Kevin Lambert, Querelle de Roberval

Kevin Lambert, un homme en pull, debout devant une étagère. Kevin Lambert, un homme en pull, debout devant une étagère.
Du jamais vu dans le monde de l’édition. Son premier roman, Tu aimeras ce que tu as tué, paru en 2017, a fait du bruit en plus d’être sélectionné au Prix des libraires. Autre livre: Querelle de Roberval. Histoire banale.

Une grève éclate dans une scierie du lac Saint-Jean, au Québec. Parmi les ouvriers, il y a Querelle, colosse venu de la Capitale, et Jézabel, issue d’une lignée rebelle. Dans cet univers de fausse solidarité, que se cache-t-il ? Une colère. Du ressentiment. Un lecteur pensera à Querelle de Brest de Jean Genet. On déjoue tous les codes. Nous sommes dans le grand royaume où la paix sur des eaux mortes remonte comme un fantasme. De jeunes amants, au beau milieu d’un rayonnement sans fin. Le mouvement syndical sert de toile de fond entre les abus de pouvoir et la soumission, de bruit de fond. S’enfoncer. Survivre. S’aimer malgré tout. Les gars de l’usine ont souvent une érection quand Querelle fait allusion à ses nuits. (p47).

Faire sauter les barrières du bien et du mal. Un plaidoyer sur l’instinct de l’homme (la sexualité comme arme massive). Chimère admirable du sexe impulsif. Je me revois en 1994 à l’UQAM, lisant Le journal du Voleur. Appétit sexuel vorace de l’auteur pour des clochards dans les ruelles. Faire l’amour avec des voyous entre des séjours de prison. Oups, je reviens à Querelle : il a tantôt vingt-cinq, tantôt cinquante, comme la créature malveillante (p83). Lambert ne se gêne pas pour parler des pulsions inavouables des ouvriers, des pères tourmentés par leurs incestes ataviques. Parfois, on se dit que nous sommes dans un désarroi existentiel : les enfants dévirilisés, efféminés (p88). Tout est détaillé. Parce que l’amour c’est jouissif, c’est rose comme une fleur. Est-ce que le vide dehors peut compenser l’acte sexuel ? La sexualité, n’est-elle pas un acte d’affection ? Un don de soi ? Son boy est impressionnant. Il prend sa bite avec une aisance innée, elle trouve son chemin comme une lettre vers la poste (p119). La Morale est jetée dans le vide. L’amour a une dimension presque métaphysique. On s’accroche à un corps comme à une âme perdue.

Prolétariat. Lutte des classes. Il y a la survie : de longs messages sur leur Skyrock. Plusieurs photos «skypées », malgré la mauvaise connexion Internet. Ça se défonce sur le crack, ça éjacule une dizaine de fois. Il s’agit d’une gang de bums qui survivent grâce au sexe. Un trio d’enfer. Imaginez le lecteur vierge qui lirait ce roman L’encre vive de l’auteur nous permet de démystifier la vraie vie, ça n’arrête pas. Soudain, l’auteur, à la page 179, prend position sur les organisations syndicales. Lucrèce parlait de la maladie d’amour, mais il faut s’arrêter pour y réfléchir.

Le jeune Kevin Lambert parle du Québec. Des régions. Des inégalités avec les autochtones. Des écarts entre les riches et les pauvres. Il a le souffle épique de Jean Genet. L’amour triomphal dans un libéralisme sanguinaire aussi quelque part. On rêve tout haut…

Notes

1. Jean Genet était écrivain et poète. Dans son œuvre, il aborde avec grâce l’homosexualité et l’érotisme. Dans Le journal du voleur, il sera le vagabond asocial et mystique qui aura ouvert la voie à la Beat Generation.
2. Kevin Lambert est né en 1992 et a grandi à Chicoutimi. Querelle de Roberval est publié en août 2019 en France sous le titre Querelle. Ce roman est finaliste de nombreux prix, dont le prix littéraire du Monde, et est en lice pour le prix Médicis.
3. Kevin Lambert, Querelle de Roberval. Éditions Héliotrope, 2019.
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Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com