Un modèle en bois de canon conçu avec des influences Conte.

À l’ombre du château. [Conte] (Texte no. 21)

La stratégie consistait à donner l’illusion d’attaquer le château de Tréblinor, mais en se préparant plutôt à assaillir la forteresse de Mordevor. La réponse d’Agnès arriva promptement : Ribot portait toujours la bague sceau à son annulaire gauche ; par ailleurs, une porte de la tour nord, décrite avec un luxe de détails, allait être ouverte lorsque la tour du donjon allait être incendiée.

L’armée entière du dauphin se regroupa à quelques lieues du château de Tréblinor. Pour donner l’impression qu’un long siège se préparait, l’ordre fut donné de monter les tentes. Ribot avait prévu encercler les assaillants de Tréblinor, mais, pour ce faire, il devait encore attendre l’arrivée des mercenaires, ralentis par l’hostilité de la population. Sans tarder, c’est plutôt l’armée du dauphin qui se précipita à Mordevor, où les engins de guerre avaient déjà été cachés. Bientôt, dans une féérie de couleurs, plus de huit mille cavaliers, dont quatre divisions d’une centaine de chevaliers, et environ vingt milles fantassins, prirent position à proximité de la forteresse. Le châtelain attaqué ne disposait alors que de six mille cavaliers et d’environ dix mille fantassins.

Alertés, un millier d’arbalétriers prirent position derrière les meurtrières de la muraille. Il faut savoir que, comparée à un arc habituel, l’arbalète est une arme si précise qu’elle rendait un homme ordinaire aussi efficace qu’un soldat d’élite. Philippe donna l’ordre de positionner les catapultes et de faire avancer le bélier géant. Manœuvré par seize hommes, celui-ci roulait très lentement. Il était suivi d’environ cinq cent fantassins dont de nombreux archers à grand arc, arme moins précise mais à plus grande portée que les arbalètes. Sous un soleil partiellement voilé par des vapeurs de brume matinales, le dauphin ordonna à l’armée entière d’avancer graduellement, sans précipitation. Devant la grande porte, trois mille hommes de Ribot se placèrent en trois rangées serrées, la première formant un véritable mur de boucliers, et les deux autres regroupant des hommes armés de lances. De plus, six divisions de mille cavaliers chacune prirent place sur les flancs.

Près des catapultes, dont cinq énormes arbalètes montées sens devant derrière sur des charrettes, des torches allaient servir à embraser des rouleaux de paille imbibés d’huile ficelés à l’extrémité de lances géantes. Les préposés aux catapultes avaient reçu l’ordre d’incendier le donjon au plus fort de la bataille seulement, car la confusion allait aider les soldats à se rendre le plus discrètement possible à la porte qu’Agnès s’apprêtait à déverrouiller.

Soudain, du haut de la muraille, une nuée de flèches noircirent le ciel et transformèrent le bélier en un porc-épic grotesque. Malgré leur cotte de mailles, des hommes attelés à l’engin tombèrent, mais furent aussitôt remplacés. Les archers de Philippe ripostèrent et, dans un épouvantable fracas, une division de cavalerie fonça sur le mur de boucliers. Deux divisions ennemies attaquèrent aussitôt. Dix minutes plus tard, dans un enchevêtrement de cadavres, de boucliers, d’épées et de lances, la première vague d’attaque effectua un repli stratégique, libérant ainsi une brèche béante.

Une salve de grosses pierres vint aussitôt ajouter aux chaos. Sous une volée de flèches amies, une deuxième vague fonça, soutenue cette fois par les chevaliers. À coups de sabots et d’épées, le passage fut élargi. L’armée entière des deux camps engagea le combat, dont les dizaines de milliers de fantassins du dauphin, à coups de masses, de haches et de fléaux. Du haut du donjon, en espérant voir apparaître les mercenaires, Ribot scrutait l’horizon, d’autant plus que ceux-ci allaient prendre les attaquants à revers. Soudainement, non loin de lui, des lances enflammées atteignirent la fameuse tour en bois. Suivi de ses stratèges, Ribot se réfugia dans la grande salle. Il était convaincu que ses arbalétriers allaient tenir le bélier à distance ou, au pire, prendre position derrière la seconde muraille, jusqu’à l’arrivée du reste de ses forces. Mais il ignorait que, à l’arrière du château, la belle Agnès était sur le point de soulever les barrures d’une porte blindée.

Accompagné de trois cent soldats, qui le suivaient à la queue leu-leu, Philippe approchait de l’endroit décrit par Agnès. Il ouvrit enfin la fameuse porte et, à sa grande surprise, aperçut la jeune femme qui l’attendait. Celle-ci, en voyant l’armure étincelante, mit un genou par terre. « Relevez-vous, madame », protesta Philippe, qui la convia à le retrouver après la bataille. Le chevalier et sa cohorte s’engouffrèrent aussitôt dans un long corridor. Malgré la résistance de quelques gardes, le groupe atteignit rapidement la cour intérieure. Incommodés par la fumée de la tour incendiée, les arbalétriers ne réalisèrent pas ce qui était en train de se passer. À son entière déconvenue, avant même que ses soldats n’aient eu le temps d’utiliser les ponts amovibles, Ribot fut informé que l’ennemi avait réussi à pénétrer dans la cour intérieure et à ouvrir la grande porte. À suivre.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de ce conte.

Mains LibresJGA

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.