Un coucher de soleil coloré illumine une silhouette d’herbes hautes, évoquant un sentiment de spiritualité créatrice.

La spiritualité créatrice (Texte no.40)

Confronté à la mort, précipité dans la nuit de tous les savoirs, le passage de notre moi égocentrique à notre être authentique requiert l’accueil d’une mystérieuse lumière que la simple confiance rend accessible.

En science, les relations d’incertitude viennent du fait qu’il y a l’intervention forcée de l’observateur. La physique connaît une crise de l’objectivité à propos de la conception même de l’étendue et de la gravité. L’explication scientifique peut porter atteinte à l’essence de la chose lorsque celle-ci est irréductible à une description objective. On s’est aperçu que les mêmes conclusions ne tiennent pas à la fois dans les domaines microscopiques et macroscopiques. De nos jours, plusieurs théories viennent ébranler les conceptions naguère admises. Ainsi, selon la théorie de la « dynamique des formes », il y aurait eu création de deux univers au moment du big-bang, l’un étant l’image miroir de l’autre, avec une flèche du temps opposée. Inspiré par le relationnisme de Leibniz (selon lequel l’espace-temps n’aurait pas de substance, mais serait une relation formelle accompagnée peut-être par un « fluide »), Koslowski décrit « la dynamique des formes » selon une conception classique de la gravité (avec les masses et l’étendue), mais en faisant l’économie de l’espace-temps et de la géométrie d’Einstein. Un autre exemple est la conception d’Hubert Reeves qui envisage un Univers engendrant lui-même l’espace et le temps dans lesquels il s’étend et perdure, présent en totalité d’une façon ou d’une autre à tout endroit et à tout moment, indivisible du point de vue de la totalité du continuum espace-temps. Ainsi, notre manière spatio-temporelle d’appréhender l’Univers serait une représentation à l’intérieur de cette totalité. Dans un contexte où le monde quantique est « étranger » au monde étendu tel qu’il apparaît, les phénomènes perçus seraient des expériences vécues, des contenus de conscience permettant d’être en relation avec le cosmos et entre nous.

Au milieu du 20e siècle, en s’adressant à des physiciens, Jung décrit la psyché comme une « intensité sans étendue », comme un transformateur d‘énergie dans lequel la tension pratiquement infinie de la psyché est transformée en fréquences et en « étendues spatio-temporelles perceptibles ». Sous ce rapport, les archétypes relèveraient d’un principe formateur de l’univers qui transcende l’être. Les représentations du réel découleraient d’un inconscient global à l’image de l’univers, qui engendre le temps et l’espace à chaque endroit et à chaque instant. L’affirmation d’une totalité en tous lieux et à tous moments présuppose que ces lieux et ces moments soient des spécifications de cette totalité, comme une sorte de « retombée du global » qui se déploie sans arrêt. Il s’agirait alors d’un espace inconscient absolu dont le Soi est l’archétype, grâce auquel un nombre indéfini d’observateurs contemplent un même Monde et un même Univers, à la manière d’un unique observateur contemplant une infinité d’objets. Considéré comme partie intégrante de la totalité du réel, l’inconscient universel de Jung participerait à la fois de son intelligibilité ontologique et de sa matérialité factuelle. L’intelligibilité ontologique, pour nous qui existons dans le monde phénoménal, nous est transcendante et ne peut nous être accessible que dans des systèmes épiphaniques vécus dans le domaine de la réalité psychique, et qui font le lien nécessaire avec notre réalité « d’existants ». Dans cette vision supra-cosmique où l’être humain est considéré comme étant en partie empirique et en partie transcendantal, il y aurait une hiérarchie interne de plans allant de l‘âme à l’image de Dieu, le Soi, jusqu‘à l’inconscient comme champ des structures de la matière.

Dans la pensée de maturité de Platon, il n’y avait pas d’un côté un monde immuable et d’un autre un monde en devenir, il y avait les deux ensembles. Il n’y a d’existence que parce qu’il y a autre chose que l’existence. Le monde phénoménal et la réalité nouménale se compénètrent, et l’esprit humain ne peut pas se défaire de cette antinomie. C’est pourquoi l’expérience spirituelle comporte un fond consciemment nocturne. Par des analogies, des antinomies et des symboles, combien d’artistes et de philosophes ont fait et font encore communiquer le particulier subjectif et l’universel, le même et l’autre, le mouvement et le repos, le rêve et l’état de veille, l’activité et la passivité, l’éphémère et l’éternité, le partiel et la totalité. Combien ont témoigné et témoignent encore de ce don qui fait dépasser les choses particulières et nous les fait voir dans une obscure lumière qui les dépasse toutes. Sur le plan spirituel, la contradiction ne marque ni la fausseté ni la vérité, mais invite à une plus grande amplitude de conscience, comme dans « l’échelle de conscience » du Dr Hawkins. Plus l’être humain est conscient, plus il est ouvert à la fois à l’abîme de l’infinité divine et à l’abîme de sa finitude. Le don de sagesse vient d’une inspiration qui rend sympathique la perspective d’une Totalité. Confronté à la mort, précipité dans la nuit de tous les savoirs, le passage de notre moi égocentrique à notre être authentique requiert l’accueil d’une mystérieuse lumière que la simple confiance rend accessible.

L’être humain peut dévoyer la liberté ou en rejeter le fardeau, mais Dieu ne peut pas se passer de la liberté humaine et de sa réponse créatrice. La mystérieuse impuissance de Dieu devant la liberté humaine peut être pensée comme une dialectique du Désirant et du Désiré, de l’Aimant et de l’Aimé. L’opposition logique entre un Dieu parfait et un Dieu qui attend une réponse à son amour est surmontée en considérant les faces cachées et révélées de Dieu, c’est-à-dire Dieu comme inaccessible Totalité (symbole apophatique) et Dieu dans ses énergies participables (symbole trinitaire). La réciprocité de l’amour divino-humain n’est possible que vis-à-vis d’une liberté, car l’amour ne se force pas. Un pur esprit infiniment parfait ne peut être conscient de Lui-même que par la participation d’êtres à son image plongés dans la multiplicité. Notre conscience participe de la conscience de soi de Dieu, du Soi, dont l’énergie est infinie et l’image apparente immense. En transcendant mystérieusement sa nature incréée pour se donner, Dieu naît éternellement du Néant en posant une Liberté initiale au fondement de la liberté humaine. En définitive, l’unité recherchée est celle du Cœur de Dieu qui est la vérité à la fois cachée et révélée du Cœur de l’être humain.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Il s’agissait du dernier article de cette chronique qui, dans quelque temps, sera offerte dans ce journal sous la forme d’un livre. Merci à tous nos fidèles lecteurs !

Le Pois PenchéMains Libres

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.