amour devient trop intense, il engendre une addiction, il peut également être une source de déraison. Le réalisateur pose ici une réflexion de fond sur l’amour, sur sa force, ses excès, ses outrances et ses dangers.

Deux trames sont narrées en parallèle. Tout d’abord, Montréal en 2010 où Antoine (Kevin Parent[73]) un disc-jockey à la réputation internationale mène une existence plaisante (rythmée par les beats de ses tables de mixages) et aisée (il dispose d’une superbe maison avec piscine). Sa vie est trépidante, il a toujours un avion à prendre pour animer des soirées dans des discothèques branchées aux quatre coins du monde. Cet homme, qui est père de deux superbes filles, vient à l’aube de la quarantaine de se séparer de Carole (Hélène Florent), son amour depuis l’adolescence. Entre les deux tourtereaux ce fut pourtant un amour fou, Antoine avait été subjugué par Carole, son âme sœur : « c’est rare les filles qui aiment la musique autant que les gars, qui connaissent les titres, le nom des groupes, qui kiffent les pochettes ». Très complices, ils avaient souhaité « s’aimer jusqu’à la fin des temps » (une connotation éminemment féérique) dit la voix off. Mais c’était sans compter sans la rencontre coups de foudre entre Antoine et Rose lors d’une soirée ; la naissance de cette idylle a tout submergé et  emporté une union de vingt ans avec Carole. Deux ans ont passé, pour l’ex-femme d’Antoine c’est un naufrage, elle est totalement dévastée par cet abandon, « J’ai aimé une fois dans ma vie, un seul homme, je n’ai jamais embrassé un autre homme ! » dit-elle à une amie ;  Antoine était son idéal et elle espère encore qu’il reviendra vers elle. Devenue insomniaque et somnambule, elle est hantée par de violents cauchemars avec la vision d’un enfant qu’elle ne parvient pas à identifier. Une partie de la narration revêt un caractère autobiographique au niveau des sentiments. Le réalisateur confesse ainsi avoir aimé deux femmes[74], il a vécu une séparation douloureuse avec Chantal Cadieux (qui est scénariste), la mère de ses deux fils, mais précisa que ce qui se déroule dans le film n’a rien à voir avec ce pan de sa vie[75]. On est aux antipodes d’une comédie romantique légère, Antoine a toujours de la peine et culpabilise également lorsqu’il pense à la mère de ses deux filles. Il est déchiré entre ses deux amours et suit une psychothérapie ; son esprit est souvent plongé dans les réminiscences des moments partagés avec Carole lorsqu’ils étaient adolescents. Désormais, sa passion pour Rose (Évelyne Brochu) est intense et il entend convoler en justes noces avec la jeune femme qui dégage beaucoup de sensualité, ce qui l’expose aux vives réprobations non seulement  de sa fille aînée, mais également de son propre père, qui lors de la traditionnelle bénédiction familiale du 1er janvier, ne peut se résoudre à la rupture de son fils avec Carole. La relation amoureuse que vivent Antoine et Rose est très charnelle. Leurs corps s’enlacent et dévoilent les tatouages sur leur épiderme, un choix du réalisateur qui n’est pas seulement esthétique, mais qui est révélateur de leur passé douloureux (Rose est une ancienne toxicomane et Antoine fut longtemps addictif à l’alcool). Quant à Carole, elle est très perturbée et s’engonce dans la dépression. Afin de s’extirper de la tristesse lancinante qui la mine et de recouvrer une paix intérieure, elle essaie toutes sortes de palliatifs : alcool, drogue, massage, bain, acupuncture… Mais pour comprendre, trouver un sens à ses rêves inquiétants et pour survivre, elle se tourne vers l’ésotérisme (au début du film, elle lit un livre sur les textes d’Egard Cayce, un médium et prophète américain du XXᶱ siècle).

À Paris, à la fin des années soixante, Jacqueline[76] (Vanessa Paradis[77]) qui vit dans un appartement situé au dernier étage d’un immeuble vétuste de Montmartre[78], élève seule Laurent (Marin Gerrier dont c’était la première apparition devant la caméra) son fils trisomique de sept ans ; le père ayant fui ses responsabilités lors de la naissance de l’enfant qui est né avec un chromosome de trop. Jacqueline travaille dans un salon de coiffure, c’est une mère courage qui a la ferme intention de faire démentir les statistiques qui ne donnent qu’une espérance de vie plutôt brève à son fils, pas au-delà de 25 ans. Elle prie, se démène corps et âme, consacrant tout son temps disponible à stimuler Laurent et le défend toujours bec et ongles.  Elle veut pour lui, la vie la plus normale qui soit et entend qu’il accède à une éducation identique à celle des autres enfants ; il est selon elle inconcevable qu’il soit tenu à fréquenter un établissement spécialisé comme on le lui suggère. Cet enfant différent est toute sa raison d’être, elle a d’ailleurs renoncé à toute vie personnelle pour ce dernier. Jacqueline et son fils forment un couple fusionnel (une bulle où ils sont à l’écart du monde) ; la jeune mère couvre son rejeton de baisers, déployant une affection débordante et parfois étouffante dans des scènes très touchantes. Quant à Laurent, il est heureux et chante « au ciel, au ciel » sur sa balançoire. Jacqueline ne peut aucunement se résoudre à partager d’une quelconque façon son amour viscéral et possessif pour Laurent. Or à l’école ce dernier cultive un lien de plus en plus fort avec Véronique (Alice Dubois), une fillette de sa classe (atteinte du même handicap que lui) qu’il affectionne particulièrement. Les deux amoureux  deviennent très rapidement inséparables ; un état qui contrarie sérieusement Jacqueline. Au début cette amourette l’amusa, elle reçut d’ailleurs Véronique dans son appartement, emmena les deux enfants au salon de coiffure, les promena le long de la Seine, consentit même qu’ils puissent se retrouver dans le foyer de la petite fille (un milieu bourgeois). Mais ébranlée par cet attachement entre les deux bambins, Jacqueline, jalouse, cherche à briser tout lien et tout rapprochement entre eux, arrachant des cris stridents à Laurent qui fugue. Cet amour juvénile est devenu insupportable à ses yeux ; comme si un enfant différent n’avait pas le droit d’aimer et d’être aimé par quelqu’un d’autre que sa génitrice. Ce sentiment de perte d’un amour qu’éprouvent aussi bien Carole (à Montréal) que Jacqueline à Paris, déstabilise profondément ces deux femmes qui ne peuvent s’y résoudre. Chacune usant de stratagèmes pour moins souffrir : accaparer son enfant et le soustraire à l’être aimé pour l’une et s’immerger dans le mysticisme et l’irrationnel pour l’autre. On note dans les deux récits parallèles, la présence d’une intruse qui instaure un triangle amoureux.

Rien ne semble relier au premier abord les deux histoires sauf la musique, soit une chanson fétiche, qui semble le seul indice. Ainsi Laurent réclame souvent son vinyle favori : « Café », c’est-à-dire, Café de Flore dans sa version originale (ce qui est anachronique puisque cette pièce musicale a été composée par Matthew Hebert en 2001). À Montréal, Antoine s’étourdit sur une version électronique d’un remix de l’auteur sous le pseudonyme de Doctor Rockit  (où est utilisé un instrument associé à la France, un accordéon). C’est d’ailleurs la découverte par Vallée en 2004 de cette pièce musicale envoûtante (qui lui rappela ses deux fils et son ex-femme[79]) qui fut l’inspiration de son scénario, il l’écoutait en boucle jusqu’à en lasser son entourage[80]. Mais ces sons ne s’avèrent  pas le seul point commun entre les deux récits. Des éléments intriguent et questionnent lorsque par exemple, à l’aéroport, Antoine croise un groupe de voyageurs trisomiques qui se dirigent dans une direction opposée à la sienne avec le plan suivant qui enchaîne avec Jacqueline et Laurent. Le trait d’union entre les deux contes laisse place à moult interprétations. Après avoir consulté un médium (interprété par Emmanuelle Beaugrand-Champagne[81]) Carole semble désormais convaincue qu’Antoine et Rose sont respectivement la réincarnation de l’âme de Laurent et de Véronique empêchés de s’aimer et qu’elle-même fut Jacqueline dans une vie antérieure. Dans un rêve cauchemardesque ou dans une construction de son imaginaire, elle voit Jacqueline périr avec les deux enfants à bord de sa voiture dans un accident de la circulation. Mais il pourrait aussi s’agir d’un suicide (le cinéaste laisse la place à diverses lectures).  On se demande quelles conclusions Carole va tirer de cette funeste vision. Le dénouement est heureux avec la réconciliation de tous les protagonistes (le revirement du père d’Antoine peut néanmoins surprendre) sur « Le Vent nous portera », un titre de Noir Désir, repris par Sophie Hunger. Il y avait une fin alternative violente qui a été écrite et tournée où Carole, après avoir abattu son ex-époux avec un revolver, retourne l’arme à feu contre elle-même et met fin à ses jours quelques secondes plus tard, lors de la réception du mariage d’Antoine et de Rose. Jean-Marc Vallée ne l’a finalement pas retenue (et ceci en dépit de certaines voix dans son entourage dont celle du coproducteur français, Jean Yves Robin, qui considéraient que ce retrait de la scène choc enlevait l’effet de souffle du film). Mais ces deux disparitions tant inopinées que tragiques devant les enfants s’avéraient dérangeantes ; le réalisateur estima ce happy end trop sensationnel et il voulait que le film soit fidèle à sa source, c’est-à-dire inspiré par l’amour et la paix[82].

Le tournage avec les enfants trisomiques n’a pas été des plus aisés. Marin (recruté lors d’un casting sauvage) qui vouait une véritable admiration pour Jean-Marc Vallée pouvait être une vraie tête de mule et ne plus avoir plus envie de jouer ; il fallait également adapter les dialogues à ce qu’il était en mesure de pouvoir dire. Vanessa Paradis a parfois dû reprendre 25 fois la même prise avec le jeune garçon ; il faut bien percevoir qu’avec un enfant trisomique on se heurte à un problème d’assimilation, d’apprentissage du texte. Le jeune acteur avait beaucoup de charme, de charisme et d’humour raconte Vanessa Paradis. Le long métrage (sélectionné à la 68e Mostra de Venise dans la section Venice Days en septembre 2011[83] ) qui est autant à voir qu’à écouter a été bien accueilli au Canada où il glana de multiples récompenses (Vanessa Paradis récolta plusieurs prix[84]). Il n’a cependant pas trouvé son public dans « l’Hexagone » en ne rassemblant que 82 000 spectateurs (la critique en France l’a littéralement taillé en pièce[85]) ; d’un accès un peu hermétique, cette plongée dans un labyrinthe complexe a pu perdre des spectateurs lambda déroutés par la thématique de la transmigration des âmes. C’est un film qu’il faut visionner plusieurs fois afin d’en saisir toutes les subtilités ; ceux qui le découvrent pour la première fois doivent faire des efforts pour tout comprendre, avertit le réalisateur[86].

