Une peinture de Conte représentant des hommes montant à cheval devant un château.

À l’ombre du château. [Conte] (Texte no. 24)

À son arrivée, contre toute attente, Sophiana l’attendait. Tout de go, elle déclara d’un ton grave : « Nékolia a quitté son corps charnel, mais, désormais, il sera encore davantage présent en ton esprit. » En tenant un pendentif dans la main droite, elle tendit la main gauche au-dessus de la tête inclinée et tremblante de Philippe. Il s’agissait d’un pendentif en bronze incrusté d’un cristal millénaire que des druides et des Sages s’étaient passé de génération en génération, et que Nékolia avait porté jusqu’à sa mort. La prêtresse suspendit le bijou au cou du jeune homme, en disant : « Les porteurs de cette pierre profitent de ses pouvoirs, mais chacun doit en ajouter un nouveau ».

Philippe ferma les yeux. Il sentit son corps vibrer à l’unisson de la pierre, en communion avec la nature entière. Des images désordonnées appartenant à des époques anciennes se bousculèrent dans son esprit. « Ce cristal donne des visions, expliqua Sophiana, mais il faut apprendre à s’en servir. En voyant des trames du passé, tu apercevras des bribes du futur. Cela va t’aider à prendre les meilleures décisions possibles. » La prêtresse alla s’asseoir au pied d’un grand chêne, les jambes croisées et les mains sur les genoux. Le dauphin s’assit en face d’elle et adopta la même posture. Sophiana prit une profonde inspiration. Le jeune homme l’imita. Soudain, il crut entendre : « Viens vers moi. Viens vers moi. » Se faisant plus pressant que tout, il ne put résister à l’appel. Instantanément, comme enivré, il reconnut un pouvoir qu’il avait déjà en lui, mais enfoui au fond de sa mémoire. En ouvrant les yeux, il déclara : « Je viens d’avoir une vision : je chevauchais à la tête de tout un peuple, étendard au vent ; tous me suivaient sur des centaines et des centaines de lieues. » Sophiana échappa un sourire et, après de chaleureuses salutations, alla rejoindre un groupe de disciples qui l’avaient attendue durant ce temps.

Plusieurs jours plus tard, l’armée du dauphin avançait vers le château royal de Tréblinor. Philippe avait hâte de revoir Adélaïde. Sur son destrier blanc, bien qu’il fût dépositaire du sacrifice de tant de soldats, il se sentait plus serein, comme habité par une énergie nouvelle. « Vive Philippe, vive le dauphin, vive le roi ! », scandaient des villageois enthousiastes et des paysans aux visages figés dans les ravines de leur peau brûlée par le soleil. Les cloches des églises et des chapelles sonnaient à toute volée. À la forteresse, Gauzelin avait fait hisser le drapeau blanc. Une vingtaine de minutes plus tard, dans la cour intérieure du château, le roi déchu se présenta avec les trois seuls résidents du château qui ne s’étaient pas enfuis. Philippe fit placer le groupe sous bonne garde, mais sans les incarcérer : il était disposé à envisager la possibilité que son demi-frère n’ait été qu’un instrument de Ribot.

Dans un carrosse tiré par deux chevaux blancs, Adélaïde, accompagnée de sa garde, s’approchait aussi de Tréblinor. En voyant une vieille femme apparemment à bout de forces, elle décida d’aller lui offrir à boire. Consciente de s’adresser à la future reine, l’inconnue raconta : « J’ai perdu un petit fils à la bataille de Mordevor. Je marche depuis plusieurs jours pour aller me recueillir sur sa dépouille. Jusqu’à maintenant, je n’avais éprouvé que du chagrin, mais, en votre présence, Madame, je ressens maintenant aussi de la fierté. » Touchée par ces paroles, Adélaïde invita personnellement la passante et les siens à la cérémonie du couronnement à la cathédrale d’Abila-la-Romaine, en qualité de représentants des familles éprouvées par la guerre. À la plus grande joie de Philippe, la belle Adélaïde arriva enfin.

Une invitation fut aussi envoyée à Anthelme et Agnès. Toutefois, la réponse de ces derniers ne fut pas celle attendue. En effet, l’ancien employeur d’Ésiom était au plus mal. En apprenant cela, malgré les réticences de plusieurs, le dauphin décida de se rendre au chevet de son ami. Pour ce faire, il dut toutefois se résoudre à porter son armure dorée et à se mettre sous la protection de trois autres chevaliers. Tout au plus, et de rares fois, Ahthelme se rendait jusqu’au carreau de la porte d’entrée pour jeter un coup d’œil aux alentours. Par une journée ensoleillée, mais venteuse, alors qu’Agnès avait prévu faire des emplettes, celle-ci eut tout juste le temps de lever la clenche que, brusquement, la porte s’ouvrit toute grande devant son mari. Apparurent alors, sous le faseyement de leurs étendards, quatre cavaliers scintillant de mille feux. Frappé de stupeur, le temps d’un éclair, Anthelme crut être mort. Mais la figure réjouie d’Agnès, qui avait reconnu l’armure de Philippe, le fit sortir de sa torpeur.

— Mon Dieu, je suis en vie ! s’exclama le malade.

— Que voilà une bonne nouvelle ! fit le chevalier à l’armure dorée.

Anthelme reconnut la voix de son ami. À la grande surprise d’Agnès, il bondit hors de la maison. La rencontre fut chaleureuse. Les trois autres chevaliers, qui s’attendaient à voir un grabataire, furent étonnés par la scène. L’un d’eux parla même d’un miracle. À partir de ce jour, Anthelme afficha une inhabituelle joie de vivre. À suivre.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de ce conte.

Le Pois PenchéJGA

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.