Deux femmes en costumes de conte debout l'une à côté de l'autre.

À l’ombre du château. [Conte] (Texte no. 17)

Prévenu de l’arrivée de Bartholomé, Fiabbie envoya des cavaliers à sa rencontre. Assis en croupe sur un puissant destrier, l’envoyé de Montsillac traversa enfin le pont-levis. À sa vue, Albéric s’inclina respectueusement, mais le moine répliqua aimablement :

— Vous voyez bien que je ne porte pas un bonnet de cardinal. Je vous en prie, redressez-vous.

— Comme je suis heureux de votre venue ! s’exclama le prêtre.

— Je crois que j’arrive à point nommé, rétorqua le moine.

— On vous a bien informé. Si vous en avez la force, vous pourrez commencer votre mission dès demain.

— S’il plaît à Dieu, j’aurai la force qu’il faut.

—Le dauphin a grand hâte de profiter de vos enseignements. Pour l’instant, permettez-moi de vous conduire à vos quartiers, conclut l’ecclésiastique.

Bartholomé n’était pas qu’un savant, il était aussi un contemplatif. Il demeurait toutefois discret à ce sujet. Depuis quelque temps, l’autorité religieuse romaine se défiait des gens prétendant faire directement l’expérience dune réalité transcendante. Elle admettait que des humains aient pu vivre une proximité affective avec Dieu, mais plus une expérience spirituelle avait lieu dans un présent proche, plus on était susceptible de la qualifier de démoniaque. On s’attachait plutôt à l’idée d’une Révélation survenue dans un passé lointain, fixée dans des mots et ayant une portée quasi juridique. Bartholomé, au contraire, considérait que la Vérité est Voie et Vie, et non un corps de mots séparé du vécu et pouvant servir d’instrument de contrôle et de pouvoir. Selon sa compréhension, le christianisme avait fait de la personne humaine un être libre, créateur et responsable : tout le contraire d’une religion centrée sur la loi, l’obéissance et la peur.

Nékolia arriva le surlendemain, mais avec l’intention de ne rester que quelques jours. Compte tenu de son pressentiment de mourir bientôt, il savait devoir retourner à sa cabane. Avec le sentiment d’apporter une ultime contribution, il avait apporté un coffret rempli de pierres précieuses et de bijoux en or, gracieuseté de riches Compagnons qui tenaient à ce que l’ancien mendiant puisse offrir un somptueux cadeau à la famille de la fiancée. Ceux-ci ignoraient que le seigneur Fiabbie, en considérant l’ascension sociale du mariage d’un membre de sa famille avec le futur roi, avait prévu faire une généreuse donation au nouveau ménage. Quoiqu’inhabituel, ce cumul d’une dot et d’un douaire fut perçu comme le présage d’une florissante union.

Le grand jour arriva. Le ciel était bleu. Les fleurs de montagne embaumaient. Les oiseaux rivalisaient d’adresse et de beauté. Au château, tout semblait calme. Mais, au fond de la grande salle, à la lueur des chandelles, derrière un savant agencement de paravents, Adélaïde était fort occupée. Après un bain parfumé à l’eau de rose, elle sauta dans ses escarpins, enfila un sous-vêtement léger des mollets jusqu’à la taille puis, en se tournant vers Rosemonde, pencha la tête en-avant. Armée d’un peigne en ivoire, celle-ci sépara les longs cheveux blonds de sa sœur en deux grosses nattes. Aussitôt fait, avec des gestes précis, une servante commença à tresser l’une de celles-ci avec des rubans, des bandelettes de soie et des gallons d’or. Au bout d’environ une demi-heure, devant un miroir étamé, Adélaïde ramena les deux nattes sur sa poitrine et put apprécier le résultat. Un frisson traversa sa colonne vertébrale. Le plus difficile était à venir.

La jeune femme devait maintenant enfiler une panoplie de vêtements d’apparat qui allaient la rendre raide comme une statue. Une chemise en fine toile de lin blanche brodée d’or aux manches et à l’encolure. Un corsage fait d’une très fine fourrure d’hermine enfermée entre deux étoffes de soie rouge foncé. Une jupe longue de la même couleur, parée en bas d’un ruban doré. Une tunique en soie verte brodée d’or, dotée de manches très larges et fort longues. Une pièce d’étoffe souple, devant épouser étroitement les hanches et le ventre, pour réunir le corsage et la jupe. Une ceinture enchâssée de topazes, suffisamment longue pour tomber sur les hanches. Des souliers très étroits, en cuir, à bec pointu, aussi brodé d’or. Enfin, pour la tête, un voile circulaire et un cercle en or serti d’émeraudes.

Philippe n’allait pas être en reste. Il allait porter une chemise en toile blanche ; un long gilet sans manche assorti à la pelisse de la fiancée, mais avec des gueules d’hermine à l’encolure ; une veste courte en soie bleu foncé dotée de manches serrées au poignet et évasées en haut du bras ; un manteau demi-circulaire doublé de fourrure et paré de riches ornements ; une cape rectangulaire, attachée sur l’épaule droite avec une grosse épingle dorée. Enfin, comme une couronne, un cercle d’or paré de nombreuses pièces d’or incrustées d’émeraudes. À suivre.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de ce conte.

Mains LibresLas Olas

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.