Hélène Dorion : Pas même le bruit d’un fleuve

Une femme admirant un tableau. Une femme admirant un tableau.
Un récit poétique. Une invitation de l’auteure à l’introspection. Aller à l’origine de Soi. Explorer la matrice. Retourner dans le temps. Hanna veut connaître le passé de sa mère. Nous sommes dans son intimité. Dans le château intérieur d’Hélène Dorion.

Et que dire de cette odyssée ? Remonter le siècle, entendre le bruit du fleuve. Retrouver des fragments. « On entend l’infini balancement de leur monde jusqu’au nôtre, comme une marée ramenant avec elle des morceaux ignorés de notre propre histoire, la boucle d’événements qu’on ne soupçonnait pas. »(p. 21)  Tout est si méthodique, à fleur de peau et je connais si bien la beauté des lieux : L’Isle-Verte et Rimouski, paysages à couper le souffle. On est dans la totalité de notre beau Québec. Hélène Dorion évoque de manière poétique ; elle intensifie et magnifie tout ce qu’elle évoque. Aucun temps mort. De courts petits chapitres découpés en fresquepoétiques pour raconter une quête.  À Kamouraska en 1949, Simone boit dans sa solitude. « Les poèmes sauvent-ils de la souffrance ? À quoi servent-ils quand on traverse un océan déchaîné ? Les mots sont-ils comme des ombres qui remuent au fond des cavernes et que l’on finit par confondre avec le réel ? » (p. 85.)

Il y a des boîtes de souvenirs, des articles de journaux à la suite du naufrage de l’Empress of Ireland. Il y a de profondes énigmes, des blessures de jeune fille. Et c’est doux à lire : Simone recopie des passages : « elle écrit au milieu des pages comme de petits édifices de mots qui arrivent à soutenir les heures. » (p. 118) Vous savez retranscrire comme Philippe Jaccottet « pour recevoir le don des images. Ses images ailées » (1) Des choses ou simplement l’élan d’un poème. Une part d’invisible qui nous habite. Parce que l’écrivain est aussi poète. Une poétesse qui ne suit pas le courant, qui écrit sa vie. Peut-on éviter de passer à côté de sa propre mémoire ? Derrière l’accident, la perte, les distorsions, peut-on espérer s’en sortir indemne ? « Simone avait-elle chaviré ou tenu bon sur le quai des grands vents ? S’était-elle aventurée dans sa forêt percée de poèmes ? » (p. 119.)

Il y a des effusions de l’absolu, l’expression d’une « beauté cosmique » qui virevolte. J’écrivais pour trouver la vraie vie, celle qui était ailleurs. Le territoire de Rimbaud comme une brèche.  Comment oublier la collision du voilier face à un cargo en mai 1949 sur le fleuve à la hauteur des Éboulements ? Il reste les poèmes de sa mère (le trésor ultime). L’origine. Le mouvement. Et la roue (l’affect et l’émotion). Ce fragment poétique :

« J’ai dormi sous l’arbre du silence

Attachée à la branche qui déchire l’horizon

Seule la sève de ma blessure

Coule encore » (p. 136)

Le paysage intérieur est magnifique. Parler du deuil « comme un jardin dévasté/marcher parmi les ruines/ouvrir la main». (2)  Le questionnement philosophique n’est pas nouveau chez l’auteure. Elle marche jusqu’à l’émergence d’un poème (le sauvetage inespéré), l’étoile perdue retrouvée…

« Comme une flamme qui penche et bondit

Comme des vagues de sens se succèdent

Poignantes comme le souvenir du premier amour » (p.174.)

Les mots du roman m’accompagnent. Je sens la joie dissimulée au plus profond de mon cœur. Emporter tout avec soi au plus profond de moi. Mission accomplie, chère Hélène Dorion.

Notes

1— Philippe Jaccottet, « Et, néanmoins », NRF Gallimard, 2001.
2— Cette idée est élaborée dans le récit « L’étreinte des vents », récit édition Druide, 2018.
3— Hélène Dorion a publié plus de trente livres (récits, poésie, essais, album jeunesse), traduits et distribués dans une quinzaine de pays et pour lesquels elle a remporté de nombreux prix, notamment le prix du Gouverneur du Général du Canada.
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Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com