La spiritualité créatrice prend vie dans ce tableau captivant représentant un vieil homme et une petite fille tenant une bougie.

La spiritualité créatrice ( Texte no.28)

Par des analogies et des antinomies, des poètes et des philosophes font communiquer le particulier et l’universel, le même et l’autre, le mouvement et le repos, le rêve et l’état de veille, l’activité et la passivité, l’éphémère et l’éternité. Ils témoignent de cette puissance qui nous fait voir les choses particulières dans une obscure lumière qui les dépasse toutes.

Dans la vie de tous les jours, lorsque nous disons qu’une bouteille est vide, nous voulons dire qu’elle ne contient pas de liquide, étant entendu qu’elle est remplie d’air. Le mot « vide » ne signifie évidemment pas toujours un « vide total ». Dans le vide spatial ou interstellaire, par-delà l’atmosphère terrestre et entre les corps célestes, il n’y a qu’une faible densité de matière ordinaire (une particule par cm3 contre 1020 par cm3 dans l’atmosphère terrestre). Toutefois, il ne s’agit toujours pas d’un vide total, d’un vide ontologique (d’une absence totale d’entité, d’un néant). Dans le monde physique, le vide est un espace qui implique des relations spatiales et temporelles, et qui n’est jamais complet. On parle par exemple de propriétés comme « l’énergie du vide » ou « les états du vide » qui décrivent les niveaux d’énergie les plus bas possibles pour un champ quantique dans une région donnée de l’espace-temps. Même si la valeur moyenne d’un champ dans une région particulière peut donner 0, la théorie quantique prédit qu’il y aura des fluctuations autour de cette valeur nulle, c’est-à-dire de brèves apparitions de particules « virtuelles ». Celles-ci ne sont pas observables au même titre que les particules « réelles », mais il n’en demeure pas moins que le vide physique n’est jamais quelque chose d’absolument vide. En fait, le vide physique est  plus proche du vide de la vie de tous les jours (comme celui d’une bouteille vide) que du vide ontologique, car il ne s’agit que d’un vide partiel. Les énergies de faibles niveaux, les fluctuations quantiques, les photons et les champs électromagnétiques ne sont pas des choses au sens classique du terme, mais ils ne sont pas moins présents dans le vide physique.

Certains physiciens pensent qu’un milieu dénué de « matière ordinaire » mais possédant des propriétés quantiques, serait identique à l’espace-temps conçu comme lieu d’instanciation (de l’avènement d’une chose particulière indissociable d’un ensemble plus grand). Contrairement à la vision classique de la réalité, où les propriétés des objets sont instanciées par d’autres objets localisés dans l’espace-temps, les propriétés quantiques sont directement instanciées dans la trame de l’espace-temps sans la médiation d’objets ou de substances matérielles. Le physicien français Bernard d’Espagnat(1921-2015) explique qu’une particule n’est pas en elle-même « une réalité », mais une propriété plus ou moins transitoire de la réalité, un « niveau d’excitation » dans un champ quantique. Les propriétés seraient directement instanciées par l’espace-temps et les objets en résultant seraient pour ainsi dire constitués par des volumes d’espace-temps. Dans ce contexte, l’espace-temps est considéré comme une substance fondamentale et le cosmos comme un « ensemble » au fondement de chacune de ses parties (les objets ordinaires et les particules). Alors que les propriétés sont directement instanciées, les objets n’existent que de façon dérivée : c’est comme si c’était le cosmos entier qui existait vraiment, tout en étant indissociable des objets matériels en son sein. Cette façon de voir, qui considère l’espace-temps comme une substance universelle unifiée, se situe à l’opposé de l’atomisme, qui envisage la réalité comme une pluralité de substances. Elle reconnaît plutôt l’existence d’une sorte de fluide spatio-temporel qui instancie directement les propriétés des choses. Selon ce point de vue, ce ne sont pas des objets déjà localisés dans l’espace-temps qui instancient des propriétés mais, à l’inverse, des ensembles de propriétés qui instancient des objets dans l’espace-temps.

Il n’y a pas d’un côté des zones d’espace-temps et de l’autre des objets qui s’y trouvent. Les parties et le tout sont indissociables. Dans l’univers, il n’y a aucune dualité entre un objet et le volume qu’il occupe : un objet matériel existe en occupant une région de l’espace-temps et est la même chose que celle-ci. Contrairement aux entités quantiques, les objets matériels ordinaires, comme une table ou une chaise, n’occupent qu’une région de l’espace-temps à la fois. Einstein fait remarquer que la découverte de Lorentz (1853-1928) « peut être formulée de la manière suivante : l’espace physique et l’éther sont simplement deux termes différents qui désignent la même chose ; les champs sont des états physiques de l’espace ». Les propriétés ne sont donc pas des propriétés de choses. La théorie de l’espace-temps considérée comme une substance qui porte les propriétés doit plutôt être pensée comme un relationnisme selon lequel une propriété naturelle s’instancie en l’espace-temps entendu comme un ensemble de relations. Cependant, les propriétés n’existent pas indépendamment de la réalité instanciée : elles « s’instancient » (deviennent tangibles, réelles ou concrètes) en acquérant une localisation dans l’espace-temps. Même si les propriétés, à proprement parler, ne sont pas les propriétés de quelque chose, la science ne peut en conclure pour autant qu’elles sont issues du vide ontologique, du néant, car celui-ci est non objectivable et se situe sur un plan inaccessible à la science. Le vide ontologique ne peut être abordé que dans le contexte d’un discours métaphysique, et celui-ci implique toujours une docte ignorance explicite.

Au fond, l’esprit humain ne peut pas se défaire de cette antinomie selon laquelle le monde phénoménal (celui du changement, de la multiplicité, de l’espace-temps, de la finitude et de la quantité) et la réalité nouménale (celle de l’unité, de l’éternité et de l’infini) se compénètrent. Mais l’expérience spirituelle associée au discours métaphysique comporte une dimension consciemment nocturne, une docte ignorance. Néanmoins, par des analogies et des antinomies, des poètes et des philosophes font communiquer le particulier et l’universel, le même et l’autre, le mouvement et le repos, le rêve et l’état de veille, l’activité et la passivité, l’éphémère et l’éternité. Ils témoignent de cette puissance qui nous fait voir les choses particulières dans une obscure lumière qui les dépasse toutes.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Je vous donne rendez-vous une fois la semaine pour la suite de notre chronique sur la spiritualité créatrice.

JGAMains Libres

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.