Une silhouette d'une personne embrassant la spiritualité et tenant des chaînes au coucher du soleil.

La spiritualité créatrice (Texte no. 12)

Il y a une réponse créatrice aux religions qui affirment Dieu en rabaissant l’être humain et aux idéologies qui affirment l’être humain en niant Dieu tout en écorchant les libertés individuelles et les droits de l’homme.

Jusqu’au 5e siècle dans l’Occident chrétien (dont le centre est à Rome et la langue commune, le latin), et au 15e siècle dans l’Orient chrétien (dont les centres sont Constantinople, Alexandrie et Antioche ; et la langue commune, le grec), les Pères de l’Église, à la suite de Paul et de Jean, développent une conception de l’être humain teintée de philosophie grecque. Cette distinction Orient/Occident devint particulièrement marquée après que Théodose eut partagé l’Empire romain en deux : l’Empire latin, qui succomba sous les coups des Barbares en 476, et l’Empire grec, qui prolongea son existence jusqu’au 29 mai 1453, jour de la chute de Constantinople qui marqua la fin de l’Empire byzantin. Alors que des éléments de la Trinité apparaissent dans les évangiles sans que le mot ne soit toutefois prononcé, les Pères orientaux, pour exprimer leur inspiration et leur expérience spirituelle, développent une théologie trinitaire et une pneumatologie (discours sur le divin comme spirituellement présent en l’humain). Le symbole trinitaire peut faire penser aux trois principes fondamentaux des Grecs : la physis (l’englobant, le principe), le Logos (l’Archè, la Parole créatrice) et l’ethos (la manière d’être), les trois étant inséparables dans « l’unité du penser et être ». Mais, chez les chrétiens, l’accent étant mis sur le don de la grâce plutôt que sur la raison cultivée, il y a primauté de l’Esprit (du Souffle divin) sur l’ethos. Paul, par exemple, affirme la présence d’un pneuma d’origine transcendante permettant de vivre une vie nouvelle.

La notion de Logos

L’introduction par Jean de la notion de Logos (« Au commencement était le Logos, et le Logos était avec Dieu, et le Logos était Dieu ») a joué un rôle important dans l’établissement de la doctrine de la divinité de Jésus-Christ en tant que Dieu le Fils et Logos incarné. L’identification de Jésus au Logos donne en effet naissance à une philosophie spirituelle selon laquelle Jésus-Christ est le Logos éternel qui s’incarne et rend visible le Père invisible, si bien qu’accueillir Jésus-Christ, c’est accueillir Dieu lui-même. Présenté comme Lumière et Vie, Jésus-Christ affronte les forces des Ténèbres et sa victoire est remportée grâce à la Croix, manifestation puissante et inattendue de la gloire divine. Aux 2e et 3e siècles, les Pères apologistes (défenseurs et louangeurs du christianisme) utilisent la notion de Logos pour faire valoir leur foi et articuler leur philosophie. En le considérant comme la révélation complète du Logos, Clément d’Alexandrie (150-215) voit le christianisme comme la vraie philosophie : une philosophie où la raison accepte son propre dépassement et se met au service de la Vérité entrevue, où la pensée est ouverte à plus grand qu’elle et tente de le traduire symboliquement. Irénée de Lyon (130-202) affirme l’unité dans la personne de Jésus-Christ de l’humanité parfaite et de la divinité parfaite. Athanase d’Alexandrie (~297-373) fait valoir que le Père et le Fils sont de même essence : le Logos fait chair est Dieu tout en étant fait de la même chair que l’être humain, sans quoi l’idée de Jésus divinisé ne viendrait pas donner à l’être humain l’espérance en sa propre déification (non pas sa divinisation, mais sa participation à la vie divine).

En traitant de la nature de Jésus et de son rapport à Dieu, Grégoire de Nazianze (329-390) développe le thème du Logos-Homme où s’affirme la divinité de Jésus-Christ en même temps que son humanité. Grégoire de Nysse(~336-394) insiste sur l’unité de la personne de Jésus-Christ malgré la distinction de ses deux natures. L’intégrité de la nature humaine de Jésus-Christ en même temps qu’il soit doté d’une nature divine, est au fondement de l’affirmation de la possibilité d’une participation de l’être humain à la vie divine. Dieu en Lui-même ne peut souffrir, mais le Logos s’étant incarné dans la chair humaine comme unique Personne de la Trinité, Cyrille d’Alexandrie (376-444) consolide l’idée de l’intégralité divino-humaine en soulignant que Jésus-Christ a vécu et souffert puis est mort et ressuscité comme Dieu dans la chair humaine. Le pape Léon 1er(~400-440) a cette formule : « Le fils de Dieu, descendant de sa demeure céleste sans s’éloigner de la Gloire du Père, est né dans un nouvel ordre en suivant une nouvelle nativité (…). C’est un seul et même qui est vraiment le Fils de Dieu et le Fils de l’homme ». Enfin, en 451, le 4e Concile de Chalcédoine en arrive à cette fameuse formule qui défie le principe de non contradiction : « Jésus-Christ complet quant à la divinité et complet quant à l’humanité, vraiment Dieu et vraiment homme, est un seul et même Christ (…) en deux natures, sans mélange, sans transformation, sans division, sans séparation ; car l’union n’a pas supprimé la différence des natures ; chacune d’elle a conservé sa manière d’être propre et s’est rencontrée avec l’autre dans une unique Personne ».

En étant de même essence que Jésus-Christ, la nature humaine s’élève donc à cette hauteur où elle est associée à la 2e Personne de la Trinité. Maxime le Confesseur (580-662) précise que l’exercice libre de la volonté faisant partie de la nature humaine, l’être humain peut suivre librement la volonté divine sans être absorbée ni diminuée par elle car, étant créé à l’image de Dieu, la volonté divine est présente en son âme. En particulier chez les Pères orientaux, la vérité de l’être humain ne part pas de Dieu seul ou de l’humain seul, mais de la divino-humanité ; d’où la grande idée de « l’équilibre du divin et de l’humain ». Celle-ci est la réponse créatrice aux affirmations de Dieu rabaissant l’être humain (comme dans les religions autoritaires qui se méfient de la liberté créatrice) et aux affirmations de l’humain contre le divin (comme dans les idéologies matérialistes qui finissent par s’en prendre aux libertés individuelles et aux droits de l’homme). Maxime interprète l’incarnation comme un projet divin où l’être humain est appelé à la déification, à se réaliser comme être libre et créateur, évidemment pas en ce sens qu’il peut faire surgir des choses sans utiliser de matériaux, mais qu’il a reçu, selon la formule d’Evdokimov (1901-1970), « le don de faire jaillir les valeurs impérissables de la matière de ce monde ».

Robert Clavet, LaMetropole.Com

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Le Pois PenchéLas Olas

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.