La spiritualité : Une femme assise au sommet d'un rocher contemplant une vallée.

La spiritualité créatrice (Texte no. 37)

Personne ne sait scientifiquement ce qu’il y a après la mort, mais l’aspiration à la vie éternelle est un mouvement de l’âme qui transcende l’instinct de conservation.

Unamuno (1864-1936) disait que ce qu’il y a de mauvais dans le « Discours de la Méthode », ce n’est pas que Descartes commence par vouloir douter de tout, mais qu’il cesse d’être lui-même, d’être un homme en chair et en os, pour devenir un pur penseur, c’est-à-dire une abstraction. Par quel égarement, se demande l’auteur du « Sentiment tragique de la vie », en sommes-nous venus à douter de notre propre existence alors que c’est la seule chose qui soit dans notre expérience immédiate, à nous considérer nous-mêmes comme des objets ne pouvant être connus qu’indirectement et à travers des intermédiaires ? Il est vrai que l’auto-conscience (la conscience de soi sans référence à des objets externes) est une conscience primordiale qui ne peut être parfaitement décrite ni définie. Il est aussi vrai que, au regard de l’immensité de l’Univers, la conscience supérieure de soi semble indéfendable. Comment, en effet, en arriver à voir l’être humain comme le but qualitatif de la création ou même à lui accorder objectivement la moindre importance en sachant qu’il est un animal sur une planète en sursis qui tourne autour de l’une des milliards d’étoiles de la Voie lactée, celle-ci étant l’une parmi les 2,000 milliards d’autres Galaxies comportant au moins 10,000 milliards de milliards d’étoiles ? Rien d’étonnant à ce que les philosophes aient pu défendre avec un égal bonheur d’argumentation autant l’idée de l’humble origine organique de l’être humain que celle de son origine divine, autant la thèse d’un déterminisme radical que celle de la liberté créatrice. De toute façon, les concepts et les raisonnements ne donnent pas confiance et force, celles-ci étant plutôt l’effet d’un don, d’une pure donation. Mais combien touchants, remarque Berdiaeff, sont ces efforts de l’esprit humain pour se frayer un passage vers la lumière.

Personne ne sait scientifiquement ce qu’il y a après la mort, mais l’aspiration à la vie éternelle est un mouvement de l’âme qui transcende l’instinct de conservation. Si l’Univers peut être pensé comme une Totalité, le temps comme « l’image mobile de l’Éternité » (Platon) et l’immensité de l’Univers comme l’image visible de l’Infini, c’est parce que ces Idées sont déjà présentes en l’esprit humain. Douter de la force créatrice humaine, c’est s’aliéner au monde, c’est étouffer l’énergie spirituelle par manque de confiance. Selon l’auteur du « Sens de la Création », un foyer lumineux est au-dedans de nous comme un flambeau universel, et la liberté créatrice s’accomplit par participation aux énergies divines. Le monde objectivé conçu comme un enchaînement causal nécessaire peut alors être vu comme un défi à relever, une liberté à conquérir. Ontologiquement parlant, il n’y a qu’un monde, mais la réalité manifestée peut être intuitionnée symboliquement comme un mystérieux éclatement du Divin qui la rend transfigurable. Dans la Culture occidentale, la Résurrection, expression d’une corporéité pneumatisée, exprime symboliquement l’espérance en « un nouveau Ciel et une nouvelle Terre ». Seule la « conscience primordiale » de l’être humain intégral, qui transcende la scission sujet/objet, peut rendre compte de ce que nous sommes vraiment. Le sujet est une créature de Dieu alors que l’objet, issu d’une « conscience secondaire » fabricatrice du monde objectif, est une création du sujet. Ni l’objet connu ni le sujet connaissant, mais le sujet concret en chair et en os comporte une dimension nouménale. Sous réserve de la simple confiance, l’être humain intégral (celui qui naît, meurt, a peur et espère) est convié à participer à la vie divine.

La science s’intéresse au comment et non au pourquoi. Toutefois, pour un Louis Lessard, physicien à l’Université de Montréal, quelle que soit l’importance de l’exigence d’intelligibilité de l’univers physique et des différents êtres qui le constituent (particules, interactions fondamentales, objets de plus en plus complexes qui apparaissent au cours de l’histoire de l’Univers), les questions les plus importantes gravitent toujours autour de la question du sens appliquée à l’être humain, et font souvent appel à des problématiques étrangères à la démarche scientifique. Il en donne entre autres comme exemples : « Y a-t-il nécessité du sens (ou d’un sens) ? S’agit-il d’une exigence logique qui découle de l’existence d’un être doué de conscience ? Quel lien y a-t-il entre le sens et l’explication scientifique de la venue à l’être d’une espèce donnée (ou d’un individu de cette espèce) ? Pour qu’il y ait sens, faut-il qu’il y ait plan préétabli, une finalité des espèces ou de l’homme ? L’exigence du sens entraîne-t-elle la nécessité d’un sens de l’univers ? Un univers qui est le fruit du hasard peut-il « engendrer » des « créatures » douées de sens ? Pour qu’il y ait sens, est-il nécessaire qu’il y ait préexistence du sens (comme Platon l’entendait) ? Peut-on donner un sens ? Un sens peut-il être donné après coup ? Y a-t-il un lien entre sens et importance ? » La recherche fondamentale tend vers une théorie du « grand tout », mais la Totalité est inaccessible à la science.

Devant la complexité du réel, la personne spirituelle s’affirme par un acte de confiance. Maxime le Confesseur parle d’une « identité par la grâce » rendue accessible par le charisme de la saisie de la Présence. En y ajoutant les perspectives de la transfiguration et de la déification, les Pères chrétiens orientaux ont retenu de la philosophie grecque celles de la réalisation de soi et de l’affirmation du statut ontologique de la réalité sensible (considérée comme reflet mobile des Idées (des Archès)). En réduisant le possible à ce que peut saisir l’entendement dans les limites du principe de non contradiction et de l’identité formelle, on s’enferme dans un jeu de miroirs où la dimension spirituelle tendue vers l’unité ne peut apparaître. Le seul critère de la connaissance spirituelle est son évidence intérieure. En assumant la docte ignorance, l’être humain intégral peut surmonter l’opposition de l’homme logique et de l’homme vivant. Nous avons perdu la ressemblance, mais l’image divine habite notre âme en force et en qualité. Nous sommes des animaux biologiques et sociaux, mais avant tout des êtres spirituels. Au plus profond des choses, la Vérité, c’est Dieu, objectivement inconnaissable, mais participable dans ses énergies.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

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Mains LibresPoésie Trois-Rivière

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.