Une image de baleine dans les nuages, évoquant la spiritualité créatrice.

La spiritualité créatrice ( Texte no. 27)

Au fond, il ne peut y avoir d’existence que parce qu’il y a autre chose que l’existence, une totalité mystérieuse, un néant fondateur inaccessible à la science.

La science se heurte de plus en plus à des questions qui vont outre les possibilités de sa méthodologie. Plusieurs se rabattent sur le concept de « complémentarité » selon lequel deux théories contradictoires ne sont pas de trop pour expliquer une même réalité. D’inévitables « relations d’incertitude » découlent du fait qu’il n’y a pas d’une part un monde et de l’autre celui qui le regarde, car celui-ci fait partie de ce monde. Les explications tendent à réduire l’essence des choses à leurs propriétés et à leurs qualités en escamotant la réalité globale. On avait pensé pouvoir ramener la matière à un très petit nombre d’éléments, peut-être à un seul, mais les physiciens en découvrent sans cesse de nouveaux. Les mêmes conclusions ne tiennent pas à la fois dans les domaines microscopiques et macroscopiques. Après avoir distingué le monde sensible et la réalité intelligible, Platon, dans sa pensée de maturité, en est arrivé à ne plus présenter d’un côté un monde en mouvement et de l’autre une réalité immuable, mais les deux ensembles. De même que la pensée occidentale a commencé par l’opposition entre l’idée du repos absolu et celle du mouvement absolu, il est probable qu’elle se poursuivra par de continuelles oppositions, ce qui ne veut pas dire que les deux points de vue sont complètement faux, mais que chacun fait ressortir un aspect d’une réalité plus large, peut-être infiniment plus large. Au fond, il ne peut y avoir d’existence que parce qu’il y a autre chose que l’existence, une totalité mystérieuse, un néant fondateur ; mais cette affirmation ne peut pas être prouvée scientifiquement.

Le physicien et philosophe James Jeans (1877-1946) présente le fondement de l’univers comme un néant d’où émerge notre espace-temps physique. Ce néant, considéré aussi comme une totalité, serait présent à chacun des lieux et des moments, ceux-ci étant des spécifications de cette totalité, comme une « retombée du global » qui se déploie sans arrêt. Au point de vue phénoménologique, en faisant écho à Platon, le psychique est un intermédiaire entre l’intelligible et le sensible, car si l’inconscient universel dans l’un de ses degrés fait partie intégrante de la totalité du réel, il participe à la fois de son intelligibilité et de sa matérialité factuelle. Cette intelligibilité, pour nous qui existons dans le monde phénoménal, nous est transcendante et ne peut nous être accessible que d’une manière épiphanique (manifestation d’une réalité cachée) et vécue dans le domaine de la réalité psychique. En d’autres termes, l’être humain est en partie empirique et en partie transcendantal. Il y a une hiérarchie interne des plans de l’inconscient, de l‘âme reflétant le Soi jusqu‘à l’inconscient comme champ des structures de la matière. Tout se passe comme si, à partir du Soi comme archétype de la Totalité, il n’y avait qu’un observateur qui contemple une infinité d’objets.

En s’adressant à des physiciens, Jung présente l’inconscient collectif comme un « continuum omniprésent », comme un « présent sans étendue ». « Le monde archétypique est éternel, écrit-il, c’est-à-dire hors du temps et partout car (…) lorsqu’il s’agit d’archétypes, l’espace n’existe pas ». Il propose en effet de renoncer aux catégories de l’espace et du temps lorsqu’il s’agit de la réalité psychique, et d’envisager celle-ci comme une « intensité sans étendue ». Il s’agirait d’une sorte de transformateur d‘énergie dans lequel la tension pratiquement infinie de la psyché pouvait se transformer en fréquences et en « étendues spatio-temporelles perceptibles ». Cette façon de voir ouvre un axe de recherches considérable sur le fondement de la conscience humaine. On y trouve l’idée d’un inconscient global engendrant l’espace-temps à l’image de l’univers, et cela à chaque endroit et à chaque instant de sa manifestation. Jung considère l’univers comme un tout indivisible et conçoit le psychisme humain comme étant structuré de la même façon que celui-ci, ce qui rejoint l’idée traditionnelle du macrocosme et du microcosme. Selon le célèbre psychanalyste, « les archétypes en tant que structures formelles psycho-physiques pourraient être en définitive un principe formateur de l’univers, c’est-à-dire un facteur d’ordre universel qui transcende l‘être ».

L’expérience du « pendule de Foucault » met en évidence la rotation de la Terre par l’effet du mouvement non linéaire d’un pendule causé par le fait que c’est justement la Terre (avec l’observateur et tout ce qui l’entoure) qui change de position et non le pendule. En parlant de ce fameux pendule, Hubert Reeves écrit : « Tout se passe comme si le pendule en mouvement choisissait d’ignorer la présence, près de lui, de notre planète, pour orienter sa course sur les galaxies lointaines dont la somme des masses représente la quasi-totalité de la matière de l’univers observable ». Le plan d’oscillation du pendule de Foucault demeurerait en fait immobile par rapport à l’ensemble de l’univers. D’où, conformément au principe de Mach, est démontré l’énoncé selon lequel la totalité de l’univers est présente d’une façon ou d’une autre à tous endroits et à tous moments. Ainsi, l’univers serait indivisible du point de vue de la totalité du continuum spatio-temporel, et notre manière spatio-temporelle de l’appréhender serait une « instanciation » (l’avènement d’une chose particulière) à l’intérieur de cette totalité fondatrice.

Ce n’est pas une substance qui porte les propriétés de chaque objet matériel et leur confère une identité à travers le temps et l’espace : une chaise en bois peut être recyclée ou devenir de la cendre. Les objets possèdent une identité non pas à cause de l’existence d’une substance ou d’un substrat spécifique, mais résulte d’une « relation » qui rattache les propriétés ensemble. Une chose comme telle est un ensemble complexe qui possède indéniablement des propriétés, mais est aussi le résultat d’un processus unificateur de nature relationnelle qui la rend momentanément identique à elle-même dans l’espace et le temps, qui la fait exister en tant que chose spécifique pour une conscience. Tout se passe comme si la conscience des êtres humains plongés temporairement dans la multiplicité, était pour ainsi dire « la conscience de soi » d’une conscience unique.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

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Mains LibresJGA

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.