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« Dallas Buyers Club » : Survivre malgré tout

L’intrigue, inspirée de l’histoire vraie de Ron Woodroof (ce cow-boy séropositif, qui étonnement à l’époque, est parvenu à prolonger son espérance de vie) a été coécrite par les scénaristes, Craig Borten (qui s’est entretenu en 1992 avec Woodroof – juste un mois avant le décès de ce dernier – et ainsi a pu recueillir plusieurs heures d’enregistrement) et Melisa Wallack[87]. Durant vingt ans, ce scénario ne trouva pas preneur. Plusieurs cinéastes avaient été approchés pour l’adaptation de la vie atypique du cow-boy texan, tels que Craig Gillespie (avec Ryan Gosling pressenti dans le rôle de Ron) ainsi que Marc Forster (où Brad Pitt devait incarner le personnage principal) ; des projets qui n’aboutirent pas.

Si le récit est linéaire et romancé par rapport à la vie authentique de Ron, l’apport du metteur en scène fut de se délester de tout ce qui n’était pas le point de vue du cow-boy ; ainsi la dimension politique fut mise de côté à l’instar de toutes les scènes se déroulant à la Food and Drug Administration[88] (FDA) et à la Maison-Blanche. Le scénario a ainsi été retravaillé en ce sens ; ce qui prima, c’est l’histoire vue à travers les yeux de Ron, le spectateur devait ainsi être à même de ressentir tout ce que le principal protagoniste percevait. Vallée se montra très dubitatif sur le choix de Matthew McConaughey pour camper le personnage principal, considérant qu’il était trop centré sur son image avec son apparence de dieu grec ; dans sa filmographie, « la nature l’a gâté, il en a profité, il a fait du fric avec ça[89] » déclara-t-il. Puis finalement devant l’insistance de la productrice, le réalisateur rencontra l’acteur texan et releva son engouement particulièrement prononcé pour le rôle. Le cinéaste n’eut pas à le regretter. Afin de rendre sa prestation crédible, McConaughey travailla à perdre du poids, il devait se délester de 30 livres et, contre l’avis du réalisateur, il poursuivit son processus d’amaigrissement jusqu’à l’extrême (soit 48 livres). Ce fut une préparation très consciencieuse indique Vallée tandis que Jared Leto (qui incarne, Rayon, un transsexuel séropositif, malade du Sida) prit, quant à lui, le parti de cesser de s’alimenter pour obtenir un corps décharné[90]. Quoiqu’il en soit, les deux principaux interprètes ont toujours été sur le plateau en pleine possession de tous leurs moyens et ils ont fait preuve d’une énergie débordante, souligna Vallée. Ron est un amateur de rodéo, pétri de défauts, n’hésitant pas à tromper ses compatriotes dans les paris douteux qu’il organise ; c’est aussi un homme machiste, brutal, qui abuse d’alcool, de cocaïne et qui fornique les filles à tout va. Il vit modestement dans un mobile home et occupe un modeste emploi d’électricien.

Le contexte de la narration, ce sont les années d’apparition du VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine) aux É.-U.. Après une électrocution sur un chantier et une hospitalisation, on révèle à Ron avec d’ailleurs bien peu de ménagement, non seulement sa séropositivité, mais également que ses jours sont comptés (une trentaine de jours à vivre). Un diagnostic qui le plonge de facto dans un total déni. Il est dans un état de sidération, cette maladie est selon lui pour « les tapettes » qu’il abhorre et méprise tout particulièrement. Le cliché qu’il colporte sur l’épidémie débutante traduit la pensée de l’opinion publique à ce moment-là, laquelle considérait que le VIH n’affectait que les homosexuels. Le traitement médiatique était alors plutôt catastrophique et stigmatisait alors les porteurs « du cancer gay ». Et ceci tandis que plusieurs études indiquaient que les relations tant homosexuelles qu’hétérosexuelles, dès lors qu’elles étaient dénuées de protection, ainsi que les usagers de drogues par voie intraveineuse, contribuaient à la propagation du virus. Des faits que découvrira rapidement Ron en effectuant des recherches approfondies à la bibliothèque. Le cow-boy acquiert progressivement une connaissance pointue du VIH, des traitements et des expérimentations en cours. Il s’approprie une expertise lui permettant de rétorquer avec aplomb et pertinence aux médecins qui ne proposent aux patients qu’un unique traitement expérimental : la Zidovudine (AZT), un médicament antirétroviral dont on connaissait depuis plusieurs années les effets secondaires indésirables dans le traitement des cancers. Pendant que Ron consulte et décortique des revues scientifiques sur le VIH, un flashback laisse clairement entrevoir qu’il a multiplié les pratiques à risques avec plusieurs partenaires féminins.

Le cœur du film est l’entêtement salutaire de Ron à assurer sa propre survie (les instants de désespoir, comme la pensée du suicide, seront vites balayés de son esprit). À l‘image du plan d’ouverture et de fermeture du film sur une scène de rodéo, Ron, le cow-boy avec son chapeau et ses santiags, d’une force vitale hors du commun, est fermement résolu à dompter coûte que coûte le taureau comme la maladie qui le terrasse. Pour déjouer les sombres pronostics d’une disparition aussi rapide qu’inéluctable, il s’engage dans une course contre la montre. Devant l’inefficacité des traitements disponibles, Ron importe pour lui-même des « antiviraux », dont certains sont illégaux  (son état de santé s’améliore d’ailleurs nettement d’autant qu’il adopte ensuite une hygiène de vie en cessant toute consommation de drogues) ; son dessein consiste également à écouler cette marchandise auprès des malades contre monnaie sonnante et trébuchante.

La démarche de Ron apparaît purement égoïste et individualiste (elle s’avère particulièrement lucrative) ; ce n’est pas la compassion qui l’anime, mais les dollars qui tombent dans son escarcelle. C’est à contrecœur qu’il approche les lieux fréquentés par la communauté gay qu’il exècre pour la revente des différentes molécules. Puis il instaure un dispositif original en louant un local pour assurer une plus large distribution, c’est la naissance du « Dallas Buyers Club », premier du genre qui essaima par la suite ; chaque membre verse une cotisation de 400 $ et accède ainsi à un panel de produits disponibles[91].  Mais ce n’est toujours aucunement une œuvre de bienfaisance, se plaît d’ailleurs à rappeler Ron. Néanmoins, sans le vouloir, son action devient altruiste et militante puisque des centaines de malades bénéficièrent de ce nouveau service qui prolongea leur existence, ce qui n’est pas un détail anodin. Le film acquiert alors une dimension politique indique Vallée, Ron devenant le porte-parole d’une communauté.

Le combat de Ron est aussi une ode à la désobéissance ; les autorités fédérales entendent protéger les intérêts de leurs industries pharmaceutiques qui commercialisent l’AZT. Or, les agissements du cow-boy heurtent de plein fouet la position de la FDA qui refuse la mise sur le marché de traitements de substitution à l’AZT, expérimentés et proposés ailleurs dans le monde et ceci bien qu’ils se révèlent plus efficaces contre le HIV (et ne présentent pas les effets particulièrement néfastes de l’AZT à forte dose sur les patients, tels que nausée, anémie, neutropénie, myopathie). Les fonctionnaires de cette agence avec les agents des douanes, les contrôleurs du fisc œuvrent de concert afin de faire avorter toute possibilité d’importer des molécules non autorisées aux É.-U. Dans un premier temps, Ron utilisa une faille juridique qui permet légalement à un malade de se procurer hors du sol américain, un stock de trente jours de médicaments pour son usage personnel. Rien ne fait vaciller la détermination de Ron qui se rend aux quatre coins du monde (Mexique, Japon, plus tard, la Chine, Israël, Amsterdam) à la recherche de traitements, de thérapies alternatives. Pour parvenir à ses fins, celui pour qui la vie a désormais acquis un sens n’hésite pas à utiliser divers artifices (revêtir différents accoutrements comme une soutane ou un costume cravate) pour tromper la vigilance des douaniers et ainsi faciliter le passage aux frontières de ses cargaisons de médicaments ; une démarche qui échoue parfois.

Sur la route de Ron, la rencontre de Rayon, un transsexuel fantasque et maniéré avec ses robes décolletées, fut éminemment déterminante (pour son jeu, Jared Leto a particulièrement travaillé sa gestuelle et sa voix). Famélique, déjà miné par la maladie, particulièrement amaigri, ce personnage fictif est empreint de tristesse tout en étant drôle, il sait qu’il va mourir bientôt et cela le terrorise, il est désespéré. Rayon résiste avec un humour truculent à l’homophobie virulente de Ron (qui le rejeta vertement lorsqu’il fut par hasard placé à ses côtés dans une chambre d’hôpital) avec ses mots : « Je te trouve assez beau gosse en bouseux du Texas » ou encore en affirmant : « Tu as de beaux pieds » tandis que Ron lui rétorque qu’il n’est pas gay. La générosité et la détresse de Rayon devant l’échéance inéluctable sont bouleversantes ainsi que l’aveu de sa séropositivité à son père. Son maquillage est toujours particulièrement soigné ; il y tient jusqu’à son dernier souffle : « Dieu quand je te rencontre, j’espère être jolie », dit-il, tout en essayant une robe qui pourrait bien être son linceul. Rayon contribua à la spectaculaire métamorphose mentale de Ron qui fut néanmoins progressive. Homophobe viscéral, Ron est désormais assimilé aux sidéens et fait à son tour l’objet de rejet et d’ostracisme de la part du milieu qu’il fréquentait jusqu’ici. Le cow-boy s’est rapproché de Rayon, par intérêt puisque ce dernier s’avère une aide précieuse pour capter la clientèle gay ; mais peu à peu le Texan et l’ange transsexuel s’apprivoisent et finissent par s’apprécier. Ron respecte celui qui est devenu son associé et complice. Les deux comparses se lient d’amitié ; il y a cette scène émouvante et emblématique dans le supermarché où Ron somme avec fermeté une ancienne connaissance (un acolyte de beuverie de sa vie antérieure, hostile comme lui aux homosexuels) à serrer la main de Rayon, dont le visage s’illumine devant une telle reconnaissance. Plus tard, les deux compères tomberont même dans les bras l’un de l’autre. On relève un court moment poétique, comme hors du temps, qui illustre métaphoriquement l’évolution de Ron avec la scène de centaines de papillons (tout juste expulsés de leurs chrysalides) qui voltigent autour de lui.

Les prestations de Matthew McConaughey et de Jared Leto sont phénoménales, tous deux traînent une chair qui dépérit  avec de multiples gros plans de leurs faciès émaciés, creusés par le virus. Les symptômes de la maladie sont montrés sans ostentation : les taches de kaposi sur les mains ou les visages, les corps cadavériques, la toux persistante, les crampes diverses, l’impuissance, la perte de connaissance, les dérèglements auditifs, tels les vertiges ou encore les maux de tête transcrits par des sons stridents… La situation est particulièrement sombre, souvent déchirante, voire critique, mais le réalisateur dissémine tout au long du récit des clins d’œil humoristiques avec des répliques truculentes dans des moments de tensions. Ainsi après ses diverses hospitalisations, Ron ne se prive pas de moquer le personnel médical : « Vous croyez que je suis un putain de cobaye, est-ce que j’ai une tête de rongeur ? » ; une autre scène est également particulièrement cocasse : un plan rapproché montre Ron face à plusieurs bougies, il sait depuis peu qu’il est atteint du sida, tout laisse à penser qu’il est dans une église et s’adresse à Dieu en priant ; le plan large suivant permet de découvrir qu’il est seulement attablé au comptoir d’un bar de strip-tease où se trémoussent deux danseuses. Ce qui est émouvant, c’est qu’en dépit de son affaiblissement Ron, hédoniste, ne renonce pas aux plaisirs de la vie, copulant avec une cliente dans les locaux du Buyer club. Mais surtout il n’hésite pas à jouer les séducteurs avec le médecin, Eve Saks (Jennifer Garner) -un personnage fictionnel- qui compatissante, prête une oreille attentive à son combat contre les laboratoires, le corps médical et les prescripteurs d’AZT. Au restaurant où il a convié la doctoresse, il charme son invitée ; se montrant singulièrement attentionné jusqu’à lui offrir un tableau peint par sa mère tout en livrant des confidences ; il veut jouir pleinement des moments qui lui restent à vivre.

