Une femme à lunettes, Emmanuelle Cornu, sourit devant la caméra.

Emmanuelle Cornu, Trois tours de cordon

Une mère aimante et lesbienne. Une femme d’exception. Cristallisation des mythes et des fables. Le tout livré à travers une écriture superbe. L’incarnation du désir dans un livre qui regroupe 33 nouvelles. De la blessure existentielle à l’affirmation de soi.
Trois univers

Les anges déchus en rupture de comportement. Au deuxième tour, des bêtes de somme, masochistes. Au dernier tour, des êtres de lumière, affranchis de toute douleur. Liée au traumatisme de la fausse couche, Emmanuelle Cornu raconte. D’abord dans la nouvelle “Chats de secours”, c’est la douleur de Thomas face au divorce de ses parents. C’est bouleversant. On tourne les pages, l’amour entre femmes. Cupidon a frappé le cœur de Belle pour Isabel. “Dans la forêt, la nuit, les âmes se frôlent, déçues » (1). C’est très beau, chaque phrase incarne le désir malgré le dépaysement ontologique de la blessure existentielle. C’est la vie avec ces itinéraires existentiels. Peut-on briser une image ?

La vraie vie

“Les chauffe-eau de la discorde” met en scène plusieurs personnages. De vieilles dames, un célibataire endurci, deux couples parfaits (hétéros), une mère et son ado. C’est la confusion des genres, l’enfer des Égos. La mise en scène du court récit évoque toutes les faiblesses de l’humanité. La corruption, le chaos du pouvoir, les inégalités sociales, l’exploitation des enfants. Le monde est corrompu depuis la nuit des temps. Il y a une éthique sur la survie qui se lit, qui se devine. Un travail de moine. Une écriture chirurgicale.

C’est la fois

“C’est la fois” est un récit de résistance. Le monde s’écroule littéralement. On traverse le calvaire d’une fausse couche. C’est une grande tragédie. Un psychodrame intériorisé par l’autrice. “Qui était la plus morte des trois” (2). Les mots frappent de manière poétique : “Mon bébé s’était envolé au ciel. Mon bébé était devenu une étoile filante” (3). Théo, son fils, l’aidera à survivre. L’amour est plus fort que tout. C’est aussi un procédé “de médiation” selon le philosophe Heidegger (4). Puis il y a cette autre histoire, une des meilleures selon moi, “Marin, Matin, Crocus”. L’histoire du jeune Marin, seul dans son univers avec ses possessions : cailloux, bouchons, tessons, coquilles d’escargots. C’est l’histoire d’un jeune autiste. Il construit son imaginaire. Je remercie l’autrice pour son trésor d’imagination.

J’ai pensé à Hélène Dorion

On a souvent l’impression que le destin nous emporte. J’ai pensé à Hélène Dorion : “Soudain la vie a basculé. Cette phrase traverse des millions de vies. Comme si chacun portait une brèche d’où refaire ses racines” (5). Ce livre est une méditation sur la vie. La vie trop étroite, avec ses milliers de contradictions. Une femme qui se bat pour son autonomie, son identité sexuelle (femme lesbienne avec un enfant ). Je participe à son chaos d’anamorphoses, à sa vérité avant tout. Dans une autre nouvelle, elle s’indigne avec un sourire en coin : “Ressuscite-toi. Lève-toi. Indigne-toi. Bats-toi. Vis. Regarde plus loin que le bout de tes orteils” (6).

On découvre les anges déchus aux comportements excessifs. Au final, un grand plaisir de lecture.

Notes
1.Emmanuelle Cornu, Trois tours de cordon. P. 23.
2.Idem. P. 64.
3.Idem. P 65.
4.Julia Kristeva, Histoires d’amour. Freud et l’amour.
5. Hélène Dorion, Jours de sable, Druide 2018. P. 60,

Emmanuelle Cornu enseigne à la maternelle depuis plus de vingt ans. En 2013, elle publie son premier livre qui lui vaut d’être finaliste au Grand prix littéraire Archambault. Elle a ensuite publié le roman Anna, salle d’attente. Elle est maman d’un garçon.
Emmanuelle Cornu, Trois tours de cordon, Nouvelles. Druide 2022.

Photo principale :  Emmanuelle Cornu

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