Une vieille église nichée au milieu d’une zone boisée sereine.

À l’ombre du château. [Conte] (Texte no. 15)

Adélaïde monta aussitôt jusqu’aux combles de la bâtisse, un endroit plus tranquille où la vue donnait au-delà du mur d’enceinte. Sur un ton décidé, Fiabbie reprit :

— Ma fille, tu sais depuis longtemps que le peuple attend d’un roi qu’il assure sa descendance. Pour rallier les forces du royaume, il est préférable que Philippe prenne épouse. Plusieurs ont remarqué l’intérêt que celui-ci te porte. Ne t’en déplaise, ma douce Adélaïde, j’ai l’intention de demander à Albéric d’encourager le dauphin à demander ta main. Tu vas faire une excellente reine : tu es brillante et courageuse, comme ta mère…

— Je sais que vous voulez le bien du royaume, père, interrompit la jeune femme, en feignant la résignation.

— C’est entendu, se pressa de répondre le châtelain, en craignant que sa fille ne change d’idée. Le royaume entier va apprécier sa reine, comme son père le fait déjà, conclut-il en tournant hâtivement les talons.

Le lendemain, Albéric convoqua Philippe à la petite chapelle, au premier étage du château. Le jeune homme était devenu familier avec cet endroit où la maisonnée se retrouvait chaque matin. Occasionnellement, à la lueur des chandelles, il s’y rendait aussi pour parler à Érinée, au pied d’un petit autel en pierre décoré d’une nappe blanche et dominé par une croix monolithe insérée dans le mur et surplombée d’un Jésus sculpté en relief. À gauche, Marie et l’enfant. À droite, une statue de Sainte Anne. Sous l’autel, des reliques de saint Polycarpe. Sans surprise, Philippe avoua son attirance pour Adélaïde. Dès le lendemain, selon la recommandation du prêtre, il alla faire la demande d’usage au châtelain, qui lui remit alors l’anneau en argent ayant servi à ses propres fiançailles.

Philippe s’était habitué à l’ordinaire du château, autant à la froideur des murailles qu’à l’animation débridée de la grande salle avec ses odeurs de bois brulé, de poisson fumé et de viande faisandée. En plus des études, des exercices militaires, de la chasse et du jeu de balle, il participait à différents rituels tantôt chrétiens tantôt païens où s’entremêlaient prières, incantations, liturgie et magie. Il avait ainsi remarqué plusieurs croyances populaires comme celle d’enterrer un mort près des reliques d’un saint pour profiter de son voisinage ou de faire des pactes avec des dieux et des génies antiques à l’aide de leurs effigies. À l’aube d’un conflit, ces pratiques allaient prendre de plus en plus d’importance, quoique moindrement chez ceux qui n’avaient pas encore connu la guerre et ses restrictions, souvent aussi meurtrières que les batailles elles-mêmes. Philippe aurait aimé vivre pour toujours à l’abri des murs de Vivalorium. Toutefois, il était résolu à aller au bout de son destin. Tout comme l’amour d’Érinée avait réchauffé sa prime jeunesse, celui tant espéré d’Adélaïde était la promesse d’une vie nouvelle. La date des fiançailles allait bientôt être annoncée.

Albéric, à la demande de son père, avait séjourné quelque temps dans un monastère durant sa jeunesse. Pôle de silence, d’activités intellectuelles et de prières, l’abbaye Montsillac était située dans une région montagneuse au nord du royaume. C’est là où, en plus de ses études en langues, en philosophie et en théologie, le prêtre avait pris contact avec l’art populaire dont l’origine remontait à l’époque romaine et plus anciennement encore. Aussi savants que pieux, les religieux de Montsillac vivaient en étroit contact avec le peuple et prenaient part à leurs joies et à leurs peines. Le jeune Albéric les avait souvent vus partager leur nourriture avec des familles réduites à la misère par des conflits privés entre grands seigneurs. En ce temps-là, le peuple attendait beaucoup des moines et des moniales. À l’instar de la noblesse et du haut clergé, les gens ordinaires connaissaient une existence tourmentée par les querelles, les guerres et les meurtres. C’est pourquoi plusieurs avaient souhaité qu’il existât des lieux où une partie de l’humanité put vivre selon le vrai idéal chrétien, comme si « l’Ordre du Monde » en dépendait. Ce fut l’origine de la profession monastique.

Comme certains cloîtres avaient dégénéré en bordels et en cavernes de voleurs, que l’Église s’employait à réformer, anticipant ainsi de quelques siècles la Réforme protestante, le père d’Albéric s’était assuré de la qualité du monastère où il avait envoyé son fils. Celui-ci souhaitait maintenant voir le dauphin profiter, au moins partiellement, de l’éducation qu’il avait reçue. À ses yeux, un souverain digne de ce nom devait être en mesure de rehausser en qualité les houleuses confrontations verbales des nobles et des bourgeois, et avoir la capacité d’aller chercher l’assentiment populaire lors des grands débats politiques. Comme aujourd’hui, les moines demeuraient liés toute leur vie à leur couvent, mais, à l’occasion, certains pouvaient quitter temporairement l’abri de leur communauté. En sachant cela, le prêtre de Vivalorium fit part de son projet au Supérieur de Montsillac. Quelques semaines plus tard, un pigeon apporta la bonne nouvelle : un certain père Bartholomé allait se rendre au château. À suivre.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de ce conte.

Mains LibresLas Olas

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.