Vallée avait l’intention de réaliser ce film au Québec en se dispensant des soutiens de l’aide publique (Sodec et Téléfilm Canada), c’est-à-dire en s’appuyant sur le financement d’investisseurs privés ; mais ce qui est possible aux É.-U. ne l’était pas dans la Belle Province. Il dut renoncer à cette perspective. Le budget du film fut serré, seulement 3,8 millions $ dont «trois millions $ furent offerts par un texan[92] » ; La Nouvelle-Orléans fut retenue comme site de tournage afin de bénéficier des crédits d’impôt de la Louisiane[93] (ce furent 25 jours de tournage, à raison de dix heures par jour). Matthew  McConaughey participa au financement de la production et accepta de revoir à la baisse le montant de ses émoluments. Ce long métrage est incontestablement une œuvre de référence sur l’apparition du HIV aux États-Unis et sur le traitement politique et médical qui s’ensuivit où les malades abandonnés à leur triste sort ne purent compter que sur eux-mêmes pour ne pas déchoir (la noirceur et le tragique côtoyant ici la créativité). C’était le début  dans « le pays de l’Oncle Sam », d’un combat de longue haleine mené par des anonymes engagés dans des associations. Vallée, qui avant de réaliser ce film n’avait jamais eu connaissance de l’existence des douze Buyers clubs existants parce que le système de santé canadien est totalement diffèrent (bien plus protecteur), rappela pertinemment dans un entretien qu’il a fallu attendre de longues années avant d’obtenir un traitement adéquat avec les trithérapies. Il n’est pas inutile d’indiquer que cette épidémie (occultée par la Covid-19) est loin d’être endiguée et demeure un problème sanitaire majeur. Une personne dans le monde est contaminée par le VIH toutes les 40 secondes ; 38 millions de personnes sont porteurs du virus[94]. Le film fut interdit aux mineurs lors de sa sortie sur le territoire américain. En mars 2014, lors de la soirée des Oscars, les deux principaux interprètes furent gratifiés d’une statuette pour leur performance. Sous le pseudonyme de John Mac McMurphy (un nom que Jean-Marc Vallée inventa dans l’intention d’apparaître moins souvent au générique du film[95]), le cinéaste reçut une nomination aux Oscars pour le meilleur montage (qu’il cosigna avec Martin Pensa) ; il fut également le premier Québécois à être en nomination aux Oscars dans la catégorie du meilleur long métrage.

« WILD » : Si ta volonté te lâche, dépasse-la ![96]

Le scénario, écrit avec Nick Hornby, est une adaptation du roman autobiographique de Cheryl Strayed (Wild : From lost to found on the Pacific Crest Trail) publié en 2012[97]. Reese Witherspoon qui interprète l’héroïne du récit[98] est également productrice de ce film[99] doté d’un budget de 15 millions $ (soit trois fois plus que « Dallas Buyers Club »).  Cheryl, en plein désarroi, s’est lancée dans une aventure de taille pour ses frêles épaules, parcourir les 1700 kilomètres du Pacific Crest Trail (un sentier qui serpente de la frontière mexicaine au Canada[100]). Il n’est pas commun qu’une femme seule s’engage dans une excursion aussi ardue qu’éreintante. Elle force l’admiration et le respect des autres marcheurs et devient ainsi un modèle. La randonneuse en herbe dût braver la solitude, dompter ses frayeurs, qui parfois débouchent sur des crises de panique autour d’un serpent, gérer sa fatigue, supporter la faim et la soif tout en affrontant diverses intempéries : chaleur accablante, mais également neige et brouillard qui occultent les repères du balisage. Lors de cette longue et harassante expédition pédestre (durant trois mois), la caméra est au plus proche de l’actrice, ce qui permet de ressentir ses diverses émotions ; tandis que des plans larges la montrent également comme perdue au milieu de paysages sauvages. Ce fut une occasion pour le réalisateur de rappeler la beauté époustouflante de la nature que l’actuel réchauffement climatique met irrémédiablement en péril. Cette plongée dans le milieu naturel est d’ailleurs un point commun avec « Into the Wild »  (2007) de Sean Penn, où Christopher McCandless, un brillant étudiant, quitte sa famille renonçant à toute carrière et vie sociale pour une existence au plus près de la nature. Dans les deux longs métrages, les deux principaux protagonistes partagent une même naïveté et inexpérience dans le défi qu’ils se sont lancés en parcourant des sites aussi grandioses qu’hostiles et dangereux; si le jeune homme périra empoisonné suite à l’absorption de plantes qu’il pensait comestibles, Cheryl ira, quant à elle, jusqu’au bout de son aventure pour rebondir, tournant définitivement le dos à son passé.

Le périple de Cheryl apparaît comme un exutoire ; la jeune femme est minée par un sentiment de culpabilité, par les faux pas de son existence dont son addiction aux drogues dures, ses rapports sexuels à la sauvette à la limite du sordide (mais qu’elle dira apprécier) ; des infidélités qui ruinèrent sa relation avec Paul avec qui elle vécut en couple durant sept années (elle est cependant demeurée en bon terme avec son ex-compagnon, ce dernier l’encourageant et la soutenant durant tout son périple). Tout ce passé douloureux resurgit sous forme de flashbacks tout au long du récit et obsède sa pensée. Par ailleurs, le souvenir de sa mère, Bobbi, revient également par intermittence dans la narration tant Cheryl est obnubilée par cette femme lumineuse qui était « l’amour de sa vie » et qui est décédée prématurément à l’âge de 45 ans d’un cancer foudroyant. Ce fut pour l’héroïne une perte incommensurable qui la perturba profondément (un écho au propre vécu de Jean-Marc Vallée, qui quatre ans auparavant, perdit sa mère pendant le tournage de « Café de Flore » ; tourner « Wild « lui a permis de faire son deuil, de « sortir les larmes de son corps »). On apprend ainsi que cette figure maternelle (incarnée par Laura Dern[101], l’actrice fétiche de David Lynch) était exemplaire. Face à l’adversité (avec un époux violent et alcoolique qu’elle a dû fuir pour protéger ses deux enfants) et en dépit d’un quotidien dénué d’éclat, elle s’est toujours montrée combattive (sa soif d’apprendre l’incitant à suivre des cours dans le même établissement scolaire que celui fréquenté par sa fille). Elle chante, arbore constamment un sourire aux lèvres, affiche un visage radieux, exprime une joie de vivre, soit un contraste saisissant avec Cheryl qui manifeste une moue dubitative ou paraît renfrognée la plupart du temps. Toujours positive, cette mère s’oublie pour ses enfants, elle est dans le don de soi. Ne jamais baisser les bras ni capituler, quels que soient les aléas de l’existence, était son leitmotiv. Toute sa vie, elle invita sa fille à ne pas s’amollir ni à flancher, mais à se dépasser. Ce sont les réminiscences récurrentes de cette femme solaire dans toutes les situations qui décidèrent Cheryl de changer sa vie. L’image, les mots, la personnalité de Bobbi habitent son cheminement mental tout au long de son voyage pédestre (sa mère semble ainsi marcher à ses côtés) où elle va croiser des personnages, en général bienveillants, très différents les uns des autres comme Greg (qui abandonne en cours de route la randonnée) ou plus atypiques à l’instar de Jimmy qui tient à l‘interviewer parce qu’il est convaincu qu’elle est une vagabonde. D’autres rencontres l’inquiéteront, telle celle au cœur de la forêt avec un bûcheron particulièrement intrusif à son égard. Mais Cheryl est aussi en mal de sexe, son désir gronde pour certains hommes, exprimé par moult regards, en l’occurrence lorsqu’elle aperçoit et fixe un randonneur se baignant nu dans la rivière.

L’impréparation de Cheryl est manifeste, elle s’est tout d’abord munie de chaussures de marche bien trop étriquées, une erreur qui abima sérieusement ses pieds, ne lui laissant d’autres alternatives que de poursuivre son chemin avec de simples sandales durant 80 kilomètres. Elle n’a pas non plus pris soin de lire préalablement la notice de son réchaud dont le fonctionnement s’avère ainsi inopérant. Quant à son sac à dos sous lequel elle ploie, il est manifestement bien trop surchargé, métaphore de son lourd passé, ce qui non seulement ralentit sa progression, mais lui occasionne de multiples hématomes sur le corps. L’utilisation récurrente de la voix off traduit son état d’esprit du moment ; elle est parfois prête à renoncer, puis dans un sursaut de pugnacité, elle s’attache à suivre les conseils avisés de sa génitrice qui lui reviennent en écho lors de ses rêves : « s’il y a une chose que je peux t’apprendre, c’est d’aller puiser le meilleur au fond de toi ; accroche-toi à ça contre vents et marées ». Cheryl cherche à devenir ce que sa mère voyait en elle, ce fut sa bouée de sauvetage. On remarque que la musique occupe ici une place plus modeste que dans les productions précédentes du réalisateur. L’accent est ainsi mis sur quelques titres qui accompagnent judicieusement les paysages grandioses traversés par l’héroïne dont « El Condor Pasa » dans la version du duo de Paul Simon et Garfunkel. On retient également « I can never go home » (du groupe féminin, The Shangris Las), une chanson que Cheryl entend à la radio lorsqu’elle est prise en stop ou encore « Suzanne » de Leonard Cohen.

« DEMOLITION » : Comment recouvrer de vrais sentiments ?

« C’est mon film le plus rock » affirme le metteur en scène qui ajoute que c’est « celui qui fait le plus de bruit mais qui est en même temps d’une belle humanité[102] ». Sur un scénario écrit en 2007 par Bryan Sipe (et lié en partie au propre parcours artistique plutôt confus de ce dernier) et que personne ne voulait (« il était jugé trop dérangeant et difficile à rentabiliser[103] »), Vallée fut interpellé par le personnage principal et par le récit parce que « on se perd tous un jour ou l’autre dans la vie, on affronte des moments où l’on a plus le contrôle, je suis passé par là », précisa-t-il. À l’instar de Cheryl dans « Wild » beaucoup de souvenirs traversent l’esprit bouillonnant du jeune veuf dont les réminiscences de son enfance, les images de sa rencontre avec Julia qui est devenue son épouse ou encore de son mariage (Vallée a enrichi le script original, on devait seulement entendre la voix de Julia en hors champ, mais il la fit apparaître à l’écran sous forme de flash-backs).

