Une peinture spirituellement transformatrice de Jésus sur un mur.

La spiritualité créatrice (Texte no. 9)

« Jésus maudit par la loi » a permis à Paul de découvrir un monde nouveau, celui de la confiance qui est au monde ancien de la soumission ce que la vie est à la mort.

Une religion institutionnalisée tend à diviser : elle suppose la mise à part de lieux et de temps ainsi que des lignes de démarcation entre dévots et impies. Le recadrage que Jésus opère du concept de la loi transforme les règles de la morale en une liberté et une responsabilité de l’individu devenu sujet. Ce que l’on sait des derniers jours de Jésus (comme la décision de se rendre à Jérusalem pour la Pâque, là où les gens se rassemblent, et d’affronter la religion et ses ramifications sans se cacher ni fuir) permet de mieux comprendre les circonstances de sa condamnation. La promesse de la reconnaissance inconditionnelle de tous par notre Père céleste, selon le langage imagé de Jésus, s’est heurtée frontalement à l’ordre religieux et économique de Jérusalem. L’idée de la présence réelle d’une transcendance qui ne divise pas mais qui crée chacun en sujet libre et responsable par la puissance transformatrice de la confiance, ne pouvait qu’affaiblir l’autorité religieuse. En refusant de se rétracter, Jésus, comme Socrate, a accepté de mourir pour que son message lui survive. Si sa mort a pu conduire à fonder une religion autoritaire en collusion avec l’État, c’est en contradiction avec l’esprit même de son message.

Aux lendemains de la crucifixion de Jésus, le tombeau vide et l’évocation de ses apparitions amènent de plus en plus de disciples à vivre Pâques comme l’annonce de sa résurrection. Dans le récit de Marc, Jésus en personne n’apparaît pas car, dit-on, il était en Galilée où il avait convoqué ses disciples. L’Évangéliste semble éviter de présenter la résurrection de Jésus comme un phénomène constatable. La confiance suppose la liberté, une adhésion libre, elle ne résulte pas de l’obligation d’accepter un fait objectif. L’idée de la résurrection est corrélative à l’événement intersubjectif de la confiance transformatrice à laquelle Jésus appelait ses disciples. Marc rappelle l’invitation inconditionnelle des paraboles de Jésus, la bonne nouvelle, au cœur de la vie quotidienne. Paul de Tarse, à la suite d’une illumination où il voit Dieu révéler Jésus comme son Fils, passe de pharisien dédié à casser le mouvement de liberté que la condamnation de Jésus n’était pas parvenue à briser, à l’apôtre de l’évangélisation universelle. Dans l’épître aux Galates, on peut lire en substance : « Christ nous racheta de la malédiction de la loi ; celle-ci étant devenu malédiction pour nous, car il est écrit « Maudit quiconque est pendu au bois » ». Cette dernière expression tirée du Deutéronome concernait le cadavre de condamnés exposés en public, maudits de facto aux yeux de tous. À l’époque romaine, son application s’était étendue aux crucifixions. Cela signifiait que, aux yeux d’une religion légaliste, Jésus avait été disqualifié par sa crucifixion. Or, si une telle religion avait maudit l’homme que Dieu révèle comme son Fils, c’est cette religion qui est complètement disqualifiée.

Dans l’enseignement de Jésus, Dieu se révèle comme Père transcendant de toutes personnes, indépendamment des qualités qui servent de normes à l’exclusion religieuse. Selon la vision de Paul, Jésus crucifié s’était pour ainsi dire trouvé bénéficiaire de la part de Dieu lui-même, de la même reconnaissance inconditionnelle que celle avec laquelle il accueillait tout un chacun autour de la table. « Jésus maudit par la loi » a paradoxalement permis à Paul de se découvrir comme un sujet libre et non plus comme un pharisien zélé. L’Évangéliste fait valoir que le monde nouveau de la confiance et de la grâce s’oppose, non pas à la loi, mais au monde ancien de la soumission, comme la vie s’oppose à la mort. Déchargés de la malédiction de devoir être par des qualités attribuées et empruntées, ceux qui partagent la confiance dont Jésus a témoigné accèdent à une identité nouvelle. Selon sa vision mystique, Paul prêche Jésus crucifié pour que le paradoxe révélé par l’événement de la croix libère ceux qui le découvrent, comme il l’avait été lui-même. Comme dans les écrits de Marc, la pierre de touche de ses lettres réside dans la puissance libératrice qui élève les individus au rang de personnes libres et responsables. Ces deux évangélistes développent une anthropologie qui, à la lumière de l’universalité des tablées de Jésus et du symbole de la Croix, présente une vision radicalement existentielle de la relation entre le divin et l’humain.

La proximité du Royaume résulte donc de la présence réelle et gratuite de Dieu qui fonde et recrée le réel par l’affirmation de la confiance. Celle-ci est indissociable de la connaissance de soi, au sens socratique du terme, et module notre manière d’être. La multiplication internationale des communautés chrétiennes est marquée par le double événement de la mort de Jésus et de l’annonce qu’il aurait été vu vivant, mais sans qu’il ne s’agisse encore d’une religion institutionnalisée. Une discontinuité par rapport à l’enseignement de Jésus apparaît toutefois dans les lettres de Paul à partir du moment où la résurrection est donnée comme le fondement de l’évangile. Elle s’inscrit littérairement dans les 4 évangiles qui, chacun à leur manière, se présentent comme des biographies de Jésus. Devenu personnage mythique, celui-ci est désormais appelé Jésus-Christ. La relation de continuité et de discontinuité qui lie et sépare Jésus-Christ ressuscité et la personne historique de l’homme de Nazareth, soulève la question de l’identité religieuse des communautés chrétiennes. Alors que les enseignements et les tablées de Jésus n’avaient pas visé à fonder une religion, l’événement de Pâques tel qu’interprété par Paul et vécu dans l’extension internationale de la prédication apostolique infléchit le cours des choses. Pour les gens attachés à l’esprit de liberté qui régnait autour du prédicateur de Galilée et qui avaient participé à ses tablées dans le cadre d’un compagnonnage de proximité, les événements de Jérusalem marquent une rupture. Mais la bonne nouvelle d’une reconnaissance qui révèle chacun comme lieu de la vie spirituelle et lui donne sa place dans une gratuité réciproque, a tôt-fait d’exercer une grande attraction sur les esprits. L’accueil inconditionnel autour de la table a ainsi favorisé l’avènement de nouvelles tablées dans toutes les agglomérations connues d’eux à l’époque.

Robert Clavet, LaMetropole.Com

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