Une image en noir et blanc d'une personne avec une colombe dans la bouche, capturant l'essence de la spiritualité créatrice.

La spiritualité créatrice (Texte no. 14)

L’esprit d’exclusion fait l’esprit de système, qui engendre à son tour l’esprit d’intolérance, comme celui de la cruelle Inquisition inaugurée au 13e siècle.

C’est en tant que Soi, ou « Christ en nous », et non en tant qu’individu dans son autonomie fermée, que l’être humain se découvre comme sujet de la connaissance spirituelle. Le projet de déification donne son sens et son contenu à la liberté et à l’activité créatrice. Sur le chemin de la réalisation de soi, l’être humain « meurt au géocentrisme du moi pour renaître à l’héliocentrisme du soleil divin » (Olivier Clément). L’idée de la déification se situe à l’opposé de la théorie juridique du rachat et de la conception de Dieu comme un monarque exigeant l’obéissance sous peine de châtiments. Sous les instances de Thomas d’Aquin (1225-1274), en provoquant une désunion formelle entre la philosophie et de la théologie, la pensée occidentale s’est fortement attachée à la distinction entre une sagesse naturelle dépendant des lumières d’une raison recherchant des causes et une sagesse surnaturelle dépendant de la foi. Pourtant, dans l’être intégral, l’effort immanent est indissociable d’une vivante transcendance et la raison s’associe à la foi-confiance en un seul mouvement. L’utilisation d’une méthodologie scientiforme (comme dans l’aristotélico-thomisme) n’est pertinente qu’à propos des phénomènes observables, mesurables et quantifiables. Avec une intelligence associée aux sentiments, seul le sujet intégral peut entrevoir une Vérité qui est Voie et Vie, dans « ce miroir dont le tain est constitué par la richesse de l’expérience » (Alexis Klimov (1937-2006)). L’expression symbolique de la Vérité entrevue comporte un élément rationnel d’organisation de la pensée, mais dans une conscience radicale de « l’éloignement » inhérent à cet exercice. Le penseur accueille d’abord l’inspiration et met ensuite sa raison et son imagination à son service. Le discours ainsi créé demande à être recréé par qui y trouve un écho de sa propre expérience intérieure.

Les seules facultés naturelles n’arrivent pas à expliquer d’où viennent les lumières rendant la création humaine possible. Incidemment, les études scientifiques sur la créativité, de Paul Torrance (1915-2003), postulant que la créativité s’appuie sur la pensée divergente (capacité à trouver un grand nombre d’idées à partir d’un stimulus unique), permettent de suivre certains processus mentaux de la créativité, mais ne nous apprennent rien sur le fait même de leur existence. Placer dos à dos une étude scientifique basée sur l’observation de faits et un discours spirituel qui est une symbolique de l’expérience intérieure, ne peut découler que d’une confusion de plans. L’élaboration discursive propre au rationalisme philosophique relève d’une conception de la raison qui se définit exclusivement par le caractère analytique de ses opérations et par la clarté de ses assertions : il s’agit d’une activité uniquement immanente qui organise ses preuves et établit ses démonstrations. Mais aucun déterminisme méthodologique ne peut objectiver complètement ce que l’expérience spirituelle inspire et révèle. Ainsi, une théologie prétendant accéder objectivement au transcendant sans l’événement transfigurateur de l’activité créatrice, est une imposture : il faut ramener à l’intérieur ce qui a été projeté à l’extérieur puis imposé comme une donnée coupée de l’expérience. Incidemment, la recherche scientifique comporte aussi des moments intenses de création d’où surgissent notamment des hypothèses nouvelles et des approches inédites.

Si l’être humain peut en arriver à une certaine connaissance de Dieu, ce n’est pas en prouvant son existence, mais en l’éprouvant. Kant (1724-1804) a raison d’affirmer qu’on ne peut rationnellement, ni démontrer, ni nier l’existence de Dieu. Il en va de même de l’immortalité de l’âme et de la nature profonde de la réalité. En de telles matières, tenir l’une ou l’autre des positions est tout aussi rationnel, si on le fait rationnellement. La logique ne s’intéresse qu’à la forme des raisonnements, c’est-à-dire à l’acceptabilité de conclusions à partir de l’acceptabilité d’arguments qui servent de prémisses. Dans l’argumentation, il est important de s’assurer que les faits soient vérifiés et que les jugements de valeur soient acceptables tout en étant dotés d’une pertinence suffisamment forte pour convaincre. L’acceptabilité des jugements de valeur est une affaire de choix personnels en rapport avec la profondeur du vécu. Si Socrate cherchait à faire prendre conscience des limites du savoir, c’était au nom d’une connaissance supérieure de nature expérientielle. Celui qui « sait qu’il ne sait pas » peut « se souvenir de ce qu’il est vraiment » et agir selon les dictats du cœur à cette hauteur où l’intelligence et l’amour se rencontrent. La lumière de la connaissance spirituelle provient du Logos, du Verbe solaire, ce Feu capable d’embraser l’esprit humain en ne lui enlevant rien, par participation unifiante, dans un double mouvement d’immanence et de transcendance. De par son caractère cyclique (qui symbolise la vie, la mort et la renaissance), le Soleil apparaît comme un symbole d’immortalité. La lumière rayonnée symbolise la connaissance intellective alors que le Soleil lui-même symbolise l’intelligence cosmique. Dans l’art sacré, le Soleil est parfois l’emblème du Christ, qui peut être entouré de 12 rayons représentant les Apôtres. Jésus-Christ apparaît aussi comme Soleil spirituel ou Cœur du monde, ou encore comme Soleil de vérité, qui évoque la transfiguration.

La tradition spirituelle est un dynamisme, « un mouvement d’Amour qui se diffuse » (Élisabeth Behr-Sigel (1907-2005)). La connaissance spirituelle ne résulte pas d’une logique qui oppose et généralise. Dieu ne se découvre pas par l’acceptation d’un discours autoritaire ni par une soumission à la nécessité causale obéissant au principe de non contradiction qui enferme la pensée dans la multiplicité. Notre grand héritage spirituel demande à être recréé en esprit et en vérité, en communion, en tension vers l’unité, dans une continuité créatrice pouvant intégrer de nouveaux éléments de la culture. La connaissance spirituelle est valeur absolue qui se découvre comme expérience de la beauté la plus haute, sertie par la misère de nos manques. Elle est une pénétration de la vie par l’esprit ; or, réaliser un être possible est création.

Robert Clavet, LaMetropole.Com

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JGALe Pois Penché

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.