Henri Lazure. [Nouvelle] (Texte no. 8)

Un pont Nouvelle enjambant un plan d'eau la nuit. Un pont Nouvelle enjambant un plan d'eau la nuit.

L’initiée amena Henri vers un escalier abrupt conduisant au sous-sol. Ils se rendirent à une porte d’allure moyenâgeuse donnant sur une grande pièce embaumée d’effluves de fleurs et d’encens. Après une brève mais touchante cérémonie évocatoire, un vieil homme alla s’asseoir à l’intérieur du cercle de chandelles. Il ferma les yeux, entra en transe et dit : « À un moment difficile de ma vie, un homme dialoguant avec une entité m’a fait prendre conscience de mon don. Il m’a fait comprendre que la vie spirituelle ne dépend pas de l’adhésion à telle ou telle religion, et que les différentes expériences spirituelles sont des ouvertures sur une même Totalité. Je vous ai enseigné les fondements du spiritisme, en particulier, la possibilité d’une solidarité entre tous les êtres d’un même monde, mais aussi de mondes se situant sur des plans différents. Dans ce vaste ensemble, au lieu des « solitudes désertes d’un espace infini », je vois l’omniprésence de l’Intelligence cosmique ; au lieu d’existences isolées, un lien universel ; au lieu d’un Dieu vindicatif, une Présence aimante, une Puissance mystérieuse qui, pourtant parfaite comme Totalité, se languit incompréhensiblement de réponses amoureuses. »

Des murmures et des chuchotements se firent tout à coup entendre. Alors qu’Angéline écarquillait les yeux, Henri fut littéralement commotionné. Une forme ectoplasmique prenant l’apparence de Metranek, s’était soudainement mise à émaner du médium. Un silence total s’abattit. Chacun, en même temps, entendit un message personnel, ne pouvant être entendu par aucun autre. « À partir de maintenant, chuchota la voix à Henri, tu vas poursuivre la mission qui était la mienne. Aies confiance, tout te sera dit en son temps. Angéline va t’apprendre à exprimer l’abondance de ton cœur. » La voix se tut. La forme spectrale s’atténua, puis disparut. Le vieux médium, épuisé, revint doucement à lui. Après un moment de recueillement, les participants quittèrent les lieux un par un. Comme un somnambule, Henri suivit Angéline. Celle-ci offrit le gîte, car la nuit allait bientôt tomber.

Dès leur arrivée à la maison aux deux pignons, le téléphone sonna.
— Oui, répondit Angéline, en activant la fonction « mains libres », de manière à ce qu’Henri entende.
— Nous avons réussi à trouver l’oncle des orphelins, dit l’interlocuteur. Il s’appelle Émilien Lajoie et habite Montmagny. Il possède une importante firme d’ébénisterie. Il est marié, sans enfant.
— Quelle bonne nouvelle ! lança l’aidante, tout sourire.
— Je te fais parvenir les coordonnés. Bonne chance !

Angéline expliqua que, quelques jours avant de mourir, Metranek lui avait confié une mission concernant un homme récemment décédé qui avait laissé deux jeunes garçons derrière lui. Déjà orphelins de mère, ceux-ci avaient été placés dans une famille d’accueil qui n’avait pas l’intention de les adopter. Comme ils avaient un oncle, le vieux Maître avait demandé à l’aidante de retrouver celui-ci, en donnant comme seule information que ce dernier pratiquait le métier d’ébéniste sur la Rive-Sud de Québec. Dernièrement, Angéline avait demandé de l’aide à son tour, d’où les informations reçues par téléphone. Consciente qu’Henri avait des choses pressantes à régler, elle invita celui-ci à rester encore une journée de plus, afin de l’accompagner éventuellement chez les Lajoie, à Montmagny.
— Je me demande si je peux vraiment te seconder, répliqua Henri. J’ai l’impression d’être un imposteur.
— Moi, je suis très satisfaite de tes progrès, dit Angéline, avec un regard trahissant ce qu’elle aurait voulu taire.

Sans l’avouer, chaque geste de cette femme était senti par Henri comme une caresse, mais la beauté de celle-ci lui donnait l’impression d’une inaccessible perfection. Mais ce regard, comme un billet doux, il l’avait pourtant vu. Henri devint tout rouge. Angéline y vit un aveu involontaire. N’arrivant plus à se regarder, les deux amis éclatèrent de rire. Henri glissa délicatement sa main droite sous la main gauche d’Angéline. Cette fois, celle-ci répondit d’un regard se faisant certes messager du cœur, mais aussi de la raison. En ne retirant pas sa main, elle agréait la tendre déclaration, mais non sans une certaine retenue. En brisant volontairement le charme, elle demanda, sur un ton badin : « Est-ce que mon ami veut bien m’accompagner pour le souper ? »

Pour une seconde fois, les deux compagnons cuisinèrent ensemble. La musique et le vin aidant, l’activité prit bientôt l’allure d’un partage magique. L’hôtesse dressa une jolie table avec deux bougies parfumées au santal, et tamisa la lumière. Encouragé par l’ambiance, Henri avoua son amour. Angéline en profita pour mettre les pendules à l’heure.
— Je dois te dire que je peux être appelée en mission en tout temps, parfois pour de longues périodes. C’est la vie que j’ai choisie.
— Je t’aime tant, répliqua Henri, sourd au discours de la femme.
— Moi aussi, je t’aime, mais mon dernier amour m’a quittée à cause de l’importance que j’accordais aux missions qui m’étaient confiées. L’amour peut nous élever vers le meilleur de nous-mêmes, mais il peut aussi réveiller de vieilles blessures.