Le film narre le parcours de Davis Mitchell (Jake Gyllenhaal), un jeune cadre trentenaire dont l’existence est réglée comme du papier à musique; dans sa villa d’architecte, il mène une existence très formatée. Il travaille dans une société d’investissement dirigée par Phil, son beau-père (Chris Cooper[104]) et évolue dans un milieu très huppé ; Davis est manifestement un modèle de réussite sociale. Il perd sa femme dans un accident de voiture dont il ressort indemne, mais anéanti. Il ne s’agit pas d’un énième film sur le deuil puisque rien ne se déroule comme prévu. Davis ne ressent aucune émotion (ou du moins les contient-il), son visage demeure de marbre devant cette brutale disparition. Il est amorphe et particulièrement distant envers ses coreligionnaires comme indifférent ; un comportement particulièrement irrévérencieux. Il va entreprendre un long cheminement intérieur afin de s’extirper de cet état de léthargie pour entamer une lente reconstruction et se réinventer. Le réalisateur épouse le point de vue de Davis, par exemple lors des obsèques, la caméra se focalise sur un vol de pigeons, le froissement de leurs ailes, les proches de la défunte semblent lointains, comme si Davis les ignoraient ou était totalement détaché. Le processus psychique qui s’enclenche alors est totalement inattendu, décalé et original ; le jeune banquier d’affaires est insensible à tout, se désinvestit totalement de son activité professionnelle. Il soulève, par ailleurs, l’incompréhension de son beau-père lorsqu’il refusa de participer à une fondation que ce dernier veut créer au nom de sa fille (qui est destinée à distribuer des bourses d’études dans l’Université qu’elle fréquenta). La seule chose qui émeut Davis et accapare son attention (et ceci quelques minutes après que son épouse fut décédée) est le distributeur à friandises de l’unité de soins intensifs de l’hôpital St Andrew de New York qui est défaillant. Un dysfonctionnement qui le conduit à exiger le remboursement des quelques pièces de monnaie perdues (1.25 $) pour un sachet de M&M’S et qui fut le point de départ d’une correspondance frénétique et compulsive (en voix off) avec le service client de la société. À travers ces envois épistolaires réguliers, il se confie sur sa vie et sa situation, se met à nu et finit par intriguer Karen Moreno (Naomi Watts[105]) avec qui il noue peu à peu une relation platonique. Karen mène une existence modeste, c’est une mère célibataire confrontée à des difficultés d’ordre affectif, elle est également un peu dépassée par son fils et fume abondamment. Les deux adultes esseulés et écorchés se réconfortent mutuellement et s’adonnent à des plaisirs simples comme courir et chahuter sur la plage (sur « La Bohème » d’Aznavour) ; sous des draps avec une lampe de poche, ils s’amusent comme des enfants à projeter des ombres chinoises et à transformer leurs voix. Davis reprend progressivement goût au sel de la vie, à la fantaisie et renoue avec l’essentiel, c’est-à-dire la sincérité et l’authenticité. Casque audio sur les oreilles, il danse sans pudeur dans les rues de Manhattan au son de « Free » (du groupe de rock américain, Mr. Big) au milieu des passants éberlués  se rendant à leur travail ; un lâcher-prise éminemment jouissif. Davis se rapproche également de Chris (Judah Lewis) le fils de Karen (qui est la révélation du film, Vallée considérant que le jeune acteur est une rock star possédant un talent inné[106]), un adolescent de 15 ans à l’esprit rebelle, souvent provocateur. Il le prend sous son aile devenant un père de substitution, lui prodiguant de précieux conseils sur son comportement, le rassurant également avec beaucoup de tendresse sur ses premiers émois sexuels ; une véritable et sincère affection se tisse entre le banquier et le garçon.

Pour combler son manque d’émotions et renouer avec ses sentiments, Davis s’applique à faire table rase de sa vie antérieure qui était finalement trop lisse. Il dirige sa violence sur les objets de son quotidien qu’il réduit à néant en désossant avec obstination tout ce qui lui tombe sous la main, le réfrigérateur, une machine à cappuccino, son ordinateur, la porte des toilettes grinçante de son lieu de travail, jusqu’aux applications défectueuses de la salle de bain de ses beaux-parents et souhaite d’ailleurs faire subir le même sort à une horloge du XIXᶱ siècle dans le bureau de son beau-père. Mais il pousse le paroxysme, de ce qui est devenu sa thérapie, jusqu’à réduire en miettes sa splendide demeure avec l’aide de Chris (ce n’était pas un simple décor, mais une vraie maison construite en bois et stuc auquel il fut ajoutée une extension érigée dans le style de la maison d’origine[107] ). Et les deux compères s’en donnent à cœur joie (soit 250 coups de massue, ce qui exigea une véritable force physique[108]) sous forme d’une chorégraphie manifestement jubilatoire (cette thématique de la destruction s’inspire de la vie du scénariste qui durant son adolescence travailla dans la démolition de maison). Davis, dans sa névrose obsessionnelle, parachève la destruction en louant un bulldozer (qui fut réellement manœuvré par l’acteur). Lorsque l’on détruit on transforme, on érige autre chose et Davis en mémoire de Julia a remis en service un carrousel (un manège avec des chevaux de bois) qui procure ainsi les joies les plus simples. Le film est en toile de fond une critique insidieuse de la vacuité d’une société qui est mue exclusivement par le matérialisme et le culte de la performance. Jean-Marc Vallée explique que ce long métrage met en évidence qu’il faut simplement prendre le temps de vivre et d’aimer[109].

Les fictions télévisées : La parole donnée aux femmes

-Big Little Lies

Jean-Marc Vallée s’essaya avec brio au petit écran avec la première saison de : « Big Little Lies » (Petits secrets, grands mensonges) qui est l’adaptation d’un roman de l’Australienne Liane Moriarty, scénarisé par David Edward Kelley. Nicole Kidman et Reese Witherspoon, qui ont acquis les droits de l’ouvrage, pensaient en faire un long métrage ; toutefois le souhait d’approfondir le caractère des personnages imposa finalement le format sériel. Il était prévu que le Québécois ne devait réaliser que les deux premiers épisodes puis finalement il signa les sept opus ; le tournage se déroula sur cinq mois assortis d’un rythme de travail similaire à celui d’un long métrage. L’action se situe à Monterey[110], une bourgade de la côte californienne près de San Francisco, un cadre naturel enchanteur où il fait manifestement bon vivre. La série est un portrait choral de plusieurs mères de famille (Madeline, Céleste, Jane, Renata et Bonnie) évoluant dans un univers particulièrement cossu. Les personnages roulent en Audi et empruntent souvent le majestueux pont en arc de Bixby Creek, habitent des maisons de très haut standing où ils savourent du vin sur de splendides terrasses avec vue sur l’océan Pacifique. De manière récurrente, les protagonistes font souvent face à l’océan avec les images des vagues se fracassant bruyamment contre les rochers, métaphore des tourments qui les habitent. Une situation atypique est celle de Jane Chapman (Shailene Woodley), cette mère célibataire, sans emploi, qui vient de s’installer dans la ville dénote dans ce milieu bourgeois ; elle  parasite la  douceur de vivre de ce petit monde qui n’est pas aussi idyllique qu’il y paraît.

Le réalisateur prend le temps de poser le contexte pour chacune de ces femmes et on s’immisce peu à peu dans leur intimité. En apparence, toutes sont radieuses, des mères poules qui redoublent d’attention et de tendresse envers leurs progénitures qui fréquentent la même école. Elles se croisent sans cesse, se retrouvant à l’entrée et à la sortie de l’école, se rejoignant plus occasionnellement pour des séances de running sur la plage, mais surtout pour deviser à bâtons rompus dans l’habitacle de leur véhicule ou autour d’un verre à la terrasse du restaurant Paluca Trattoria. Des causettes qui portent sur leur quotidien, leurs mésaventures, leurs insatisfactions : « être mère ne me suffit pas ! » clame Céleste approuvée par Madeline ; des propos qui traduisent leur désir de se réaliser autrement et de se sentir vivante. Leur vie de couple paraît sans bosses ni tourments tout en donnant lieu à de belles réflexions sur les liens matrimoniaux  (« Dans tous les mariages, il y a une part de comédie même dans les meilleurs ! » dit Ed, le compagnon de Madeline), mais également sur l’usure du couple et sur le désir qui s’émousse. Mais au fur et à mesure tout ce joli vernis craquelle révélant de multiples non-dits et aspects secrets ; ces mères de famille sont en en fait en proie à des conflits intérieurs qui les minent.

Le récit est parsemé d’une série de flashbacks éphémères et récurrents indiquant qu’il s’est produit un drame (un meurtre semble-t-il). Lors d’une soirée caritative organisée par l’école des enfants des héroïnes, un cadavre a été retrouvé. La police est sur place, l’enquête débute et se poursuit tout au long des épisodes. Mais l’identité de la victime demeure inconnue. On suppute néanmoins  l’existence d’un lien entre les circonstances du décès et l’histoire de ces femmes dont on suit les péripéties familiales et qui révèlent peu à peu leurs vraies personnalités et leurs fragilités souvent béantes. Ce fait divers n’est toutefois aucunement le cœur de l’histoire, mais s’avère plutôt un élément périphérique dans la narration tout en faisant naître un vrai suspense (l’une d’entre elles est peut-être impliquée dans ce qui est arrivé, mais rien n’est moins sûr). Le dénouement n’éclate que dans les tous derniers instants de l’épisode final qui ne sera pas révélé ici ; on se contentera d’indiquer qu’il témoigne d’une belle sororité entre ses femmes qui mentent pour se protéger. La narration est également entrecoupée de témoignages souvent pas très tendres émanant des témoins interrogés par les inspecteurs de police. Sont ainsi allégrement colportés des rumeurs, des jugements à l’emporte-pièce, des médisances (parfois misogynes) sur les héroïnes et leurs entourages ; par exemple, concernant Abigail, la fille aînée de Madeline, on entend « une petite traînée, connaissant la mère ce n’est pas étonnant !».

La quiétude à Monterey est également troublée par un incident à l’école. Ziggy, le fils de Jane Chapman, âgé de six ans, est soupçonné d’avoir brutalisé Amabella, la fille de Renata Klein (Laura Dern) le jour de la rentrée scolaire. Le garçonnet dément fermement, mais la suspicion demeure vive d’autant qu’un peu plus tard Renata découvre une morsure sur le corps de sa fille. Bien que cette dernière garda le silence sur son auteur, sa mère est convaincue (et elle n’en démord pas) qu’il ne peut s’agir que de Ziggy. Les animosités vont redoubler d’intensité, Jane défendant son fil bec et ongles. Quant à Renata, elle dresse une partie des parents d’élèves contre la présence de Ziggy à l’école. La guerre est déclarée au sein des familles qui se divisent et se déchirent sur la question de l’éventuelle exclusion de Ziggy réclamée à cor et à cris par Renata. Madeline n’est pas en reste dans toutes ces chamailleries et se range du côté de Jane qui se crêpe le chignon avec Renata. C’est l’ultime épisode qui fait la lumière sur le mystère des coups et de la maltraitance de la fillette.

