Un cercle rouge orné de symboles mystiques représentant la spiritualité créatrice, avec apparition du texte no. 6.

La spiritualité créatrice (Texte no. 6)

L’amour peut assujettir et faire souffrir, mais il est le moteur de la grande quête. En prenant conscience que la fascination exercée par une personne idéalisée résulte d’une projection psychique, nous favorisons un approfondissement de cet amour, car les « icônes de l’amour » sont des « messagères du Soi ».

Tout au long de notre existence, à travers de multiples transformations motivées par un sentiment d’incomplétude, nous éprouvons la nostalgie d’une plénitude. Le moi, cette réalité psychique éloignée de son lien d’origine, doit progressivement s’ouvrir et intégrer les contenus inconscients propres à élargir le siège de la conscience. Jung nomme ce processus « l’individuation » (de « in-divis » : ce qui n’est pas divisé). Dans ce périple, nous prenons conscience de notre ombre et apprenons à vivre avec cet aspect troublant de notre être. À la condition de surmonter l’étrange fascination qu’exercent les archétypes de l’inconscient collectif, nous pouvons ouvrir progressivement notre esprit à l’archétype de la Totalité, révélatrice du Soi. Dans cette dialectique du moi et de l’inconscient, la réconciliation des contraires est le principe qui gouverne chacune des étapes d’un processus « mort / résurrection », souvent symbolisé par le cycle des saisons. Cet abîme de l’inconscient est ce que les alchimistes appellent la « materia prima », symbolisant le point de départ. Au début, le moi est davantage un masque (persona) qu’une identité authentique, une identité d’emprunt déterminée par les circonstances. L’intériorité est l’athanor (l’alambic des alchimistes) au sein duquel s’opère le processus d’individuation. Celui-ci commence lorsque nous prenons conscience de ne pas être ce que nous avions cru : de n’être ni nos projets ni l’image que les autres renvoient, mais un inconnu à nos propres yeux.

En prenant une distance par rapport au moi, la prise de conscience de notre ombre, cette donnée primitive confuse et conflictuelle de la psyché, conduit à la découverte du « processus de projection de l’ombre » consistant à vouloir briller aux yeux des autres et à accorder une grande importance à l’image de nous-même que ceux-ci renvoient, mais que notre ego rejette généralement. Vécu intensément, cet état souffrant entraîne un désir de changement vers une vie plus authentique. Une rencontre assumée avec notre ombre favorise une diminution de la sévérité des jugements que nous portons sur nous-même, ainsi qu’une prise de distance face aux jugements des autres. Nous réalisons en effet que les aspects de soi apparemment négatifs ne sont en réalité qu’un ensemble d’étapes sur le chemin de la plénitude. Intégrer l’ombre requiert l’amour de soi, au fondement d’une confiance qui prémunit contre les préjugés. C’est l’occasion d’un travail de différenciation et de clarification. Devenu aventurier ou aventurière de l’esprit, celui ou celle qui avance sur ce chemin adopte une vision approfondie de la réalité et devient plus impartial : le bien et le mal sont relativisés et le grave défaut de l’autre est de plus en plus perçu comme la projection d’une carence personnelle. Les pulsions instinctives qui sont sources de conflits et de souffrances se transmutent progressivement en énergies créatrices.

Le dépassement du dogmatisme moral ou antimoral signifie que nous avons appris à écouter notre cœur, à faire confiance à nos sentiments guidés par une intuition du Beau et du Bien. Cette étape permet le développement de nos potentialités. L’âme joue alors de plus en plus son rôle sur la maîtrise du corps. De nouvelles priorités se font jour. Le sens de l’existence n’est plus déterminé par les exigences de la société et du paraître. Notre âme gravite désormais autour d’un nouveau centre mais, dans la mesure où elle encore tournée vers l’extérieur, le Soi peut encore s’exprimer par le biais d’archétypes projetés sur des personnes idéalisées. Dans le processus d’individuation, ces personnes idéalisées, en incarnant la polarité complémentaire, sont comme des « messagères du Soi ». Dans le cas de l’amour passionnel qui assujettit et fait souffrir, les personnes idéalisées exercent une fascination dont il faut prendre conscience de manière à approfondir cet amour, car l’amour est le moteur de la quête. Dans l’inconscient de l’homme et de la femme, ou leur équivalent psychique, réside une image collective de la polarité opposée : l’anima pour les uns et l’animus pour les autres. Ces deux figures symbolisent ce qui manque au moi pour s’élever vers le Soi. Après avoir intégré son ombre, la réunion des polarités anima/animus favorisent une grande intensité existentielle. En évitant la grande perte d’énergie liée à la répression des pulsions troublantes de l’ombre, le moi acquiert plus d’énergie créatrice. En perdant son pouvoir de fascination avec son cortège d’obsessions aliénantes, l’éros (anima) et le logos (animus) s’unissent en un mariage sacré, et l’énergie érotique se manifeste, de plus en plus, sous la forme d’aspirations créatrices.

Apparaît alors avec plus de forces l’archétype « Lumière », qui est celui du surnaturel, de l’au-delà, indissociable du mystérieux tremblement de l’être et de la fascination propres à l’irruption du Sacré. Ses symboles sont la luminosité et la force : Lumière et énergies irréductibles au seul monde phénoménal. À ce stade, nous pouvons être tentés d’identifier notre moi à ce pouvoir transcendant ou, par crainte, de rétablir notre personna par un retour exclusif à la vie ordinaire, les nécessités externes pouvant, en effet, compenser temporairement l’exigence interne. Le premier cas échéant, nous pouvons être tentés de nous croire détenteurs d’un grand pouvoir nous faisant prophète, guru, moralisateur ou une autorité capable de tout organiser et de tout contrôler. La conscience de l’insuffisance de l’ego est d’une grande importance afin que le Soi, ce mystérieux archétype latent, puisse rayonner ; en accomplissant ainsi le processus d’individuation, le Grand Œuvre alchimique. Une fois la tentation du pouvoir surmontée, la réalité microcosmique de l’être humain rend possible une relative harmonisation de l’être entier selon l’image du Soi, du « Divin en nous ». Nous nous percevons alors selon une identité et une liberté nouvelles comblant toute impression de solitude. La compréhension de notre position dans le Cosmos change, notre intuition réalise la conjonction des opposés et, sans admiration excessive, ni réprobation, ni orgueil, nous pouvons assumer l’amour de soi et du prochain qui, comme nous, chemine comme il le peut sur le sentier de la « divino-humanisation ».

La spiritualité créatrice. (Texte no. 6)

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