Les armoiries de France, avec le conte.

À l’ombre du château. [Conte] (Texte no. 25)

— Mon Dieu, je suis en vie ! s’exclama le malade.

— Que voilà une bonne nouvelle ! fit le chevalier à l’armure dorée.

Anthelme reconnut la voix de son ami. À la grande surprise d’Agnès, il bondit hors de la maison. La rencontre fut chaleureuse. Les trois autres chevaliers, qui s’attendaient à voir un grabataire, furent étonnés par la scène. L’un d’eux parla même d’un miracle. À partir de ce jour, Anthelme afficha une inhabituelle joie de vivre.

En ce temps-là, les rois, automatiquement considérés en état de grâce du fait de leur sacre, étaient souvent reconnus comme des thaumaturges. Parfois, à l’occasion des grandes fêtes liturgiques, ils touchaient les malades en prononçant la formule : « Le roi te touche, Dieu te guérit ». Mais cette fois, exceptionnellement, des troubadours allaient chanter les pouvoirs miraculeux de Philippe avant même son couronnement. Vint le fameux jour. Affublés de leurs plus beaux atours, le dauphin et son épouse défilèrent jusqu’à la cathédrale où l’archevêque et trois évêques de la Curie romaine les attendaient. Plus qu’un contrat politique, le Couronnement était un sacre conférant une autorité de droit divin. À cette occasion, le couple royal allait faire le serment d’assurer la protection de l’Église et de ses biens, de procurer la paix à l’Église et aux peuples chrétiens, d’assurer l’ordre social et de rendre justice.

Dans un temple rempli à capacité, dont les chants grégoriens et l’odeur d’encens magnifiaient la beauté, Philippe et Agnès reçurent enfin la pommade sainte. L’archevêque leur passa une tunique brodée de fleurs de lys en fil d’or, une chape, un surcot, la fameuse bague sceau à Philippe et un anneau royal à Agnès. Il remit un sceptre à chacun, signe du commandement et « main de justice », et, finalement, alors qu’on entonnait le Te Deum, il déposa les couronnes sur les têtes royales. Sous les acclamations d’une foule en liesse et le bruit des cloches qui sonnaient à toute volée, le cortège fit sa sortie glorieuse, sous l’envolée de milliers de colombes.

En route vers Tréblinor, encarcanée dans ses vêtements d’apparat, Agnès savait qu’elle ne pourrait plus se laisser aller à tous ces élans spontanés qui avaient fait sa joie à Vivalorium, mais elle s’y était préparée. À cause de sa nature solitaire, elle avait pris très jeune l’habitude de dialoguer avec elle-même, d’être sa propre amie intime, de voyager sur des chemins où l’esprit est libre, en tension vers un inaccessible ailleurs. Elle aimait l’enfant nostalgique en elle, mais, lorsqu’il le fallait, l’adulte savait dire non à l’enfant. Elle était résolue à assumer pleinement sa nouvelle existence. Bientôt, elle redonna son faste au château et mit à jour ses emblèmes et ses protocoles.

Une des premières préoccupations de Philippe fut d’assurer une sépulture honorable à Charles, à Marguerite et à Érinée. Par ailleurs, comme il allait devoir être partie prenante aux débats et aux litiges, et que le chevalier Hambault était maintenant bien au fait de sa mission, il exprima le souhait de voir Bartholomé revenir à ses côtés. Néanmoins, celui-ci demanda un sursis d’une semaine en expliquant être touché par le cas d’une femme allant probablement perdre son fils de seize ans. Philippe fut surpris par le caractère insistant de la demande. Perplexe, il décida de se rendre à Mordevor.

Aux lendemains de la bataille, après s’être inquiétée durant plusieurs jours, Aliénor, la mère du garçon de seize ans, avait appris que celui-ci agonisait dans la grande salle du château. Malgré d’incessants va-et-vient, elle s’était senti bien seule au chevet de son fils unique, demeuré inconscient. Bartholomé aurait voulu la rassurer davantage, mais il avait vu tant de soldats mourir de leurs blessures. La mère éprouvée ne pouvait même pas dire à son fils à quel point elle l’aimait. Ainsi réduite à l’impuissance, la colère avait fini par gagner son cœur : « Comment peux-tu me faire ça, Dieu, avait-elle hurlé, ça ne t’avait pas suffi de me prendre mes autres bébés avant leur terme ! » Informée de l’arrivée de Philippe, la femme implora Bartholomé de demander au roi de bien vouloir imposer les mains à son enfant. Ce que fit Philippe. Le jeune homme ne s’éveilla pas, mais Aliénor retrouva mystérieusement la paix du cœur.

Après avoir éprouvé des sentiments de rejet, d’humiliation et d’injustice, l’ancien gueux en arriva à intégrer ces paroles de Nékolia : « En harmonisant « qui tu es vraiment» et « ce qui est », tu seras libéré de la peur de vivre ». Avec l’aide d’Adélaïde, à la fois Ésiom et Philippe, il apprit à célébrer la puissance d’exister, à oser être qui il est, sans renier ses désirs et ses émotions, à accepter de jouer le jeu de la vie. Il vécut longtemps et eut de nombreux enfants. Fin.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Nous remercions nos nombreux lecteurs de leur assiduité. Nous vous invitons dès la semaine prochaine à lire un nouveau texte, une nouvelle intitulée « Henri Lazure ».

JGALas Olas

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.