Chaque protagoniste féminin revêt une part d’ombre plus ou moins avouable :

-Madeline Mackenzie est divorcée de Nathan depuis 15 ans avec qui elle a eu une fille, Abigail (une adolescente qui a le projet de mettre sa virginité en enchère sur Internet pour Amnesty International afin de dénoncer l’esclavage sexuel). Elle partage désormais sa vie avec Ed (Adam Scott) qui est webmaster ; ils ont une fille Chloe (à la personnalité très affirmée) laquelle tient des discours particulièrement matures du haut de ses sept ans. Très active, Madeline n’entend pas demeurer confinée au foyer et s’investit à mi-temps bénévolement dans le soutien à la création théâtrale ; elle se mêle également de tout, toujours disposée à aider autrui et fait preuve de compassion. Mais elle est aussi souvent maladroite. Toujours en quête de perfection, Madeline est sur tous les fronts, surveillant la page Facebook de sa fille qui a fini par préférer retourner vivre chez son père, épaulant également Jane (de nature très réservée) qui devient une amie proche. Elle a accumulé beaucoup de rancœurs à l’encontre de son ex-mari qui l’a abandonnée tandis qu’elle devait élever seule Abigail. Ce qui l’irrite et la rend jalouse, c’est la relation aimante et épanouie qu’entretient désormais Nathan (qu’elle a profondément aimé) avec sa nouvelle compagne, Bonnie (Zoë Kravitz), une jeune mère noire (aux longs cheveux attachés en plusieurs tresses) plus jeune, plus décontractée (elle pratique le yoga et danse de manière séduisante) et plus sexy qu’elle. On apprend également que Madeline a entretenu avec Joseph, le metteur de la pièce qu’elle défend ardemment (d’aucuns aspiraient à l’interdiction de cette œuvre au motif que dans une scène les marionnettes simulent un acte sexuel), une relation extra-conjugale qui la plonge dans une profonde culpabilité.  L’angoisse profonde qui la taraude, c’est que son conjoint puisse découvrir son infidélité, ce qui briserait sa relation avec ce dernier. La personnalité gouailleuse de Madeline apporte beaucoup d’humour à la narration et la rend irrémédiablement attachante.

-Jane, jeune mère monoparentale, vient de déménager à Monterey ; douce et timide, elle sympathise rapidement avec Madeline qui devient son mentor. Un traumatisme la hante, elle a été abusée sexuellement et son fils est issu de ce viol. Elle est partagée entre la honte et la colère (et se libère de ses tensions en faisant des footings sur la plage tout en écoutant « Bloody Mother Fucking Asshole » de Martha Wainwright) et aspire retrouver son agresseur. Elle possède une arme à feu qui n’est jamais très éloignée d’elle et s’entraîne au tir dans un club ; elle prétend d’ailleurs que tenir une arme aide à surmonter les traumatismes émotionnels que l’on a subis.

-Renata Klein, est une femme d’affaires accomplie (PDG d’une entreprise dans les nouvelles technologies) et fière de son éclatante réussite. Plutôt tyrannique et souvent hystérique, elle est bien plus vulnérable qu’il n’y paraît de prime abord ; particulièrement obsédée par le bien-être de sa fille qui est maltraitée à l‘école par l’un de ses camarades. Gordon, son époux s’évertue à nuancer ses propos qui peuvent être démesurés et lui faire entendre raison.

-Céleste (Nicole Kidman), le personnage le plus travaillé de la série, est une femme délicate, intellectuellement brillante, calme et raffinée. Toujours élégante (avec ses cheveux roux) elle est mariée avec Perry Wright (Alexander Skarsgard) un homme d’affaires souvent en déplacement. Céleste a mis sa carrière d’avocate de côté pour se consacrer à l’éducation de leurs deux jumeaux (Max et Josh) qu’elle couve d’amour. Le couple semble mener une vie harmonieuse et heureuse, mais progressivement, apparaît un homme extrêmement possessif arborant parfois un regard qui peut être terrifiant ; jaloux, c’est un manipulateur qui cherche à contrôler psychologiquement son épouse. L’intimité des deux partenaires est progressivement décortiquée, révélant qu’ils pratiquent une sexualité plutôt hors norme. Des flashbacks furtifs montrent que Perry porte des coups sur Céleste (il lui cogne entre autres, la tête contre les murs). Mais la relation entre les deux époux s’avère singulièrement complexe. La violence prodiguée par Perry semble décupler leurs désirs sexuels puisqu’il s’ensuit entre eux des rapports d’une rare intensité que l’on peut qualifier de sauvages. Il arrive que les deux partenaires se frappent également mutuellement. Souvent, Céleste, qui semble néanmoins dans l’effroi, essaie d’anticiper les réactions de son mari. Prenant conscience que leur sexualité est peut être devenue malsaine et équivoque, ils décident ensemble de consulter (on note les dialogues particulièrement ciselés avec la thérapeute) puis Céleste se rend seule au cabinet de la conseillère conjugale où elle s’enferme dans le déni considérant en dépit des multiples coups reçus (auxquels il lui arrive d’ailleurs de répliquer jusqu’à déchirer l’urètre de son conjoint) qu’elle n’est aucunement une victime, qu’elle est aussi coupable que son mari : « c’est comme si on était excité par notre propre rage » confie-t-elle. Céleste assimile toute cette violence à de l’amour du moins dans un premier temps. Il me traite comme une déesse, il peut être très doux, tendre et affectueux (il rêve d’une nouvelle paternité, une fille) affirme-t-elle, ajoutant qu’elle a « parfois le pouvoir sur lui, qu’il n’y a pas de règles ». Elle n’envisage d’ailleurs aucunement d’interrompre cette relation destructrice (les enfants, selon elle, n’ont d’ailleurs jamais été les témoins de leurs empoignades). Pourtant tel un boomerang, les images des agressions de son mari lui reviennent à l’esprit sous forme de flashs à maintes reprises, lorsque par exemple elle hume la peluche de ses enfants. Céleste manifestement protège son mari et se voile la face, elle est dans l’incapacité de s’extraire du cercle vicieux de ces rapports avilissants avec son mari. Les violences conjugales s’avèrent incontestablement la thématique centrale de la minisérie qui pointe du doigt que de tels faits peuvent se produire dans les milieux les plus aisés et éduqués et dans un environnement idyllique. Un temps long s’écoulera avant que Céleste prenne enfin conscience qu’il y a un sérieux problème au sein de son couple et qu’elle est finalement aussi malade que Perry.

Si la photographie est particulièrement léchée avec une belle lumière naturelle omniprésente, la bande-son est également toujours aussi soignée et ceci dès le générique qui est habillé par « Cold little Heart » de Michael Kiwanuka (cette ballade qui évoque une rupture amoureuse est la première pièce de l’album de l’auteur qui fut influencé, dit-il, par les classiques des années 60 et 70 avec des groupes britanniques comme The Who et Pink Floyd avec également une grande inspiration soul[111]). Quant à l’iPod de Chloe, il recèle des pépites musicales (mêlant blues américain et rock) qui seront égrenées tout au long des épisodes. La série récolta en 2017, huit Emmy Awards (meilleure actrice, Nicole Kidman et Reese Witherspoon ; meilleure série ; meilleur second rôle pour Alexander Skarsgard ; meilleure actrice secondaire, Laura Dern ainsi que Shailne Woodley ; meilleure réalisation pour Jean-Marc Vallée ; meilleur scénario, David Edward Kelley) et quatre Golden Globes, l’année suivante[112] ; des récompenses qui galvanisèrent l’audience de la minisérie. Vallée était plutôt dubitatif sur la nécessité de prolonger la série considérant que la fin du denier épisode était parfaite.  La réalisation de la seconde saison fut confiée à la cinéaste Andrea Arnold connue pour ses longs métrages, « Fish Tank » (2009), « Américan Honey » (2016) ; Jean Marc Vallée demeurant producteur exécutif. Or, il semblerait, selon une enquête du site Indiewire, que le montage final ait échappé à la réalisatrice britannique[113]. Le Québécois aurait ainsi retravaillé les images de sa consœur en postproduction à Montréal et ajouté le tournage de nouvelles scènes et ceci dans un souci de cohésion avec le style visuel de la première saison[114]. Ni Andrea Arnold ni Jean-Marc Vallée ne corroborèrent ces informations.

« Sharp Objects[115] » : « Des mots pour dire »

Tiré du roman éponyme de Gillian Flynn[116] (publié en France sous le titre « Sous la peau ») et scénarisé par Marti Noxon[117] (qui est également productrice), cette minisérie de huit épisodes (diffusée en 2018) est un portrait intimiste de femmes mentalement perturbées (issues de trois générations différentes) où les hommes qui les entourent apparaissent plutôt fades.

Camille Preaker, journaliste d’investigation au Saint Louis Chronicles dans le Missouri (campée par Amy Adams[118] qui fait également partie de l’équipe de production[119]) est de retour à Wind Gap, une ville fictive de 2000 habitants, du sud de l’Amérique profonde, entourée d’épaisses forêts sombres[120]. L’employeur principal de la localité est un élevage et abattoir porcin qui appartient à Adora Crellin, la mère remariée de Camille. La structure sociale fait cohabiter les très riches, les possédants, et ceux qui travaillent pour ces derniers, précisa la scénariste ; il n’y a pas de classe moyenne. C’est une ville figée et engoncée dans ses traditions (on fête et on honore chaque année, la mémoire de Zeke Calhoume -une ascendante de Camille- qui lors de la guerre de sécession défia les soldats de l’Union) et qui renferme bien des secrets. On retrouve comme dans « Big little lies », les mauvaises langues, les commentaires plutôt désobligeants des habitants, essentiellement des femmes, sur Camille, Adora… ; des femmes qui se critiquent également entre elles, mais force est de reconnaître qu’elles n’ont, semble-t-il, pas grand-chose d’autre à faire. Le générique d’ouverture introduit un défilé d’images surannées et mystérieuses (un disque sur une platine, une fillette sur une balançoire, des porcs, une mouche, des gouttes de sang, des cheveux dans le vent, une araignée qui tisse sa toile, un enchevêtrement de fils électriques, des adolescentes en roller …) soit un habile résumé de la narration ; la musique qui l’habille est la mélodie, « Dance and Angela » de Franz Waxman, et dans chaque épisode est présenté une version différente (piano solo, hip-hop, voix solo..). La réalisation, à l’instar de la série précédente, prend le temps d’installer le climat qui progressivement devient anxiogène, oppressant, morbide, proche de l’insoutenable parfois, tant les fantômes du personnage principal donnent la nausée. On ressent particulièrement la moiteur de la région avec l’omniprésence de ventilateurs au plafond ou sur pied dans les diverses pièces des habitations ; les personnages sont d’ailleurs en sudation la plupart du temps. On capte également les moindres bruissements de la nature ainsi que le volume sonore des insectes (en particulier des grillons). Les principaux protagonistes sont souvent au volant de leur véhicule et sillonnent une ville dont les rues sont quasi désertes (ce qui alimente encore la sensation de malaise) et semblent fatigués avec les plans récurrents de leurs réveils. Jean-Marc Vallée n’avait jamais travaillé sur quelque chose d’aussi sombre ; ce projet, qui lui fut proposé par Amy Adams, l’effraya  « mais aiguisa sa curiosité[121] ». Afin de se préparer au mieux, il exigea un laps de temps supplémentaire, une demande qui créa des tensions parce qu’il avait un délai à respecter et qu’il insistait, confia-t-il[122]. La réalisation nécessita pas moins de 182 jours de tournage sur vingt mois ; l’une des interprètes, Eliza Scanlen, relata que l’ambiance sur le plateau fut légère et joyeuse, le metteur en scène « une jeune âme » qui exprime toujours « une grande joie de vivre » dit-elle, organisait des fêtes chaque mois avec toute l’équipe du film[123].

