Un cheval blanc saute élégamment par-dessus une clôture avec grâce.

À l’ombre du château. [Conte] (Texte no. 10)

Le lendemain, en suivant un rituel pratiqué depuis un temps immémorial, Nékolia demanda à Ésiom de s’asperger à tous les matins durant sept jours avec l’eau du petit étang et de garder le silence le reste de la journée. La semaine suivante, après l’avoir revêtu d’une tunique en lin et de sandales en cuir, il le conduisit à une première source ayant la vertu de faire oublier les opinions passées, puis à une seconde, ayant celle de faire retenir ce qui allait être vu et entendu. Il l’amena ensuite au pied d’un grand arbre où il lui demanda, en aspirant, d’imaginer un rayon de lumière rouge en provenance du centre de la Terre, qui monte et se diffuse dans tout son corps puis, en expirant, qui retourne à sa source abyssale. Ésiom était maintenant prêt pour l’étape ultime.

Nékolia conduisit enfin le jeune homme devant une grosse pierre sous laquelle une cavité de la grandeur d’un tombeau laissait échapper un mince filet de fumée blanche. Conformément aux directives, Ésiom descendit dans l’ouverture les pieds en premier. Après un court moment, il entra en transe. Il vit alors en rêve Marguerite et Érinée dans un nimbe multicolore et ressentit puissamment leur amour inconditionnel. Sans attendre, Nékolia sortit le jeune homme du mini sépulcre en le tirant par les épaules. En s’éveillant, celui-ci se souvint de l’enfant aimé qu’il avait été et qui, déjà, préférait dans ses jeux se passer de la compagnie d’autres enfants. Ce garçon solitaire allait toujours demeurer dans le cœur d’Ésiom, mais sans l’empêcher désormais d’assumer son destin. Toute sa vie, à sa manière, celui-ci avait lutté contre une réalité trop étroite, mais cet idéal, tout individuel qu’il fut, allait désormais profiter à tous les sujets du royaume.

— Le temps est venu d’aller rencontrer Sophiana, plus loin dans la forêt, déclara le Maître.

— Qui est-ce ? demanda Ésiom.

— Mon initiatrice, répondit laconiquement l’homme à la barbe blanche.

Le long d’un étroit sentier, des chênes séculaires traversés ici et là par des rayons de soleil donnaient l’impression d’une cathédrale édifiée à la gloire de l’Univers. Au bout de quelques heures, comme une brèche dans une muraille en bois, les deux hommes aperçurent une petite clairière. Non loin de là, assise devant sa hutte, Sophiana les attendait. Elle portait une longue robe blanche en lin sur laquelle un pendentif en bronze scintillait. Sur celui-ci, figuraient des rayons entourant une planète, symboles de Mondes réchauffés par des soleils. À l’annulaire gauche, elle portait une bague en argent et, au majeur, un cristal enchâssé dans un anneau d’argent. À son poignet droit, elle arborait un bracelet gravé d’un serpent, symbole de la Connaissance. C’est dans la forêt qu’elle puisait son énergie et trouvait la force de jouer son rôle de prêtresse et d’initiatrice. En l’apercevant, Ésiom eut le sentiment de vivre un moment important.

Sans dire un mot, la femme examina le jeune homme. Elle avait les mêmes yeux verts et le même regard étrange que Nékolia. Elle apposa les mains sur la tête de son jeune visiteur, qui se sentit aussitôt irradié d’une puissante énergie. Comme une bonne artisane, mais avec des outils invisibles, elle nettoya et régénéra le corps astral de celui-ci. Avec sa main gauche, elle prit la main droite d’Ésiom et, avec son autre main, dessina quelques figures dans l’espace. « Tout va bien », dit-elle, satisfaite. Nékolia remercia la femme et lui donna un petit écu en or, comme c’était la coutume. Tout en leur transmettant des victuailles, celle-ci leur souhaita bon voyage, car les deux hommes étaient attendus. Avant de partir, sur un ton hésitant, Nékolia confia à la prêtresse : « Je vais devoir revenir bientôt ». En prenant un air entendu, celle-ci acquiesça d’un signe de tête. Les deux voyageurs se dirigèrent prestement vers un nouveau sentier.

— Le temps est venu de quitter la forêt, dit Nékolia, d’un ton décidé.

— Je ne crois pas que les gens de Tréblinor vont me prendre pour leur futur roi, répliqua Ésiom, le sourire en coin.

— Nous allons d’abord à Vivalorium, répondit le Sage, le seigneur de l’endroit a toujours été fidèle à Charles. Aujourd’hui, il est avancé en âge et son épouse est décédée, mais il est aidé par Adélaïde et Rosemonde, ses deux grandes filles. Il aurait bien voulu mieux protéger ses vassaux, mais Ribot est trop puissant.

En quelques heures, les deux hommes atteignirent une cabane où deux Compagnons les attendaient. Après un repos mérité, ils reçurent un cadeau habituellement réservé à la noblesse : deux destriers entraînés à la guerre. Plutôt que plusieurs semaines à pied, le voyage à cheval n’allait prendre que quatre jours. Inexpérimenté, l’ancien mendiant approcha sa monture sans précaution. Le grand étalon blanc aux muscles puissants se cabra sur ses pattes arrière en dressant ses sabots avant en un mouvement circulaire, prêt à l’attaque. Ce n’était pas l’usage d’utiliser un cheval de bataille pour effectuer un simple voyage, mais, aux yeux des Compagnons, il s’agissait de tout autre chose. À suivre.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de ce conte.

Mains LibresLas Olas

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.