Un homme vêtu d’une veste noire, plongé dans un livre, debout devant un mur.

Henri Chassé, Ciels parallèles

Traverser une vie avec nos passions et nos affections. Le philosophe Frédéric Lenoir en parle souvent. Henri Chassé, acteur, comédien, poète et maintenant écrivain, a compris tout cela. Nous lisons ce livre avec ravissement.
Des voyages intemporels

Il cite abondamment des poètes et des musiciens. Thomas, le narrateur, vit comme il peut. La quête existentielle. Un poème de Yeats est une source de joie (p.29). Nous retrouvons les trente-sept minutes de l’album des Beatles (Magical Mystery Tour jusqu’à “All you need is love”). Les “Ciels parallèles”, c’est la rencontre de plusieurs protagonistes : un disquaire, un vieux musicien de jazz américain et une caissière. Des “Ciels parallèles”, oui, mais des voyages temporels aussi. En 1965, le recueil de Roland Giguère, “L’âge de la parole” (1) est mentionné. Un livre fondamental de notre poésie nationale.

L’immortalité

Thomas s’intéresse aux tatouages d’une caissière dans une épicerie. Il a l’impression de la connaître. L’explication du tatouage. Sa mère enseigne la poésie américaine depuis des années et lui a permis de connaître Emily Dickinson, la grande poétesse. Être confiné dans l’univers de l’Art. Tout au long du récit, nous apprenons qu’il existe des œuvres immortelles. Le quotidien est un laboratoire avec des mécanismes et des comportements de survie. Chaque être humain fabrique son laboratoire de survie. Capturer le temps et l’immortaliser avant de devenir des illettrés du temps des poètes. Un très beau moment que je souligne ici. (p.73). Dès les premières notes, Thomas reconnaît “Phaedra” de Tangerine Dream. Il s’attendait à autre chose. Il plonge aussitôt dans une sorte de rêve éveillé, un demi-sommeil. Des visages et des lieux lui reviennent (p.87). J’ai pensé à un poème de Patti Smith, sa fabuleuse autobiographie où l’on retrouve le poème “Les feuilles mortes”.

“Les esprits qu’on évoque Les mythes écartelés
Tout ce qu’on a traversé
Et les couleurs portées Chaque abîme pénétré” (2)

L’architecture du désir

Thomas, en quête d’un destin, entre une muse et un poème. Il lit au hasard Patrice Desbiens, “Le train partait toujours sans moi” (p.107). Ce poème qu’il intériorise inconsciemment, il le reliera. Il pense à Marion. L’architecture du désir, une expression de mon cru, colle bien à ces petites histoires. Il aime se souvenir, méditer, marcher seul. Il fait allusion à Proust. Il écrit machinalement une sorte de poème (p.123). Thomas a un cœur immense. Il déteste les préjugés. Je me projette avec lui. Il aime autant Nina Simone, Robert Charlebois et Genesis que les quatuors de Beethoven. Cette belle musique qui habite le roman m’interpelle. J’ai pensé au premier poème de Rilke (Vergers) : “Ce soir mon cœur fait chanter des anges Qui se souviennent” (3). Pour Thomas, c’est l’écriture comme bouclier de résistance. La mort d’un père taciturne, des amours impossibles. “Écrire sur le flottement” (p.148 ). On sent notre Thomas, vulnérable, à fleur de peau. À la toute fin du livre (p.171), une note philosophique, psychologique et spirituelle. La sagesse stoïcienne, le lâcher-prise pour mieux vivre la Vie. J’ai aimé ce roman. J’ai aimé voyager aux confins des “Ciels parallèles”.

Notes
1. Roland Giguère, L’Âge de la parole, paru à l’Hexagone en 1965 contient 82 poèmes. Réédition Typo 2013.
2. Patti Smith, Just Kids, poème P. 396. Folio.
3. Rilke, Vergers, P. 17. Poésie, NRF Gallimard, 1978.

Henri Chassé a joué dans plus de 90 productions théâtrales, tant des créations que des classiques. En 2021, il a mis en scène Le vrai monde de Michel Tremblay. Il a été finaliste au Prix du Gouverneur Général en 2008 pour son recueil de poésie Morceaux de tempête.
Henri Chassé, Ciels parallèles, Mains Libres 2021.
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Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com