D’entrée de jeu,“La passion de Cobain” est pour moi le meilleur recueil de poésie de Charette. Où étiez-vous le 5 avril 1994, le jour de la mort de l’icône Kurt Cobain, chanteur de Nirvana ? Pour plusieurs, il aurait à lui seul révolutionné les années 90. J’étais étudiant à l’Uqam lorsque j’ai appris la nouvelle de son suicide.
Le journal intime
En avril 1994, Jonathan écoute Bon Jovi et Vanilla Ice. Les ténèbres arriveront plus tard. Avoir des affections sur l’intériorité, le vivant, selon Baudelaire. « Être contre le monde, Être derrière l’artiste. Vivre le nihilisme. Peut-être une ébauche. » (1) Un jour, « une Washburn acoustique où il pourra jouer The man Who Sold the World. » (2). « En novembre 1996, piètre estime de soi. Solitude entre les cours. » (3)
Il est un poète à sa manière. Son esthétique est personnelle. L’apocalypse, l’enfer, arrivera bien assez vite. Il sera Zeus. Il connaîtra le chemin des impasses. Il est prométhéen. Il créera sa propre cellule de survie. C’est beau de le suivre dans sa tête d’ado. Habiter son histoire. La mémoire, comme un jeans rapiécé. Il faut se dépouiller du poids de la vie. Des fragments surgissent. Il vendra sa guitare pour s’acheter des livres. Charette prépare sa survie.
« J’achète des livres stupéfiants
Lapointe Giguère Vanier
Princes du foudroiement
Qui maltraitent les miracles
Pour adoration de l’injure. » (4)
Kurt est vivant
Le poète voyage dans sa tête. Il dira au journal Le Devoir : « Les poètes ont tous les droits dont celui de ressusciter. Leurs héros de jeunesse. » (5)
Puis il y a ces lignes qui me touchent profondément :
« Plus que deux apocalypses
Dans le compte de Kurt
De quoi acheter
Assez d’ampoules au soleil
Pour la prochaine éternité. » (6)
Kurt en mode survie
Kurt n’est pas mort. « C’est la parution de Hungry Ghost album solo sur un schizophrène cloîtré depuis une décennie démission de la réalité. » (7). En lisant ce récit romancé, j’ai mal à la mémoire. La nostalgie est un vertige. Comment rêver à une vie meilleure ?
L’Éden, ça existe pour les poètes ? Barthes disait que Proust détestait le soleil. Il a planté l’arbre du mal malgré lui. Il souligne la pendaison de Chris Cornell en 2017 et les trente ans de l’album Nevermind. Et le soleil, lui ? « Un soleil qui boite sur ses vieux rayons. »(8). Ici, je m’arrête. Je suis sidéré. Charette crée des tumultes, des chaos en moi. L’affect ou l’émotion, le dos tourné pour échapper au vrai monde (j’irai vers le fleuve continuer ma lecture). C’est l’humeur du lecteur qui est remise en question.
Le paradis avec Cohen
Ce livre (surprenant, jubilatoire) achève sa route dans un paradis terrestre, à Hydra en Grèce.
« Kurt habite une maison blanche
Avec Leonard Cohen
Retraite dans l’enchantement
Kurt est méconnaissable
Teint de bronze
Lumière dans les veines. » (9)
C’est d’une grande beauté. J’avais l’impression de voir Rimbaud et Verlaine, enfin ensemble, avec les anges et les dieux. Au paradis des poètes, à des années-lumières des nuits noires et des grandes fièvres de la jeunesse. Une belle maison pour l’éternité. « Imagine un paradis au coeur de la nuit. » (10) Le temps est infini. Les poètes multiplient les métaphores. Tout, absolument tout, est permis.
Notes
1. Michel Onfray, La sculpture de soi, essai. Livre de Poche.
2. Jonathan Charette, La passion de Cobain, p 13.
3. Idem, p.16 .
4.Idem, p. 20.
5. Le Devoir, 31 juillet 2021. Critique.
6. Jonathan Charette, La passion de Cobain, p. 29.
7. Idem, p. 33.
8. Idem, p. 40.
9. Idem, p. 93.
10. Jim Morrison, La nuit américaine, Christian Bourgeois éditeur, p. 63.
Jonathan Charette, La passion de Cobain, Les éditions de l’Écrou 2021, 15 $. (Merci infiniment à l’éditeur pour sa confiance et son travail remarquable depuis plus de 10 ans).
Disponible chez Renaud-Bray : https://www.renaud-bray.com/Livres_Produit.aspx?id=3491137&def=Passion+de+Cobain(La)%2cCHARETTE%2c+JONATHAN%2c9782924682227