Un mandala orange et bleu sur un fond blanc.

La spiritualité créatrice (Texte no. 5)

Notre existence quotidienne met en scène une réalité qui dépasse de beaucoup les limites de notre conscience. « Plus nous sommes aptes à rendre conscient ce qui est inconscient, insiste Jung, plus est grande la quantité de vie que nous intégrons ».

Comme Platon, Jung pense que la structure de base de la réalité ne se situe pas au niveau de la strate matérielle observable de l’Univers, mais à un niveau intangible auquel seuls notre esprit et nos sentiments peuvent servir de témoin, dans une expérience impliquant tout notre être. Il a été influencé par Paracelse (1493-1541) qui suggérait de se tenir à distance des théories issues de constructions mentales, et de n’accorder aucun crédit aux vérités prétendument objectives de la foi. Ce philosophe théologien et alchimiste suisse allemand proposait plutôt une expérience personnelle directe de la lumière que Dieu avait introduite dans la nature humaine. Selon lui, de même qu’il y a une essence dans la poire qui lui enseigne comment être une poire et non une pomme, il y a dans l’âme humaine des « modèles idéals », des archétypes,  qui permettent à l’être humain (microcosme) « d’être participé » par l’Univers (le Macrocosme), et l’orientent sur le chemin de l’humanisation. Le propre d’un archétype est d’être inné, commun à tous, et d’agir sans que nous en soyons conscients. Les archétypes formatent, pour ainsi dire, notre vision du monde. Ils habitent l’âme, dans un rapport mystérieux avec la totalité cosmique. Ils permettent de nommer et de qualifier la réalité aperçue, mais n’empêchent pas les contaminations par des croyances acquises. De préférence avec l’aide d’un spécialiste, nous pouvons acquérir un certain rapport réflexif aux symboles et aux représentations qui en découlent. Incidemment, à l’alchimie consistant à transformer des métaux ordinaires en or correspond une alchimie intérieure visant à transmuter l’âme de l’adepte.

Grâce à l’imagination, l’archétype permet la production mentale d’une infinité de cas particuliers, et cela sans avoir nécessairement reçu une information spécifique à propos de ceux-ci. Jung distingue l’archétype comme tel du contenu psychique ou « image archétypale » qui en est la représentation aléatoire et variable, tout comme il distingue l’inconscient personnel (les contenus psychiques oubliés au moins provisoirement dont ceux qui ont été refoulés) et l’inconscient collectif (des connections mythologiques sous formes de motifs et d’images qui se renouvellent partout et sans cesse sans qu’il n’y ait nécessairement tradition ni migration historique). L’« inconscient collectif » se manifeste notamment par des images archaïques universelles sous formes de grands symboles et de personnifications. Il peut être imaginé comme une sorte de sédimentation énergisée d’expériences vécues conférant une réceptivité favorisant de nouvelles expériences existentielles. Certaines conditions collectives présentes dans l’inconscient agissent comme régulateurs et stimulants de l’imagination créatrice et font servir à leur but les matériaux conscients en présence. Les représentations archétypiques que nous transmet l’inconscient sont des formations extrêmement variées qui font référence à des formes fondamentales non représentables en elles-mêmes appelées « mythologèmes ». Un même mythologème peut par exemple être à l’origine de plusieurs mythes appartenant à diverses cultures.

À partir d’expériences psychiques spontanées, comme dans les rêves, les archétypes peuvent apparaître sous leurs formes les plus primitives et les plus naïves. Ils peuvent aussi apparaître dans des formations plus complexes à la suite d’une élaboration consciente, comme dans les mythes et les contes. Les images archétypiques des dogmes religieux en particulier sont entièrement élaborées en structures formelles qui, tout en exprimant de façon détournée l’inconscient, évitent une confrontation avec celui-ci. Explorer l’inconscient implique une confrontation avec notre ombre (partie de la psyché formée de la part individuelle qui ne se connaît pas elle-même, à la source de nombreux conflits psychiques), avec notre anima et notre animus (les deux pôles sexuels inégalement présents en tout individu), et enfin avec l’archétype du sens. En pénétrant le conscient, les archétypes, disions-nous, influencent l’expérience perceptive. Ainsi, comme modèles élémentaires de comportements et de représentations issus de toutes les périodes de l’histoire, ils influencent le processus psychique fondateur des différentes cultures. Ils orientent les êtres humains dans leur évolution intérieure. En unissant symboles et émotions, ils sont des potentiels d’énergie psychique constitutifs de l’activité humaine. L’émergence des archétypes s’associe à une puissante énergie érotique qui peut accélérer la réalisation spirituelle, mais qui peut aussi être destructrice de par les expressions obscures de l’instinct. L’enjeu en vaut toutefois la chandelle, car cette puissante énergie ne laisse jamais indifférent, et le contraire de l’amour n’est pas la haine mais justement l’indifférence.

Avec une puissance comparable à celle de l’instinct, l’archétype peut orienter l’intellect vers un but avec une passion inouïe et se vêtir d’une logique impitoyable. Il captive par un charme puissant qui, malgré la tentation de rester accroché au quotidien, peut s’accompagner d’une plénitude de sens tenue jusque-là pour impossible. Le contenu essentiel de toutes les mythologies, de toutes les religions et de tous les « ismes » est de nature archétypique. En période de crise personnelle, quand tout est sens dessus-dessous et qu’il devient nécessaire de trouver une autre voie ou d’opérer en soi un changement radical, les archétypes se manifestent alors dans les « grands rêves » ou « rêves archétypiques », comme si le Soi passait au pilote automatique. Étonnamment, après être passée inaperçue pour un temps, la réalité archétypale fait des retours à l’occasion de périodes troubles. Ces états limites peuvent être l’occasion d’un enseignement subtil propre à faire basculer la situation la plus sombre en un moment de lumière, à transformer la pire épreuve en une occasion de découvrir une voie créatrice inattendue. Ils peuvent favoriser l’avènement d’un état psychique disposant à nouveau à l’émerveillement et à l’enthousiasme, ouvrant l’être entier aux mille formes imprévues et captivantes des forces créatrices de la vie.

Je vous donne rendez-vous une fois la semaine pour la suite de notre rubrique sur la spiritualité créatrice. Je vous invite à me faire parvenir vos questions et commentaires à [email protected] 

JGAPoésie Trois-Rivière