Je propose l’autoguérison. Chaque poème a une perspective. Élise Turcotte, autrice d’une œuvre multiforme et sans cesse en mouvement. Je me souviens de La terre est ici : Nous ne guérissons pas. Les pieds perdus dans le sable, nous déposons nos désirs dans toutes sortes de tours. Et c’est la vie qui vieillit. (1) Je me souviens de ce livre que j’ai lu en 1990. Une empreinte à travers le temps.
Une enfant sauvage
Son nouveau recueil nous rappelle la fragilité de l’autrice :
La vie est géante, mais je suis
Une enfant sauvage accoudée
À une table invisible. (2)
Poésie de résistance, d’intériorité. La littérature aide à supporter, parce qu’elle est beauté et harmonie. Il y a aussi un rythme. Un bouclier se dessine…
Quand j’en aurai fini avec le réel, je sortirai l’arsenal
Du rêve. En attendant, je ne parle à Personne. (3)
Un choc esthétique (des images propices au rêve). Un parcours d’initiation. Le retour à l’enfance, à Soi. J’ai pensé à Jacques Brault : Avoir du génie; éclair d’une enfance. Avant de finir crétin, on se normalise, on se fait aimer, on s’habille de cicatrices.(4)
Nous, les humains
Un système de sens avant même d’être littérature, il implique des substances (les mots). Je découpe furieusement ce contenu qui est devant moi. Je vais d’un poème à l’autre. Je cherche la question (inconsciemment) de l’existence. Le Pourquoi? Cette idée de l’espace et son pouvoir est une idée de Roland Barthes. (5)
Où sommes-nous?
Dans le silence des souliers des habits
Des débris des maisons tombées (…)
Ici, devant le grand vide (6)
La raison d’être. Nous, les humains, les enfants d’un siècle fou. Il s’agit d’évoquer cette poésie, son énergie personnelle. Ce karma. Parce qu’il y a une pente, un effondrement. Une poésie (presque) cartésienne. Le poème est philosophique et historique. Le sang de la Passion. L’homme qui préfère la Connaissance à la Croyance (disait Michel Onfray).
J’aboutis dans la couleur d’une autre vie
Où sommes-nous? (7)
Quitter le chemin des illusions, décadenasser le cœur. O miracle, transmettre ce sous-bois de l’intériorité.
Mourir dans le passé?
Non, ce n’est pas de la nostalgie.
Rappelle-toi de résister (8)
Sommes-nous si peu?
L’autrice fait une sorte de bilan. Je m’y plonge avec allégresse. Je veux survivre. L’oxymore et l’antithèse, c’est le bilan de cette poésie.
Sommes-nous si peu?
Nous sommes peu
Mais toute ombre est amour
L’arbre dit. (9)
L’Amérique est dans ce frottement étrange des mots et des choses. Surprendre au détour d’une forme, quelle, qu’elle soit, une collision particulière de l’homme et de sa nature.(10) C’est ainsi que je côtoie cette livraison d’un cœur si innocent dans ce temps inhabitable depuis l’avènement de la Covid. Les mots empruntent un chemin de liberté. Oui, l’intelligence du cœur est décryptée sur plusieurs horizons. L’empire du quotidien est plus vaste que les mots. Ce tintamarre existentiel qui ne veut presque plus rien dire. Jacques Brault m’inspire. Nomade par les chemins creux du cœur, nous allions pourtant jusqu’à la vaillance de ne pas être. (11)
J’ai aimé être dans votre bulle. Poétesse qui incarne les fables, le dépaysement ontologique. Élise Turcotte multiplie les métaphores du désir, des fantômes du passé. Derrière nous le temps pousse, L’horreur se tient là. (12) L’écriture de toute une vie. Madame Turcotte a réussi à traverser toutes les époques avec une vision bien personnelle.
Notes
Élise Turcotte est poète, nouvelliste et romancière. Elle est l’autrice de plusieurs livres de poésie dont Sombre nostalgie, Ce qu’elle voit, Piano mélancolique et La forme du jour. Elle écrit aussi pour la jeunesse. Ses livres sont traduits en anglais, en espagnol et en catalan. Elle est l’une des voix littéraires importantes du Québec. Pour l’ensemble de son œuvre poétique, elle a reçu Le Grand Prix du Festival international de la poésie en 2002.
Élise Turcotte, À mon retour, Noroît, 2022 . Œuvre en couverture de Danaé Brissonnet.