Un homme à lunettes se tient devant une fenêtre, plongé dans son livre près de la fenêtre, profitant des merveilles littéraires de la Littérature québécoise.

Christian Mistral, sans limites

Qui est Christian Mistral ? Un écrivain surdoué. À l’âge de 23 ans, il publie Vamp, un livre sans limites.

Comment survivre aux années 80 ? À l’après-référendum ? Dans ce roman, il y a l’amour de la vie versus la tentation du néant. Sartre disait que «l’homme est le seul être qui se définit dans son manque d’être.»(1) Mistral vit dans son territoire. Il recrée la Beat generation québécoise. Vivre s’avère un lent suicide, peut-être pour ce buveur, écrivain fragile, bête divine dans son terrier.

Vamp comme dans vampire

« La jungle urbaine, la bête humaine, manger ou être mangé. Et ce n’était plus des images, mais la peinture figurative de ce qui était ». (p. 76). Il voit le monde, le scrute, l’analyse. Le roman est poétique et philosophique. L’art de penser est un moteur de survie. Il sera vampire.  « Nous faisons également abstraction, pour les besoins de la recherche, de toute considération morale ou humaniste, élevant l’art aux plus hautes sphères de l’esthétique pure. »(p. 102)

Mistral parle de Montréal, la décortique. Il a son monde, sa tribu. Son roman parle damour, d’amitié. Il cherche son propre mythe fondateur. Il existe un plan pour les poètes, les créateurs. Je viens du désert d’une banlieue. Journaliste rock et animateur, calme et serein. Bien différent de Mistral, mais je le comprends. À chacun son karma, sa vision du monde. Pour Mistral, c’est la vie psychédélique, les verres de bière, ce Moi triste qu’il traîne. Je pensais aux beatniks, à Rimbaud, à l’échec de SaintDenys Garneau. Je me disais, à la lecture de Vamp : Je vais retrouver un peu de moi, de ce petit adolescent qui s’abandonne aux désirs inavouables (la poésie, la sexualité ambivalente, le faux Nirvana de la vie).   « Pour atteindre le beau, il fallait passer par le laid, la noirceur incontournable. Cette découverte, ce fut comme si la galaxie m’était tombée sur la fiole, toute la putain de galaxie de larmes d’encre, au terme duquel je saurais que j’étais pur à nouveau. » (p. 162)

Un roman adolescent

Comment aimer ? S’aimer et être en accord avec ses rêves. L’amour absolu ? À quoi bon vivre sans amour ? Les poètes ont-ils des solutions au mal de vivre ? Mistral est dans un labyrinthe.   André Vanasse a bien identifié l’errance de l’écrivain : « Les grands combats dans la nuit étoilée constituent l’ultime épreuve. » (2) Vanasse va même jusqu’à l’ironie : « Vamp est incontestablement un roman adolescent. »Rejeter le système en bloc (le cycle métrobureaudodo). Plus loin, il y a de belles pages sur l’amitié (Fantasio et Blue-Jeans). Ils ont en commun la beuverie et l’écriture. Et cette phrase : « Je compose un requiem et je bois c’est tout. » (Fantasio, p222.)

Ce livre me parle peut-être à cause de mon ami Denis qui s’était construit une maison et qui passait ses journées à lire La cosmogonie d’Urantia (toujours dans les années 80). Cette recherche désespérée de comprendre et d’être aimé pour ce que l’on est. Un mémorial vaste comme un chagrin qui s’installe en vous sans que vous le sachiez. Existe-t-il une prière pour cela ? Cette traversée du Vide Leonard Cohen en parle beaucoup dans sa poésie (3).

Je lisais Mistral pour sa prose, son imaginaire, son feu intérieur. Je l’ai rencontré, une fois, au Salon du livre, pour le voir, lui parler de mon admiration de son écriture inventive. C’était après un événement malheureux, une histoire de violence conjugale rapportée par la presse. J’ai vu au fond de son regard une tristesse insondable. Du désespoir ou quelque chose comme le vertige du bateau ivre. J’ai racheté son livre au début des années 2000 pour sa préface signée par Jacques Godbout.  Mistral, c’est le coloc qui écrit pendant que vous tentez de dormir. C’est la tentative d’aller voir en enfer si la vie y est plus jolie.   Il est mort seul et malade. J’ai pensé à mon ami, le poète Jean-Marc Fréchette, décédé en mars 2020. Les poètes meurent avec leurs rêves dans leur chambre jonchée de livres, merci d’avoir existé.

NOTES

1— Sagesse du Vent, magazine Psychologies, France, 1997
2— Vamp, Présentation page 12, Typo 1995.
3— Poème La potion magique dans Le livre du désir, Leonard Cohen, Édition Points, 2013

Pour les citations : Vamp de Christian Mistral, Typo 1995 (épuisé, mais disponible dans la collection Boréal Compact). Ce livre a été en lice pour le Prix du gouverneur général 1988.

Mains LibresLas Olas

Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com