Un homme habillé en moine, les mains tendues, exécutant l'ancienne pratique du conte.

À l’ombre du château. [Conte] (Texte no. 16)

Comme certains cloîtres avaient dégénéré en bordels et en cavernes de voleurs, que l’Église s’employait à réformer, anticipant ainsi de quelques siècles la Réforme protestante, le père d’Albéric s’était assuré de la qualité du monastère où il avait envoyé son fils. Celui-ci souhaitait maintenant voir le dauphin profiter, au moins partiellement, de l’éducation qu’il avait reçue. À ses yeux, un souverain digne de ce nom devait être en mesure de rehausser en qualité les houleuses confrontations verbales des nobles et des bourgeois, et avoir la capacité d’aller chercher l’assentiment populaire lors des grands débats politiques. Comme aujourd’hui, les moines demeuraient liés toute leur vie à leur couvent, mais, à l’occasion, certains pouvaient quitter temporairement l’abri de leur communauté. En sachant cela, le prêtre de Vivalorium fit part de son projet au Supérieur de Montsillac. Quelques semaines plus tard, un pigeon apporta la bonne nouvelle : un certain père Bartholomé allait se rendre au château.

Pour favoriser au plus tôt la perspective d’un nouveau royaume stable et florissant, les fiançailles allaient avoir lieu trois semaines plus tard. Adélaïde se lança donc avec fébrilité dans les préparatifs. Comme les futurs fiancés ne s’étaient jamais vus autrement qu’à une certaine distance, l’idée d’une vraie première rencontre dans un contexte à la fois solennel et festif, ne déplaisait pas à la future reine. Celle-ci souhaitait en effet que ses fiançailles soient l’occasion de la plus belle rencontre possible, prélude d’une union heureuse et féconde, surtout en ce temps où le vent de la guerre se levait. Souvent, enfant, elle avait pleuré l’absence de son père, parti au combat. Elle était consciente d’avoir possiblement à revivre le même scénario, à scruter l’horizon en espérant cette fois voir apparaître son époux, d’où l’importance particulière qu’elle accordait aux premières heures de leur union.

Nékolia mit fin à sa tournée, car il était résolu à revenir à temps pour les fiançailles. Même s’il évitait le sujet, des Compagnons l’informaient régulièrement de leurs efforts pour lever des troupes de miliciens qui, le moment venu, allaient rejoindre les armées régulières du dauphin. Le soutien populaire étonnait par son empressement. Même la florissante Abila-la-Romaine, la plus grande ville du royaume, dont les riches financiers et commerçants avaient la réputation d’être égocentriques et belliqueux, faisait montre d’un large consensus. Le souvenir de la stabilité qu’avait assurée Charles, expliquait en partie le phénomène, mais c’était aussi une question de stratégie. Maîtres des villes de leur royaume, les petits rois et les grands seigneurs pouvaient en effet décider de laisser dépérir l’une de celles-ci pour en favoriser une autre. On connaissait plusieurs exemples d’anciennes villes prospères aux rues désormais envahies par la verdure et aux maisons transformées en porcherie. La mort d’un protecteur, une bataille perdue, le transfert d’une région à un nouveau seigneur, même la mauvaise administration d’une famille régnante, pouvaient avoir de graves répercussions. Que dire de la possibilité du renversement du roi Gauzelin par l’héritier légitime du roi Charles !

Bartholomé s’approchait infatigablement de Vivalorium. En particulier lorsqu’un paysan le faisait monter sur sa charrette, il était mis au courant des dernières rumeurs. Celles-ci confirmaient l’importance et l’urgence de sa mission. Chaussé de sandales, le corps enveloppé d’une robe brune aux plis lourds retenus par une corde, le moine attirait la bienveillance et les confidences. Affable et le visage rayonnant, il n’avait rien de ces moines errants joufflus et rebondis, tenant d’une main un pâté et serrant de l’autre un gobelet. À deux jours de marche de la forteresse, il eut la confirmation des fiançailles imminentes du dauphin. Pour tous, cela signifiait que celui-ci allait bientôt réclamer son droit. Une rumeur persistante voulait que les armées de Gauzelin et de Ribot fussent sur le pied de guerre et que d’autres armées coalisées marchassent en direction de Tréblinor, sans parler des hordes de mercenaires arrivant de lointaines régions nordiques.

Prévenu de l’arrivée de Bartholomé, Fiabbie envoya des cavaliers à sa rencontre. Assis en croupe sur un puissant destrier, l’envoyé de Montsillac traversa enfin le pont-levis. À sa vue, Albéric s’inclina respectueusement, mais le moine répliqua aimablement :

— Vous voyez bien que je ne porte pas un bonnet de cardinal. Je vous en prie, redressez-vous.

— Comme je suis heureux de votre venue ! s’exclama le prêtre.

— Je crois que j’arrive à point nommé, rétorqua le moine.

— On vous a bien informé. Si vous en avez la force, vous pourrez commencer votre mission dès demain.

— S’il plaît à Dieu, j’aurai la force qu’il faut.

—Le dauphin a grand hâte de profiter de vos enseignements. Pour l’instant, permettez-moi de vous conduire à vos quartiers, conclut l’ecclésiastique, impressionné par la prestance du voyageur. À suivre.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de ce conte.

Mains LibresLe Pois Penché

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.