Emmanuelle Riendeau, Domaine du repos

Une photo en noir et blanc d'Emmanuelle Riendeau posant pour une photo au Domaine du repos. Une photo en noir et blanc d'Emmanuelle Riendeau posant pour une photo au Domaine du repos.
Emmanuelle Riendeau, Domaine du repos.  Par Ricardo Langlois
Il y a le passé. Vivre dans son monde, « rêver des morts » (1 ). Cette fascination pour les entrelacs dans la survie d’une jeune fille qui vit intensément dans un univers toxique. Trouver les mots justes pour crier son enfance drummondvilloise. Elle s’affiche « comme une femme pas barrée » (p. 12 ). Les cendres du paternel ont été mises en terre. Comment évoquer cette enfance sous le fantôme patriarcal?
Les non-dits

« Notre héritage est un art de vivre

Canal évasion en fonds marins

Projette l’imagerie de la pauvreté

L’exutoire des sans passeports

De ceux qui n’auront jamais

Pris l’avion 

Ni traversé de frontière

Une cigarette allumée

Se berce

Pas de pendaison

Pas de suicide officiel

Une disparition murmurée »  (p. 29 ).

Je me suis transporté dans ma propre adolescence. Écorché par mon homosexualité, les fugues, le traumatisme de l’école secondaire, la joie maladive du rock. Papa sur les médicaments et l’alcool.  Et l’autrice se remémore en flashbacks, les chansons rétro (Daniel Lavoie, Patrick Norman, Adamo, Alain Barrière etc. ). Tout va s’effondrer. La mort du père. Comment survivre à ses airs récurrents (p. 50 ). Ce point focal de souffrance. 

Le lyrisme de Mademoiselle Riendeau est à priori, un cri primal. « Dans le langage se logent les motifs de nos abattements » (p. 60 ). La théorie du reflet (Julia Kristeva ) qui s’inscrit dans un moment charnière au décès du père.

« Ces crises de larmes

Déclarent et réitèrent

L’heure vicieuse du décès

À l’épicentre de la nuit (…)

La vue du cadavre

Opère ses rituels. »  (p. 73 )

La poésie insoutenable

Une belle chanson de Marjo se glisse à la page 97 : « Tant que viendra la nuit tant que viendra le jour (bis) j’irai jusqu’au bout. » Des aphorismes. L’écriture comme un corps de pierre. Tout passe en se passant de nous. Elle écrit sur les eaux mortes. Les humeurs du poème, la bile noire, le cœur comme une défaite prodigieuse (disait Christian Bobin). Le mutisme ou vivre à mille lieux de nos rêves. 

Je cherche un moment de répit. 

Vivre par procuration? Relativiser la relation père-fille ? La jeune fille est une aidante naturelle, une étudiante endettée (p. 95 ). Le sort de l’humanité s’écrit dans sa propre expérience. On invente rien. On espère un silence pour éviter les fragments  du passé. Peut-être une antichambre pour se reposer au « Domaine du repos ». La vie en soi, n’est-elle pas un tissu de contradictions? J’ai aimé ce combat. Cette guerrière au cœur blessée, je l’aime envers et contre tous.

« Il faut faire preuve

D’inventivité

Se fabriquer une vie

À capella » (p. 103 )

Note

1 – Patti Smith, Just Kids.  À 22 ans, elle évoque des passages troublants sur son monde et sur la mort.  Folio, 2013.

L’autrice Emmanuelle Riendeau, originaire de Drummondville, a été finaliste au Prix des libraires du Québec 2023 – volet adulte pour son livre Domaine du repos.

Cette dernière a été en lice dans la catégorie «Poésie Québec» aux côtés d’Alycia Dufour (Une flambée mes mains), Lucile de Pesloüan (Surtout, ne pas faire de listes) et Marie-Hélène Voyer (Mouron des champs).

Le Pois PenchéMains Libres

Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com