Camille ne se retrouve pas à Wind Gap par hasard. C’est Frank Curry (Miguel Sandoval), le rédacteur en chef de son journal, qui l’envoie dans sa ville natale pour l’aider justement à surmonter un passé difficile et douloureux qui sera révélé bribe par bribe. Il est très attentionné, le seul d’ailleurs avec son épouse à se préoccuper du  bien-être mental de sa protégée ; il la contacte régulièrement afin de l’encourager dans son enquête  (sur deux crimes) en dépit des difficultés rencontrées et lorsqu’elle éprouve le désir de tout abandonner. Camille, qui semble toujours dans un état d’épuisement chronique, est alcoolique ; elle transvase discrètement de l’alcool (vodka) dans une bouteille d’eau qu’elle ingurgite le plus souvent en conduisant sa voiture (une vielle Volvo), mais également en prenant son bain et fréquente assidûment les bars (sa mère ainsi que la plupart des habitants de la ville ont souvent un verre à la main, les adultes comme les adolescents). Depuis longtemps, Camille, qui confie aimer la couleur noire et la nuit, s’automutile avec une lame de rasoir en gravant des mots dans sa propre chair (seuls sont épargnés son visage et un petit rond au centre du dos). Ces scarifications qui sont distillées tout au long du récit et dont certaines constituent le titre de chaque épisode (« Disparition », « Epave », « Réparation », « Charogne », « Contact », « Cerise », « Chute », « Lait ») lui permettent d’extérioriser tout son mal-être et racontent des pans de son histoire personnelle. Camille dissimule ses cicatrices, elle est toujours vêtue d’un pantalon et d’un pull en plein été tandis que les autres femmes qu’elle côtoie dans la ville sont en robe légères dévoilant leur peau. Elle n’est évidemment pas une inconnue à Wind Gap où elle retrouve d’anciennes connaissances de jeunesse où les signes d’amitié sont rares. Toutes sont mariées et mères de famille, un contraste avec sa solitude et sa vie sentimentale qui est proche du néant (durant son séjour à Wind Gap, s’ensuivront néanmoins deux rapports sexuels, l’un plutôt bestial avec Richard, le lieutenant de police, et un autre bien plus empreint de tendresse et de sensualité avec John Keene, l’un des suspects des crimes commis). On sait qu’elle a quitté cette ville et son milieu familial lorsqu’elle était une jeune adulte refusant d’être sous la coupe d’une mère surprotectrice, très exigeante ; et c’est à contrecœur qu’elle séjourne dans la splendide demeure familiale de style colonial à la décoration très raffinée[124]. La reporter est littéralement assaillie et happée par son passé qui ressurgit sous forme de fréquents flashbacks (l’outil de prédilection du réalisateur) la plupart du temps furtifs avec les visions de sa sœur Marian, faible et maladive dont elle était proche et qui est décédée sous ses yeux dans des circonstances plutôt mystérieuses (une disparition dont elle ne s’est jamais remise), son séjour en hôpital psychiatrique où elle vécut un traumatisme, le suicide d’Alice, une jeune toxicomane qui partageait sa chambre et avec laquelle elle s’était liée ; son viol en réunion par des footballeurs durant son adolescence dans une cabane sordide dans la forêt. Pour préparer minutieusement son rôle, Amy Adams consulta Gillian Flynn qui lui remit les ouvrages  lui ayant servi de références pour l’écriture de son roman dont un récit de témoignages intitulé « A Bright Red Scream » de la journaliste américaine Marilee Strong sur les personnes qui se scarifient ; ce fut une aide précieuse puisqu’elle ignorait tout de ce comportement, révélateur de souffrances psychiques.[125] Le metteur en scène fut « époustouflé » par le jeu de l’actrice et salua son courage,  son humilité et son humanité[126].

Le cœur du récit, ce sont les mœurs familiales et les multiples facettes des principaux personnages (qui sont assez démoniaques) qui gravitent autour de Camille (dont le cinéaste adopte les perspectives le plus souvent possibles) :

-Adora Crellin (Patricia Clarkson[127]), la matriarche de la famille est une femme mondaine, très soucieuse de sa réputation ; elle a le statut de reine mère dans la ville. D’une froideur effrayante avec sa fille aînée, elle apparaît le plus souvent dans une ambiance sombre (à l’extérieur, elle porte un large chapeau) et tient des propos délétères et odieux envers Camille : « Je ne peux m’empêcher de penser que tu pues la charogne » ; « Je crois que je ne t’ai jamais aimé ».

-Amma (Eliza Scanlen, l’actrice australienne est incontestablement la révélation de la série), la demi sœur de Camille est une étrange lolita dont le comportement est des plus troublants, menant en quelque sorte une double vie. Par moments, elle présente l’apparence d’une petite fille modèle, sage, docile, vertueuse ; le plus souvent dans les jupes de sa mère, l’adolescente est obnubilée par sa maison de poupée (qui revient de manière récurrente tout au long du récit). Mais tel le dieu Janus, elle arbore un tout autre visage en dehors du foyer familial. Rebelle, elle n’écoute rien et camoufle bien des choses à sa génitrice, comme la possession d’un second téléphone portable ou ses escapades nocturnes où elle arpente en mini-jupes de plus en courtes les rues de la ville en patins à roulettes avec ses amies. Elle est alors délurée, tyrannique et tombe dans la dépravation (alcool, drogue, etc…). « Je suis une poupée que maman habille, je suis incorrigible comme toi » dit-elle à son aînée. Si les deux sœurs qui se connaissent peu s’accordent des parenthèses de douceur et d’affection, Camille est souvent déconcertée par l’attitude de sa cadette qui est sujette à des sautes d’humeur qu’elle ne comprend pas toujours. Quant à leur mère, elle considère que Camille est un mauvais exemple et qu’elle exerce une mauvaise influence sur Amma.

-Alan (Henry Czerny) le beau-père solitaire est toujours en retrait, soumis à son épouse qu’il ne contredit jamais frontalement.  Il refuse d’affronter la réalité et se coupe du monde avec le casque de sa chaîne hi-fi sur les oreilles (et écoute entre autres, la bande originale des Parapluies de Cherbourg, ou encore Les Moulins de mon cœur de Michel Legrand). Il est aux antipodes d’Adora qui est totalement déconnectée de la musique.

Camille est de retour sans plaisir dans sa ville natale pour couvrir deux crimes abjects, deux fillettes, Ann Nash et Natalie Keene ont été étranglées, non violées, mais mutilées ; plusieurs de leurs dents ont été extraites de leur mâchoire (ce qui suppose une force physique). Tout au long de la narration, des investigations sont menées par la police locale, le shérif, Bill Vickery (Matt Graven) et par un jeune lieutenant venus du Kansas, Richard Willis (Chris Messina) lesquels ne partagent pas le même point de vue sur les infanticides. Le premier considère que de tels crimes sont vraisemblablement le fait d’étrangers à la ville ou de marginaux tandis que le second (dont la présence est rejetée par les habitants de Wind Gap) penche plutôt pour des meurtres perpétrés par des autochtones, des citoyens bien établis. Mais les deux policiers semblent du moins convaincus que seul un homme peut être à l’origine de telles atrocités ; un sentiment que ne partage cependant pas Camille qui s’évertue à remettre en cause cette conviction. Quoiqu’il en soit des rumeurs et soupçons pèsent dans un premier temps sur Bob Nash, le père de la première fille assassinée, pour être ensuite dirigés sur John Keene, le frère de la seconde victime. L’enquête n’est pas vraiment approfondie, elle patine et semble s’enliser. On apprend dans l’épisode final qu’Adora souffre du syndrome de Müchhaussen par procuration (« il s’agit selon la définition donnée par Marc D. Feldman, professeur de psychiatrie à l’Université d’Alabama d’un trouble par lequel une personne, généralement la mère, feint, exagère ou provoque la maladie chez quelqu’un d’autre – Camille en subira d’ailleurs les conséquences durant son séjour lorsqu’elle ingurgitera une potion préparée par sa mère composée d’antigel et de mort aux rats- afin d’obtenir une gratification émotionnelle[128]). Mais ce n’est pas la révélation essentielle ; dans un retournement spectaculaire, l’auteur des meurtres des deux filles n’est dévoilé que dans les scènes post-génériques du dernier épisode (« Lait ») ; une fin qui diffère d’ailleurs quelque peu du roman d’origine. Mais pour entretenir le suspense une kyrielle d’indices sont disséminés au fil des huit épisodes dont celui de la Dame Blanche. La série porte un regard sur la violence entre les femmes, une démarche bien peu commune ; elle brise ainsi les représentations de la figure féminine trop souvent réduite à l’ingénue, à la femme fatale, vertueuse, volage, ou débauchée en montrant sans ambages que le sexe féminin peut être aussi féroce, nuisible et pernicieux que son homologue masculin.

Des différends sont survenus entre le cinéaste et Marti Noxon qui portèrent essentiellement sur les dialogues (les nuances linguistiques). La scénariste considérait que Jean-Marc Vallée ne partageait pas le même amour de la langue anglaise qu’elle (insinuant qu’il prendrait des libertés avec le texte du scénario) ; mais elle reconnut son immense compréhension des personnages féminins ainsi que la méticulosité de son montage[129]. Le réalisateur minimisa les désaccords, expliquant qu’il tenait particulièrement aux mots et qu’il fut précis sur ce point avec les acteurs[130].  Quant au devenir de la série, elle n’aura pas de suite,  Amy Adams fut particulièrement tourmentée par son rôle et souffrant d’insomnie, elle ne souhaita pas se projeter dans une deuxième saison.

Conclusion

C’est un homme discret, au parler doux et lent (ce qui est frappant lors de ses diverses entrevues), un artiste perfectionniste qui ne lâchait jamais prise, souligne Patrice Vermette (concepteur visuel sur « C.R.A.Z.Y », « Café de Flore ») qui s’est éteint. Jean-Marc Vallée n’a jamais approché le cinéma en se disant : je vais faire du box-office ; il créa les scénarios, et les scènes qu’il désirait voir en film : « je veux me faire plaisir d’abord » affirmait-il[131]. Un talent à nul autre pareil pour reconstituer des atmosphères, ou peindre la chronique d’une époque. Il cherchait aussi de belles histoires : « ça ne veut pas dire que je cherche le beau, la beauté on la retrouve dans la souffrance, dans la misère, dans la bêtise, dans le pardon aussi » indiquait le metteur en scène à propos de Cheryl dans « Wild ». Cet indéniable amoureux de la musique n’oublia pas les talents musicaux de son pays, il révéla ainsi la musicienne Alexandra Stréliski en plaçant plusieurs de ses compositions dans certaines de ses réalisations (un extrait de Pianoscope, son premier opus, dans « Démolition », plusieurs pièces de son second album, Inscape, dans quelques épisodes de « Sharp Objects ») ; une consécration pour cette jeune compositrice qui rêvait depuis toujours de faire de la musique de films. Il apporta aussi un appui aux jeunes réalisateurs ; durant l’année 2021, il avait été  particulièrement enthousiasmé par le long métrage documentaire, « Comme la vague » de Marie-Julie Dallaire au point que lorsqu’il fut invité par la réalisatrice québécoise à visionner le montage, il proposa immédiatement de s’associer à ce projet au titre de directeur exécutif et s’engagea à ouvrir son carnet d’adresse dans le milieu du septième art pour assurer au mieux la promotion de ce film, qui est une ode à la musique.  L’un des derniers coups de cœur de Jean-Marc Vallée pour un film fut également le documentaire de Dominic Lelerc, « Les Chiens-Loups », avec Alexandre Castonguay qui passa six mois dans une école primaire à Rouyn-Noranda afin d’enseigner aux élèves le sens du mot liberté  (en s’appuyant sur la fable de La Fontaine, Le Loup et le Chien).

