Dominique Fortier, Quand viendra l’aube. Par Ricardo Langlois
L’année 2022 a été un ouragan pour moi. Mon meilleur ami est parti au ciel subitement. Il m’a fallu des mois pour m’en remettre. Je me suis refermé sur moi-même. La lecture de Christian Bobin a été une banquise qui m’a aidé dans la dérive. Dominique Fortier a écrit un livre fabuleux sur la poétesse Émily Dickinson, « Les villes de papier ». Je vous propose un petit récit : « Quand viendra l’aube », une sorte de carnet intime.
Hommage à son père
Un recueil de souvenirs. L’autrice parle de son papa, son quotidien, sa fille Zoé et l’importance de l’écriture. Un carnet rédigé pour son papa qui était enseignant et bibliothécaire. Curieusement, son père n’a laissé aucun écrit (journal ou correspondance) comme Émily Dickinson. Il n’a rien publié de son vivant. Elle a découvert la littérature par la bibliothèque de son père. De Jean-Paul Sartre jusqu’à des pièces de théâtre. Camus est cité (p.47). À quoi bon lire tous les classiques qui ont eu plusieurs vies : Kundera, Anne Hébert, Proust, Marguerite Yourcenar, Romain Gary. Elle préfère maintenant la petite musique de Christian Bobin. Pour moi, c’est la métaphore de ma vie. C’est moins romanesque, c’est l’ensoleillement de la surface.
Une sorte d’idéalisme puéril. Sortir des espaces hermétiques. Se dérober dans la phénoménologie de la mémoire. Soudain, une phrase lumineuse qui nous transporte :
« Mais je crois que chacun d’entre nous
Ne possède qu’un faible nombre
D’images qui nous hantent
Sans qu’on sache d’où elles viennent,
Si ce sont des rêves ou des souvenirs, et
Qui disparaitraient si par malheur on
Parvenait à les élucider. Elles n’existent
Que dans ce mystère renouvelé. » (p. 55)
Marie Uguay que j’aime tant
Le livre est sur ma table de chevet. Un essai de René Char, une carte de Noël du peintre Pierre Higgins… il est quatre heures du matin, elle parle de Marie Uguay. Cette poétesse que j’aime tant : « Dans son journal, à peine un an avant sa mort à l’âge de vingt-six ans, Marie Uguay écrit : Il y a tant de bleu partout pour me rendre heureuse, du bleu frais translucide à profusion qui bavarde utilement ». (p. 61) Il faut remercier Jacques Brault pour la présentation des poèmes de Marie Uguay (2). À la fin de son introduction : « Il y aura ton visage découpé dans le bleu vacant de l’aube. » (p. 13)
L’éther de l’écriture. Quand le temps s’écrase dans la modernité. Quand les paroles s’envolent, il reste les écrits. Ce récit est un miroir de mots avec quelques intimes blessures. Le cœur grand ouvert, l’autrice s’abandonne. « Le corps devient un temple de poésie » (2). Je pensais d’avoir terminé mon texte. En relisant mes notes : je note ce joli passage à la page 15 : « Mais la nostalgie est aussi le fait de se languir d’un lieu, d’une chose, d’une vie dont on n’a pas fait l’expérience, ou alors seulement en songe ». En vieillissant, la nostalgie est notre seul trésor (la musique, le rire de ma mère, etc.).
Notes
« Les villes de papier », lui a valu le prix Renaudot de l’essai en 2020 et a été traduit en plusieurs langues.
« Merci à Mathieu Bélisle qui m’a fait découvrir ce livre ».
Dominique Fortier, « Quand viendra l’aube » Alto 2022.