La spiritualité créatrice transparaît lorsque le soleil se lève sur terre depuis l'espace.

La spiritualité créatrice (Texte no. 38)

Rendue possible par la limite, la contemplation des choses en leur splendeur et en leur ombre présuppose la présence de la lumière infinie du Logos.

L’intellect n’arrive que péniblement et très approximativement à se représenter la nature dans son unicité. Celle-ci n’est pas que de la matière brute en mouvement, mais manifeste une puissance « originante ». Elle est traversée par la lumière du Logos, analogiquement à la manière de la superposition quantique d’états d’onde et de particules. Tout en s’étendant immensément, l’Univers reflète une Unité infinie. Par la lumière du Logos, toutes choses et leurs contraires apparaissent dans leur lumière propre. Le visible est l’épiphanie d’un autre plan du réel. En laissant venir à soi, en « accueillant avec bienveillance » (Heidegger), l’être humain peut contempler une beauté qui persiste dans une continuité créatrice que les ombres soulignent. La venue en présence de la lumière du Logos advient d’elle-même et par elle-même : elle est pure donation de présence. Bien que voilée, la lumière subsiste dans les choses. L’être humain peut expérimenter des « possibilités ouvertes ». Il n’existe pas d’abord isolément pour ensuite entrer en relation avec quelque chose d’extérieur sous un mode représentatif, mais se rapporte d’emblée au monde. Il n’est auprès des choses, d’autrui et de lui-même que parce qu’il se tient déjà sur un autre plan. Il est « l’éclairé qui éclaire », il est le lieu libérateur qui actualise la présence. Rendue possible par la limite, la contemplation des choses en leur splendeur et en leur ombre présuppose la présence de la lumière infinie du Logos.

Lorsqu’un grand malheur frappe, comme la mort d’un être cher, les profondeurs de notre être s’ouvrent sur un abîme, les limites de la vie ordinaire éclatent et quelque chose change définitivement en nous quand bien même la vie quotidienne reprend ses droits. La vie dite normale permet un répit, mais les aléas de l’existence convoquent des états différents de la conscience. Les moments d’éveil s’accompagnent d’un désir, corrélatif à un vide, à un manque, à la conscience de ne pas être ce que nous sommes vraiment. Cet état met en présence une obscure lumière, proportionnelle à la conscience de la cécité caractérisant nos états de conscience ordinaires. Notre âme participe alors à plus grand qu’elle. « Existentiellement parlant, écrit Alexis Klimov, nous sommes dans une totalité qui nous comprend sans que nous la comprenions. » Mais, en référence à Boehme, l’auteur ajoute : « C’est dans les ténèbres qu’on connaît la lumière, sinon elle ne se manifesterait pas ». C’est en effet dans la nuit que les étoiles se révèlent, ces points lumineux que les esprits distraits s’imaginent être de petites choses. Lorsque nous revenons sous les lumières de la raison raisonnante qui ramène tout à ses catégories, s’imposent à nouveau des problèmes insolubles que le déni et la distraction soulagent tant bien que mal. Aussi longtemps que l’être humain n’a pas trouvé son soleil intérieur, il le cherche vainement à l’extérieur. Le chemin sinueux de la vie spirituelle consiste à passer d’un état de l’être à un autre selon un rythme propre à chacun. L’éveil à la conscience spirituelle amène une diminution en importance de l’emprise du quotidien et favorise l’ouverture à l’intensité de l’instant. Le lieu de Dieu se soutient de lui-même, au cœur de notre âme. Mais ce que nous signifions par le mot « Dieu », dépend notre niveau de conscience ; c’est pourquoi il est raisonnable de ne pas réduire « Dieu de notre cœur et de notre amour » à ce que nous croyons en savoir.

À la fin de son livre intitulé « De l’Abîme », Klimov écrit : « L’essentiel, le voici : comprendre pourquoi la révélation de la Nuit est celle de la vie, pourquoi la création implique la traversée de l’Abîme, pourquoi la réalisation de l’homme passe par l’Aventure. » C’est par une conscience fondamentale et immédiate de soi que l’être humain comme microcosme entre en rapport avec l’image macrocosmique qui se trouve en lui comme une présence. En parlant de « l’imago Dei », Marie-Madeleine Davy (1903-1998) écrit : « Dans la mesure où [l’être humain] est délié de cette image, jeté hors d’elle, le voici exilé, étranger, malheureux : il éprouve en lui un sentiment de dualité et c’est dans la mesure où il va communier avec sa patrie d’origine qu’il pourra (…) recouvrer son unité. » C’est à partir de l’intériorité que la connaissance unitive se révèle. Se faisant poète, Jésus a dit : « Le royaume des cieux est au-dedans de vous ». Le Soi manifeste une présence qui transcende le jeu des oppositions et des antinomies propres à la multiplicité. La spiritualité se situe à l’opposé de ces systèmes philosophico-religieux aux prétentions d’objectivité qui alimentent l’esprit d’inquisition et justifient l’autoritarisme fascisant. Elle implique une énergie autocréatrice, et qui dit création dit liberté (liberté comme « pouvoir positif de création » (Berdiaeff)). Elle résulte d’un choix libre par amour répondant à un soupir venant de plus loin que nous, à cette hauteur où l’amour et la raison se rencontrent. Inhérente à la conscience primordiale, le désir de réalisation de soi et la soif d’éternité font de chacun un centre dramatique d’initiative. La passion peut assujettir, mais la spiritualité n’invite pas moins à une quête passionnée où le conscient et l’inconscient se rencontrent, en tension avec la rayonnante lumière solaire. Malgré le caractère tragique de l’existence, malgré nos faiblesses et nos manquements, une spiritualité assumée fait de notre vie une prière, un mouvement de l’âme vers Dieu soutenu par la confiance et la gratitude.

Avec son langage coloré, Jésus disait : « Le Royaume est déjà là ». Il a témoigné de la présence d’une puissance de transformation à l’œuvre dans la vie de tous les jours rendant possible une identité et une liberté nouvelles dans un monde où toute personne est reconnue comme son prochain. Il enseignait que la vie est un don qui s’adresse à la liberté et fait de la personne un être créateur et responsable. Le Soi, le Logos, le Verbe, le Christ est au cœur notre âme, réminiscence de ce que nous sommes vraiment, à la source du désir de la vie éternelle. La proximité du Royaume résulte de la présence réelle, transcendante, gratuite, sans médiation obligée, qui fonde et recrée le réel grâce à l’ouverture générée par la confiance.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Je vous donne rendez-vous une fois la semaine pour la suite de notre chronique sur la spiritualité créatrice.

Poésie Trois-RivièreLas Olas

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.