Si durant sa longue carrière, Jean-Marc Vallée mena à terme de nombreux projets cinématographiques et télévisuels, il fut néanmoins contraint de renoncer (l’épisode fut douloureux) à la réalisation de l’un d’entre eux consacré à la chanteuse américaine, Janis Joplin (décédée en 1980 d’une overdose à l’âge de 27 ans). Le long métrage devait s’intituler « Get It While You Can » (avec Amy Adams pour camper l’égérie de Woodstock) ; le producteur Ron Terry fit valoir que Vallée était la personne idoine pour réaliser ce film car il s’intéressait avant tout à la dimension musicale tandis que d’autres cinéastes voulaient aborder le film plutôt à partir de la vie de l’icône du rock[132] (Vallée inséra l’un des titres de Janis Joplin, « Call on Me », dans « Big little lies »). En 2018, après le succès d’audience et critique de « Big Little lies », Jean-Marc Vallée fonda avec Nathan Ross[133] sa propre société de production intitulée « Crazyrose » (pour la conception d’œuvres tant cinématographiques que télévisuelles) ; en 2021, les deux associés conclurent un partenariat de trois ans avec HBO et HBO Max.

Triste ironie, c’est le jour de Noël que Vallée quitta subitement ce monde (on pense aux dernières secondes du générique qui clôture « Café de Flore » où un avion explose en plein vol dans un ciel bleu azur) ce jour que maudissait tant Zachary dans « C.R.A.Z.Y », le film qui révéla le réalisateur sur l’ensemble de la planète. Cette figure majeure du cinéma québécois qui détestait parler de lui[134] reçut l’insigne de l’Ordre des arts et des lettres du Québec en 2018 et celui d’officier de l’Ordre national du Québec deux ans plus tard. Sa disparition est d’autant plus cruelle qu’il avait encore tant à raconter avec de nombreuses propositions dans sa besace. Parmi ceux-ci un long métrage narrant la mythique romance entre John Lennon et Yoko Ono (il rencontra cette dernière à New York dans son appartement durant une vingtaine de minutes ; elle lui ouvrit ses archives[135]). Il s’était attelé à l’écriture du scénario durant la pandémie de la Covid-19 à partir d’un premier jet d’Anthony McCarten[136] et précisait que ce film de trois heures « serait épique et aussi assez casse-gueule[137] ». Il devait également, en autres, s’atteler à la réalisation d’une autre minisérie : « Gorilla and the Birds » (commandée par HBO) tirée des mémoires éponymes de Zach McDermott (relatant l’amour inconditionnel d’une mère pour son fils bipolaire). On pleurera longtemps Jean-Marc Vallée, mais son œuvre continuera de briller, d’accaparer l’attention de nouvelles générations de cinéphiles passionnés de musique et ne manquera pas d’influencer et de nourrir les productions de nouveaux metteurs en scène. On regrettera que son nom ne puisse figurer parmi les lauréats du prix Albert-Tessier ; cette haute distinction, décernée par le gouvernement du Québec, ne peut malheureusement pas être attribuée à titre posthume. Mais il ne serait pas incongru qu’un prix lié au cinéma portât le nom du maestro[138], l’hommage serait ainsi à la mesure du créateur phénoménal qu’il fut.

Notes

[1] Alex Vallée est acteur (il a joué dans plusieurs séries télévisées dont « Mémoires vives » et dans le  film « Starbuck » de Ken Scott (2012) ; Émile Vallée est monteur (« Sharp Objects » aux côtés de son père ; « The Gentle Art of Violence » d’Andrew Przybytkowski.

[2]  Manon Dumais, grande entrevue avec Jean-Marc Vallée, www.fcvq.ca, 20 septembre 2020.

[3] Il a continué ces dernières années entre deux films à tourner des publicités (promotion du lait en 2012 et 2013). Il a également offert ses services à Leucan (un organisme qui soutient, au Québec, les enfants atteints de cancer) en mettant en scène en 2012 durant une minute, le retour en classe d’un garçon de 13 ans qui a perdu ses cheveux suite à une chimiothérapie et qui est surpris de découvrir que tous ses camarades ainsi que son professeur arborent  une tête rasée. Il tourna à Paris, une publicité avec Charlotte Rampling pour une compagnie d’assurance française, Annabelle Nicoud, « Jean-Marc Vallée prépare son café de Flore », www.lapresse.ca, 30 octobre 2009.

« Démolition ».

[5] « Wild ».

[6] « Café de Flore ».

[7] Rencontre entre Michel Lacombe et le cinéaste Jean-Marc Vallée, audiofil (54 minutes) https://ici.radio-canada.ca, mars 2017.

[8]  Marie-claude Lortie, « Petites grandes vérités sur Jean-Marc Vallée », www.lapresse.ca, 10 décembre 2017.

[9] L’album est sorti en 1977.

[10] Manon Dumais, grande entrevue avec Jean-Marc Vallée, op. cit.

[11] Ismaël Houdassine, « Jean-Marc Vallée, réalisateur mélomane », www.journaldemontreal.com, 28 février 2015.

[12] Ibidem.

[13] Ce vers est issu du poème Art poétique (recueil Jadis et Naguère), 1884.

[14]  Normand Provencher, « Café de Flore : exorciser le mal d’amour », www.lesoleil.com, 21 septembre 2011.

[15] Interview de Jean-Marc Vallée, réalisé dans les studios de Bry-sur-Marne, novembre 2010.

[16] « Jean-Marc Vallée donne une classe de maître sur le court-métrage », www.journaldemontreal.com, 3 août 2012.

[17] La chanson a été écrite par Willie Nelson et fut enregistrée  en 1961 ; ce fut le plus  grand succès de la carrière de Cline.

[18] Marc-André Grondin qui campe le personnage adolescent et adulte a joué de la batterie dans deux groupes (Nitrosonique et The Adam Brown).

[19] Odile Tremblay, « Jean-Marc Vallée de marge et de rage », www.ledevoir.com,  26 octobre 2013.

[20] François Houde, « Café de Flore : le film d’un indémodable romantique », www.lenouvelliste.ca, 17 septembre 2011.

[21] Premier morceau de l’album, « In Through the Out Door ».

[22] Secrets de tournage, anecdotes du film C.R.A.Z.Y, www.allociné.fr.

[23] Isabelle Massé, « Comment les Stones ont appris à compter », www.lapresse.ca, 9 juin 2013.

[24] Ecrit par Julian Fellowes, (créateur de « Downton Abbey »), le récit effleure les intrigues politiques et fait la part belle à la romance entre Victoria et le prince Albert.

[25] Il avait également assisté à un concert privé du groupe, Anabelle Nicoud, « Jean-Marc Vallée peaufine sa Victoria » www.lapresse.ca, 26 août 2008.

[26] Helen Faradji, « Les cinq secrets de la jeune Victoria », http://ici.radio-canada.ca, 25 mai 2019.

[27] Le film coproduit par Scorsese, Graham King (qui avait été soufflé  par « C.R.A.Z.Y ») et la duchesse d’York (Sarah Ferguson) a reçu l’Oscar des meilleurs costumes en 2010.

[28] Https://www.reseau.libellu.fr.

[29] www.theatlantic.com, 13 août 2018.

[30] Ainsi le Hollywood Reporter, qui jugea le film raté, souligna avoir été séduit par la bande-son, « une de ses grandes forces », Maxime Demers, « Café de Flore applaudi  à Venise », www.journaldemontreal.com, 3 septembre 2011.

[31] Un album sorti en 1973 qui marque le basculement du groupe à un rock magistral.

[32] « Shine On You Crazy Diamond » ; « The great Gig in the Sky ».

[33]  Fionat Ipert, « Jean-Marc Vallée : Choisir son film, c’est choisir sa vie », www.journaldesfemmes.fr, 29 mars 2016.

[34] Marc André-Lussier, « WILD des résonnances personnelles »,  www.lapresse.ca, 8 décembre 2014.

[35]  Il fut également son collaborateur photo sur « Dallas Buyers club », « Démolition » et les deux miniséries télévisées.

[36]  Iris Mazzacurati,  « Vanessa Paradis : je ne suis jamais choisie aux castings », www.lexpress.fr, 24 janvier 2012.

[37]  Manon Dumais, grande entrevue avec Jean-Marc Vallée, op. cit.

[38]  « Démolition », Notes de production, epixod.blogspot.com, 24 mars 2016.

[39] Manon Dumais, grande entrevue avec Jean-Marc Vallée, op. cit.

[40]  Anaïs Tilly, « Sharp Objets en six points  clés », www.courte-focale.fr, 12 septembre 2018.

[41]  Manon Dumais,  grande entrevue avec Jean Marc Vallée, op. cit.

[42] Ibidem.

[43] Martin Bilodeau, « Le réalisateur Jean-Marc Vallée à la conquête de l’Amérique », https://lactualite.com, 8 novembre 2013.

[44] Ce studio spécialisé en effets visuels numériques et services de postproduction a  été créé en 1997 par Marc Côté.

[45] Marie-Claude Lortie, « Vallée : l’artiste des soupirs et du silence », www.ledroit.com, 27 décembre 2021.

[46] « Jean-Marc Vallée donne une classe de maître sur le court-métrage », www.journaldemontréal.com, 3 août 2012.

[47] Film aux cinq Oscars en 2000  (Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur, Meilleur scénario original, Meilleure photographie).

[48] Samuel Flagueul, « Entretien avec Jean-Marc Vallée, C.R.A.Z.Y »,  Ciné-Bulles, Volume 23, n° 2, printemps 2005, p. 2-7.

[49] Une des ruelles de la cité des alizés présentait une forte similitude avec la via Dolorosa à Jérusalem (soit selon la tradition, le chemin que Jésus emprunta avant la crucifixion), ibidem.

[50] Les acteurs fumaient en réalité des cigarettes sans tabac, la fumée fut ajoutée en postproduction, André Péloquin, « C.R.A.Z.Y a 10 ans : voici dix choses que vous avez oubliées à propos du film », www.journaldemontréal.com, 26 mai 2015.

[51] L’acteur incarne Raymond de l’âge de 22 à 28 ans.

[52] Terme familier pour désigner une fille ou une fillette.

[53] Samuel Flagueul, op. cit.

[54] Sorti en novembre 1969.

[55] Daniel Salvatore Schiffer (auteur du Petit éloge de David Bowie) cité par Mathilde Serrell, « 1969/ Space Oddity de David Bowie, l’extraterrestre de la pop », www.franceculture.fr, 21 juin 2019.

[56]  6ème album sorti en 1973.

[57] Un artiste qui a connu une grande popularité dans les années 70.

[58] Marie-Claude Lortie, « Vallée : l’artiste des soupirs et du silence », op. cit.

[59]  Il n’y avait ni le temps ni l’argent pour d’autres prises, précisa le réalisateur.

[60] Samuel Flageul, printemps 2005, op.cit.

[61] Un monstre sacré marocain du théâtre et du cinéma, décédé en  janvier 2013.

