Une peinture spirituelle représentant un groupe d'hommes à cheval.

La spiritualité créatrice (Texte no. 11)

Le message de Jésus se situe à l’opposé du processus d’institutionnalisation formelle de l’Église inauguré par l’empereur Constantin au 4e siècle.

Assez tôt dans l’histoire du christianisme, les tablées se sont éloignées du caractère subversif et libérateur que leur avait donné Jésus. Déjà, au 2e siècle, Ignace d’Antioche parle des repas du Seigneur comme des répétitions du sacrifice du Christ, considère les espèces (désormais consacrées) comme des médecines de l’immortalité et insiste sur la dignité épiscopale de celui qui préside à ce qui était devenu une cérémonie. Au début du 4e siècle, bien qu’il s’agisse d’un concile dont les décisions n’ont encore qu’une portée géographique limitée, le Concile d’Elvire (qui réunit 19 évêques, 27 prêtres, des diacres et des laïcs venus de toute l’Espagne) marque fortement le retour du type de religion dénigré par Jésus. On y décrète notamment l’abstinence sexuelle des prêtres, proscrit les mariages avec des non-chrétiens, défend l’étroite fréquentation des Israélites et condamne à l’excommunication les femmes s’étant fait avorter. De plus, les « histrions, pantomimes et cochers du cirque » désirant embrasser la foi chrétienne doivent renoncer à leur profession, ce qui aboutit à l’affaire de l’excommunication des acteurs. La fameuse conversion de l’empereur Constantin (272-337) a certes mis un terme à la persécution des chrétiens, mais elle a eu comme conséquence de lier intimement le pouvoir politique et l’Église, avec son lot d’intrigues et de coups bas. La religion devint politique et le politique fut désormais imprégné de religion. Bientôt, les grandes familles ne manquèrent pas de manœuvrer pour avoir un pape, un abbé, ou un archevêque qui puisse les soutenir dans leur politique. C’est ainsi qu’on vit apparaître des évêques d’origine princière, des curés barons et des abbés grands seigneurs.

L’ambition politique n’était évidemment pas l’affaire de tous les disciples et plusieurs ont sans doute été consternés par la venue de tous ces « prélats politiques ». Néanmoins, l’ingérence de l’État dans le fonctionnement de l’Église, le césaro-papisme, fut officiellement instaurée lorsque, en 325, Constantin convoqua le Concile de Nicée et intervint directement dans l’organisation de l’Église. En 380, Théodose (347-395) institua officiellement le christianisme comme religion d’État. En 391, il interdit aux particuliers de faire des sacrifices païens, de visiter les temples et d’adorer des idoles. La foi chrétienne devint la seule religion permise et tous les citoyens furent obligés de l’embrasser. Dès le 4e siècle, la force libératrice du « Royaume déjà là » enseigné par Jésus est tronquée par une force d’oppression. Désormais, la résurrection en gloire de Jésus-Christ est assimilée au fait objectif de la résurrection du corps de Jésus, faisant ainsi ombrage au réalisme spirituel d’un message axé sur la confiance en la présence transcendante de Dieu et la reconnaissance inconditionnelle de l’autre, de tous les autres. La foi-confiance ne peut dépendre de la croyance obligée en un événement qui défie les lois de la nature : elle est un choix libre par amour, et l’amour ne peut être imposé. Les symboles permettent d’exprimer les expériences spirituelles, sans les confondre avec des faits. La nature convoque l’étonnement et l’émerveillement sans qu’il ne soit nécessaire d’en rajouter, comme le confirment aujourd’hui les récentes découvertes en physique et en cosmologie.

Aussitôt après la mort de Jésus, Paul et Jean ont développé une conception chrétienne de l’être humain imprégnée de philosophie grecque. De plus, avant les interdictions de Théodose, le message chrétien baignait dans un environnement où étaient présentes des influences du paganisme hellénique, de l’orphisme et du mithraïsme. Unis par un système divin global, les dieux du paganisme hellénique sont dotés d’attributs (foudre, trident, arc et flèches, égides, etc.) et jouissent de grands pouvoirs. Chacun d’eux, tout comme les déesses et les héros, pouvait être invoqué sous divers aspects en fonction du lieu, du culte et de la fonction qu’il remplit. Cette religion était avant tout publique et concernait la communauté, d’où ses implications importantes dans la vie politique et dans toutes les sphères de la vie quotidienne. Ses principaux rites étaient les prières, les offrandes et les sacrifices, intégrés dans les fêtes publiques et les jeux. L’orphisme est une religion et une philosophie tendant vers le monothéisme. Zeus y est placé au sommet de la hiérarchie des dieux et est considéré par certains comme le créateur du monde. On y parle du péché originel, de la purification, de l’immortalité de l’âme et du Paradis. Selon cette philosophie, l’âme est condamnée à un cycle de réincarnations dont seule l’initiation pourra la faire sortir et lui permettre d’accéder à une vie bienheureuse où l’humain s’élève vers le divin. Plusieurs parmi les premiers chrétiens voyaient en Orphée un précurseur de Jésus-Christ. Devenu personnage mythique à la fois mi-homme et mi-dieu, Orphée (1,300 av. J.-C.), musicien et poète dont le nom signifie « la lumière de l’amour », était le fils d’un roi de Thrace. Il fut considéré comme le fils d’Apollon (Dieu solaire) et de la muse Calliope, et connu comme le héros de la fameuse descente aux Enfers afin de libérer Eurydice de la mort. D’origine indo-iranienne,le mithraïsme est un culte à mystères apparu en Perse aux alentours du 2e siècle av. J.-C. et qui florissait dans la Rome des 2e et 3e siècles jusqu’à son interdiction. Mithra est considéré comme le fils de Dieu. Il est né au solstice d’hiver (c’est-à-dire le jour de la nuit la plus longue) et est représenté entouré de 12 éléments correspondant aux 12 signes du zodiaque. Le jour sacré du mithraïsme est le dimanche, jour du soleil selon l’astrologie (Sunday). Le dimanche (« dies Dominicus » : jour du Seigneur) fut proclamé jour chômé le 7 mars 321 par Constantin en hommage à « Sol Invictus » (Soleil invaincu), populaire dans l’armée romaine. Une fois sa vie terrestre achevée,Mithra se serait élevé au paradis sur son char. Selon Tertullien (~ 155 – ~ 220), les mithraïstes, après avoir baptisé dans le sang, en vinrent à baptiser dans l’eau. Le repas sacré de pain et d’eau, ou de vin, était symbolique du corps et du sang du taureau sacré. De tradition ancienne au Moyen-Orient, l’agneau est mentionné dans la Genèse lorsqu’Abraham (nom signifiant père de multiples nations) sacrifie un agneau à la place de son fils.

Robert Clavet, LaMetropole.Com

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Le Pois PenchéPoésie Trois-Rivière

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.