Malgré les réserves d’Angéline, le couple connut une première nuit d’amour. Le matin venu, Henri s’étonna de s’éveiller seul. Depuis un bon moment, la Spirite était au travail. Elle avait réussi à rejoindre Marianne, la tante par alliance des orphelins, qui avait promis de rejoindre son mari, Émilien. Lorsqu’Henri descendit, il aperçut sa bien-aimée en peignoir, sans maquillage, les cheveux ébouriffés : c’était la plus belle femme du monde, qu’il s’empressa d’embrasser. Dans l’entrefaite, le téléphone résonna.
— Je suis bien chez Angéline et Henri ? dit une voix masculine.
— Oui monsieur, c’est bien ici, dit l’aidante.<— Je suis un homme d’affaires, et je n’aime pas être dérangé inutilement. Qui êtes-vous au juste ? demanda l’homme, d’un ton tranchant.
— Je dois d’abord vous annoncer, avec regrets, que votre frère est récemment décédé, en laissant deux jeunes enfants derrière lui, Antoine et Gabriel, âgés de trois et cinq ans. Peut-être savez-vous que les deux petits étaient déjà orphelins de mère. Nous sommes mandatés pour examiner avec vous la possibilité d’une éventuelle adoption.
— Mon Dieu ! Mon frère et moi nous sommes perdus de vue, il y a plus de quinze ans. Je ne connaissais ni l’existence de son épouse ni celle de ses enfants, dit l’interlocuteur, embarrassé.

Émilien parlait encore lorsqu’il sentit la main de son épouse le saisir par le bras. Celle-ci le regardait avec de grands yeux ronds, trahissant de la surprise certes, mais surtout de l’espoir, celui de devenir providentiellement une maman, après avoir connu deux fausses couches.
— Bon, c’est d’accord, conclut le mari, décontenancé. Je peux m’organiser pour être à la maison vers dix-sept heures. Est-ce que ça vous va ?
— Ça nous convient parfaitement. Alors à cet après-midi.

Henri avait très hâte de vivre sa première expérience d’aidant et, qui plus est, avec la belle Angéline. Après le petit-déjeuner, en attendant l’heure du départ, l’initiatrice proposa de poursuivre sa formation. Henri obtempéra. La chose fut difficile, car une alchimie subtile opérée dans le visage de sa compagne, rendait celle-ci encore plus désirable. Après un voyage d’environ 140 kilomètres, le couple fut aimablement accueilli par Marianne et Émilien. En voulant rester discrète à propos du spiritisme, Angéline se présenta comme une bénévole œuvrant pour un organisme caritatif, accompagnée d’un aidant en formation. Les candidats à l’adoption posèrent de nombreuses questions. Par exemple, Marianne voulut savoir à quel point les petits étaient affectés par le décès de leur père. Angéline expliqua les savoir en bonne santé physique, mais fragiles au plan émotionnel. À la fin de la rencontre, convaincue de leur intérêt, elle informa les éventuels futurs parents qu’une représentante de la Direction de la protection de la jeunesse allait prendre contact avec eux. Les salutations furent chaleureuses. Avec joie, Henri voyait sa nouvelle vie prendre forme. Mais le destin n’avait pas abattu toutes ses cartes.

Cette nuit-là, à la maison aux deux pignons, Angéline s’éveilla en sursaut. « J’ai fait un terrible rêve, explique-t-elle à son compagnon, réveillé par l’incident. Je crois que mon garçon est en difficulté. Comme il ne répond ni à mes appels ni à mes messages, je vais me rendre à Montréal dès demain. » Henri proposa de la suivre sur la « Route 20  » jusqu’à la sortie pour Trois-Rivières, où ils allaient dîner en tête à tête, avant d’aller chacun de leur côté.

À l’approche du pont de Trois-Rivières, Henri reçut un appel de René.
— J’ai des nouvelles de maman, dit celui-ci, d’un ton grave. Bernard Lantelme l’a quittée. Il est parti travailler en Alberta. Maman est dévastée. En plus, elle n’a même pas de quoi payer l’épicerie.
— Il me reste un peu d’argent, répondit Henri, mais les revenus de la vente de la compagnie et de ma clientèle resteront bloqués aussi longtemps que je n’aurai pas obtenu une mainlevée totale.
— Je ne peux pas beaucoup aider non plus, plaida René, je gagne juste assez pour ma famille.
— Je te remercie de ton appel, mon gars. Je vais faire de mon mieux, mais, pour un règlement complet, nous allons d’abord devoir traverser avec succès les étapes de la médiation.<— Je vais aussi faire quelque chose en attendant, conclut le fils.

Arrivé à destination, Henri, comme convenu, libéra la chambre d’ami d’Andrée et alla louer un semi-meublé. Avec l’accord de son ex-femme, il se rendit ensuite récupérer quelques effets personnels à son ancien domicile, où il fut accueillit poliment. Henri en profita pour faire état de ses bonnes dispositions. L’ancien couple conversa comme de vieux amis.

Dans les entrefaites, étant donné qu’elle n’arrivait pas à rejoindre son fils, Angéline s’était rendue au restaurant mexicain, à proximité de l’appartement de celui-ci. Comme le jeune homme était connu du personnel ainsi que de certains clients hispanophones, elle avait appris que celui-ci avait été hospitalisé. Elle s’était aussitôt rendue à l’hôpital en question et, après quelques tracasseries administratives, avait été informée que Ghislain, inconscient et intubé, se mourait d’une surdose d’héroïne et d’alcool. Elle avait immédiatement appelé Carla et s’apprêtait en faire autant avec Henri, aussitôt après avoir loué une chambre à proximité de l’hôpital. À plusieurs reprises, Henri avait exprimé son intention d’aller la rejoindre au plus tôt. ​​​​​​À suivre.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Poésie Trois-RivièreLe Pois Penché

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.