[62] Rencontre avec Marc Côté, directeur des effets visuels de C.R.A.Z.Y, http://id.erudit.org/iderudit/33184ac.

[63] Prix qui sont désormais remplacés par les prix Iris.

[64] Ces récompenses décernées de 1980 à 2013 par l’Académie canadienne de cinéma et de la télévision ont été remplacées par les prix Ecrans canadiens.

[65]  La Bobine d’or a été remplacée par le prix Ecran d’or Cineplex.

[66] Elisabeth Lepage-Boily, www.cinoch.com, 25 avril 2015.

[67] Maxime Blanchard, « Le Québec libre : C.R.A.Z.Y  de Jean-Marc Vallée », French Forum, vol.34, n°  3, pp. 101-119, 2009.

[68] Victor Léon Cardinal, « Marc-André Grondin revient sur l’impact de C.R.A.Z.Y », 4 octobre 2021.

[69] André Duchesne,  « Café de Flore : d’une mélodie surgissent les images », www.lapresse.ca,17 septembre 2011.

[70] François Lévesque, « Jean-Marc Vallée : faire fi des airs connus », www.ledevoir.com, 17 septembre 2011.

[71] Le cinéaste a toujours apprécié les films comme « Sixth Sense » de M. Night Shyamalan, « The Others » d’Alexandro  Amenabelar. …..

[72] On relève trois à quatre minutes de silence complet.

[73] Auteur, compositeur, interprète québécois, il était plutôt inexpérimenté devant la caméra. L’artiste œuvra néanmoins pour relever le défi. Il travailla son accent pour perdre celui de la Gaspésie, Manon Dumais, grande entrevue avec Jean-Marc Vallée, op. cit.

[74] Jean-Marc Vallée, classe de maître, 2012,  https://vimeo.com/52613109.

[75] Ibidem.

[76] Le choix de ce prénom n’est pas le fruit du hasard, il s’agit du prénom de la mère du réalisateur qui est décédée lors du tournage du film.

[77] Le metteur en scène n’était pas au départ persuadé que Vanessa Paradis puisse endosser le rôle parce qu’il estimait que l’actrice représentait trop la sensualité et la perfection ;  après l’avoir rencontré,  il tomba sous son charme et fut séduit par sa vision du personnage qu’il partageait.  L’actrice dit avoir été profondément bouleversée par la lecture du scénario.

[78]  L’appartement a été minutieusement reconstitué en studio par l’équipe du film.

[79] Nicolas Schaller, Jean-Marc Vallée : «  La séquence debriefing », www.nouvelobs.com, 23 octobre 2014.

[80] Elisabeth Lepage-Boily, « Jean-Marc Vallée parle de Café de Flore », www.cinoche.com, 22 septembre 2011.

[81] Elle travailla également comme directrice de casting sur le film.

[82] DVD Café de Flore, « Fin alternative » commentée par Jean-Marc Vallée.

[83] On notera que « C.R.A.Z.Y » avait été présenté dans la même section quelques années auparavant.

[84] Meilleure actrice aux Genie Awards 2012 ; Jutra 2012 de la meilleure actrice (Québec).

[85]  Thomas Sotinel : « Une bouillie mystique et moderne », www.lemonde.fr, 24 janvier 2012 ;  Cécile Muray : « Un épuisant yoyo temporel alourdi par une mise en scène tape à l’œil », www.telerama.fr, 24 janvier 2012 ; Jean-Marc Lalanne : « Trop long et tarabiscoté », www.lesinrocks.com, 24 janvier 2012.

[86] Maxime Demers, « Un film d’amour qui flirte avec le fantastique »,  www.journaldemontréal.com, 9 septembre 2011.

[87] Craig Borten, qui est aussi acteur, joue le rôle d’un cow-boy dans le film de Jean-Marc Vallée.

[88] Administration des aliments et des médicaments.

[89] Rencontre entre Michel Lacombe et le cinéaste Jean-Marc Vallée, op. cit.

[90] À noter que Jared Leto dans « Requiem for a Dream » de Darren Aronofsky » avait perdu 13 kilos pour camper un toxicomane qui s’autodétruisait ; dans « Chapitre 27 » de Jarett Schaefer, où il incarnait Mark Chapman (le meurtrier de John Lennon), il avait entrepris une transformation inverse en prenant 30 kilos et ceci en absorbant notamment des glaces au chocolat mélangées à du soja et de l’huile d’olive.

[91] Ce fut le premier des douze Buyers clubs qui permirent aux séropositifs américains de se fournir en médicaments antirétroviraux à l’étranger.

[92] Martin Bilodeau, « Le réalisateur Jean-Marc Vallée à la conquête de l’Amérique », https://lactualité.com, 8 novembre 2013.

[93] Odile Tremblay, « Jean Marc Vallée de marge et de rage », op. cit.

[94] Patrick  Thévenin, « Que reste-t-il des années sida ? », Les Inrocks, n°7, février 2022.

[95] Il s’inspira du nom du personnage, Randall P. McMurphy, joué par Jack  Nicholson dans « Vol au-dessus d’un nid de coucou »  de Milos Forman.

[96] Citation d’Emily Dickinson, poétesse américaine, insérée dans le film.

[97] L’ouvrage fut publié en France sous l’intitulé « Wild : marcher pour se retrouver ».

[98] L’actrice âgée de 38 ans décrocha l’Oscar de la meilleure actrice en 2006 pour sa prestation dans « Walk The Line » (un biopic musical)  de James Mangold.

[99] Elle avait acquis les droits du roman avant même la parution de l’ouvrage.

[100] Chaque année, 300 personnes venues du monde entier tentent de boucler ce périple, Khadija Moussou, « Wild : Reese Witherspoon mérite-t-elle vraiment l’oscar ?  », www.elle.fr.

[101] L’actrice dégage beaucoup d’humanité et d’émotions, son interprétation tout en subtilité lui a valu une nomination pour le meilleur second rôle aux Oscars.

[102] Rencontre entre Michel Lacombe et le cinéaste Jean-Marc Vallée, op. cit.

[103] Hubert Lizé, « Démolition : plus dure sera la chute », www.leparisien.fr, 6 avril 2016.

[104] À noter que Chris Cooper jouait le père de Jake Gyllenhaal dans « Ciel d’octobre » (1999) de Joe Johnston.

[105] Elle a été remarquée devant l’œil de la caméra de réalisateurs prestigieux : David Lynch (« Mulholland Drive ») ; Alejandro Inarittu (« Birdman », « 21 Grammes ») ; David Cronenberg (« Les promesses de l’ombre ») ; Michael Haneke (« Funny Games ») …

[106] Notes de production, epixod.blogspot.com, 24 mars 2016.

[107] Jean-Michel Comte, « Démolition », www.francesoir.fr, 5 avril 2016.

[108] « Démolition », Notes de production, op. cit.

[109] Jean-Michel Comte, op.cit.

[110] Source d’inspiration de John Steinbeck.

[111] « Musique Big Little Lies : qui chante le générique de la série avec Nicole Kidman ? », www.chartsinfrance.net, 25 août 2020.

[112] Meilleure minisérie ; meilleure actrice, Nicole Kidman ; meilleure actrice dans un second rôle, Laura Dern ; meilleur acteur dans un second rôle, Alexander Skarsgard.

[113] Chris O’ Falt, « Andrea Arnold’s loss of creative control », www.indiewire.com, 12 juillet 2019.

[114]  Pierre Langlais, « Big Little Lies : les producteurs auraient-ils menti à la réalisatrice de la saison 2 », www.telerama.fr, 16 juillet 2019.

[115] Littéralement, Objets tranchants.

[116] Gillian Flynn (qui est également productrice de la série) est l’auteur de « Gone Girl » qui fut adapté sur grand écran par David Fincher en 2014.

[117] Elle fut également scénariste sur les séries suivantes : « Buffy contre les vampires » ; « Grey’s Anatomy » ; « Glee » ….

[118] Elle a également tourné avec un autre réalisateur québécois, en l’occurrence, Denis Villeneuve dans « Premier Contact ». À noter que Camille adolescente est incarnée par Sophia Lillis (révélée dans « Ça », chapitre 1).

[119] Amy Adams expliqua qu’elle avait envie d’user de cette position pour introduire plus de diversité et aider à lancer de nouveaux talents,  Constante Jamet, « Amy Adams : jouer l’héroïne de Sharp Objects a été libérateur », https://tvmag.lefigaro.fr, 15 août 2018.

[120] C’est Barnesville en Géorgie qui devint Wind Gap.

[121]  Virginie Nussbaum, « Sharp Objects, la noirceur au féminin », www.letemps.ch, 13 juillet 2018.

[122] Delphine Rivet, « Jean-Marc Vallée réalisateur sur Sharp Objects », https://biinge.kobini.com, 19 juillet 2018.

[123] « Sharp Objects, analyse de la série avec Amy Adams, Patricia Clarkson et Eliza Scanlen », www.youtube.com, 10 septembre 2018.

[124]  Si la maison a été  trouvée en Californie, les intérieurs (une création de John Paino) ont été reconstitués en studio à Los Angeles.

[125] Constante Jamet, « Amy Adams : Jouer l’héroïne de Sharp Objects a été libérateur », https : //tvmag.lefigaro.fr, 15 août 2018.

[126] Delphine Rivet, « Jean-Marc Vallée, réalisateur sur Sharp Objects », op.cit.

[127] Pour ce rôle, Patricia Clarkson remporta en 2019, le Golden Globes de la Meilleure actrice pour un second rôle dans une série.

[128] Thomas Andrei, « La série Sharp Objects est-elle psychologiquement crédible ? », www.slate.fr, 9 septembre 2018.

[129] « Sharp Objects : des tensions entre la scénariste et Jean-Marc Vallée ? », Radio-Canada.ca, 3 juillet 2018.

[130] « Jean-Marc Vallée brille dans la noirceur de Sharp Objects », https// ici. Radio-canada.ca, 6 juillet 2018.

[131] Marc Thibodeau, « Jean-Marc Vallée fait son cinéma … en musique », www.lapresse.ca, 27 novembre 2010.

[132] Maxime Demers, « Vallée : le bon choix selon le scénariste de Janis Joplin », www.journaldemontreal.com, 1er décembre 2014.

[133] Il était également producteur exécutif sur « Dallas Buyers Club » et « Wild ».

[134] Marie-Claude Lortie, « Vallée : l’artiste des soupirs et du silence », op. cit.

[135]  Marc-André Lussier, « Jean-Marc Vallée : la quête d’équilibre », www.presse.ca, 27 octobre 2019.

[136] Romancier, scénariste et dramaturge  néo-zélandais.

[137]  Charles Blais-Poulin, www.lapresse.ca, 29 décembre 2021.

[138] Quelques jours après le décès du réalisateur, un internaute avait suggéré que les prix Iris, décernés par le Gala Québec Cinéma, soient renommés prix Vallée, Sarah Rahmouni, www.ledevoir.com, 29 décembre 2021.

JGAMains Libres

Laurent Beurdeley est Maitre de conférences à l’Université de Reims, ses travaux de recherches portent sur le Maghreb, les sexualités et les questions de genre (il a notamment publié, « Le Maroc, un royaume en ébullition, éditions Non Lieu). Passionné de cinéma, il a esquissé un portrait de Xavier Dolan (« L’indomptable », éditions du Cram, 2019) et rédige des chroniques de films.