Un chemin verdoyant serpentant à travers une forêt verdoyante.

À l’ombre du château. [Conte] (Texte no. 7)

Anthelme expliqua qu’il s’agissait du Grand Maître des Compagnons, organisation initiatique à laquelle il avait récemment adhéré, qui vivait en ermite dans la forêt du nord. Formé par une mystérieuse prêtresse de descendance celtique, Nékolia avait acquis un grand savoir au contact de la nature et par l’observation des astres. Lorsque, pour avoir son conseil, le disciple l’avait informé du message d’Agnès, le vieil homme lui avait répondu qu’il allait prendre le jeune homme sous sa garde. Anthelme insista pour que son jeune ami profitât de cette chance inattendue et allât rejoindre le Sage sans tarder. Après des remerciements empreints d’émotions, Ésiom se rendit illico à sa chaumière où l’attendait effectivement un vieillard dont la blancheur des vêtements, de la chevelure et de la barbe, faisait ressortir de grands yeux d’un vert étrange, presqu’hypnotique. Celui-ci l’accueillit avec cette formule inusitée :

— Que la puissance profonde de l’Univers habite ton cœur et ton âme.

— Bonjour ! répondit le jeune homme, intimidé.

Comme s’il le connaissait depuis toujours, Nékolia demanda à Ésiom de se préparer pour un départ immédiat. Animé d’un sentiment ambivalent entre la peur de l’inconnu et le désir d’aventure, Ésiom se présenta bientôt, un baluchon à la main et un sac en bandoulière. D’un pas sûr, l’homme en blanc s’éloigna de la chaumière et pénétra dans la forêt en empruntant un premier sentier, puis un deuxième et encore un autre. Devant eux, des oiseaux apparaissaient et disparaissaient, comme s’ils avaient voulu résoudre l’énigme d’un labyrinthe. Quelques heures plus tard, au sortir d’un sous-bois ombragé par de grands Ormes, apparut une cabane en bois ronds inondée de lumière. Juste à côté, un petit étang entouré de grosses pierres laissait échapper un ruisselet allant se perdre sous les arbrisseaux. L’eau y était si claire qu’on voyait parfaitement les petits cailloux ronds et multicolores qui en formaient le lit. Aussitôt à l’intérieur de l’abri, Nékolia alluma un feu et, après avoir rendu grâce, offrit de l’eau fraîche et des fruits sauvages.

— Je connais la détermination dont tu as fait preuve pour survivre, dit le vieil homme. Mais il t’en faudra encore plus pour aller au bout de ton destin.

— Que voulez-vous dire ?

— Je dois d’abord te raconter une histoire. Il y a environ vingt-cinq ans, pour contrer les ambitions démesurées de quelques petits rois, Charles dut se livrer à une guerre ruineuse durant plus de six ans. Certains grands seigneurs de son royaume profitèrent de son absence pour s’enrichir au détriment de leurs vassaux. Le plus assoiffé de tous était le seigneur Ribot, nommé grand chambellan juste avant le départ du roi.

— J’ai entendu parler de la fortune de Ribot, interrompit Ésiom. On prétend même que le roi Gauzelin mange dans sa main. Excusez-moi, je vous ai coupé la parole.

— Un an après son retour triomphal, poursuivit le conteur, Charles eut le bonheur d’avoir un descendant. Le dauphin fut prénommé Philippe. Le roi ignorait que durant son absence la reine Marguerite avait subi les avances à la fois séductrices mais surtout menaçantes de Ribot, et qu’elle avait eu un enfant de lui, du nom de Gauzelin. À part lui-même et la reine, seule Érinée, ta mère, dame de confiance de Marguerite, connaissait la vérité, car Ribot, non seulement avait habilement caché son fils, mais, d’une manière ou d’une autre, avait muselé tous ceux qui auraient pu révéler sa perfidie au monarque.

— Les gens prétendent que ma mère a été chassée du château ! interrompit encore Ésiom, avant de s’excuser à nouveau.

— Dans le plus grand secret, reprit patiemment Nékolia, Gauzelin a donc passé les premières années de sa vie au château de Ribot. Pour fêter la naissance de Philippe, Charles a convoqué tous les seigneurs à une grande fête à l’occasion de laquelle chacun allait devoir payer son dû au seigneur des seigneurs, c’est-à-dire au roi. En n’en disant rien à Marguerite, dont l’attachement au roi était connu, Ribot organisa une rébellion. Pour ce faire, il corrompit plusieurs nobles et monta une armée de mercenaires. Pris par surprise, Charles fut enfermé dans le donjon du château. Bien qu’elle fût constamment sous surveillance, Marguerite apprit néanmoins de son espion personnel que la vie de Philippe était en danger. Elle demanda à Érinée de se faufiler jusqu’au cachot où le roi avait été jeté, pour l’informer de la situation. Le cœur meurtri, celui-ci demanda à la servante d’aider Marguerite à sauver le dauphin. Il informa Érinée de l’endroit où il avait caché sa bague sceau, avec l’espoir que celle-ci fut remise à Philippe à sa dix-huitième année. Entretemps, comme la reine l’avait redouté, Ribot avait ordonné à l’un de ses sbires de tuer le petit Philippe.

Ésiom se redressa brusquement sur son banc, muet, le regard affolé, en laissant involontairement tomber la framboise qu’il venait de prendre dans le bol creusé à même la table en bois massif. Bien que la stupeur soudaine du jeune homme n’eût pas échappé à son hôte, ce dernier était résolu à terminer son récit.​ À suivre.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de ce conte.

Las OlasPoésie Trois-Rivière

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.