Larry Tremblay : l’oeil soldat

Une photo en noir et blanc de Larry Tremblay en costume. Une photo en noir et blanc de Larry Tremblay en costume.
D’entrée de jeu, Larry Tremblay est le meilleur écrivain québécois des dernières années.

Depuis l’orangeraie, qui explore la notion de culpabilité et de vengeance, son jeu textuel est d’une puissance inégalée (d’ailleurs, ce livre deviendra un opéra). Un livre de poésie grandiose, bouleversant. Un jeune homme halluciné en proie à un pacte qu’il passe avec le diable. L’horreur de la guerre? L’adolescence à fleur de peau? Oui et plus encore.

À la lecture, on pense à Blaise Cendrars. Cette rythmique implacable. La poésie qu’il considère comme un laboratoire. L’agencement des mots précis pour exprimer la Douleur (le pathos). Peut-on choisir entre le Bien et le Mal? Et toujours cette vérité de jeans ramassé dans la boucle du ceinturon, œil cru. Difficile alors de ressembler à mon nom, de répéter comme une leçon apprise, mon visage de rage. (p. 33).

Il est de son temps. Il questionne le monde d’aujourd’hui (la catharsis). Comment vivre dans une société avec toutes les idéologies spirituelles qui se confondent. Comment garder l’œil ouvert? Le bon œil? L’œil soldat, la métaphore de l’extrême (du diable omniprésent?). Pour fêter le pacte, j’avale la mouche tombée dans mon verre de bière et plonge mon index droit dans le sexe du premier venu (Dieu, lui, toujours, lui) qui gémit sans s’offusquer. (p. 37).

Il part d’un Je, il questionne le mal. On observe ce qui se passe autour de nous : le racisme, l’islamophobie, l’homophobie. Les médias sont à l’affût du moindre scandale. Pour Larry Tremblay, pas d’auto-censure. La spiritualité est plus forte que la religion. Quel est le sens des mots? De la poésie qui serait un exercice de polémique. Faire abstraction de la logique gestionnaire, la poésie est un acte de foi, de libre penseur. C’est aussi une sorte d’écriture théâtrale qui diagnostique le dédoublement de personnalité. Fouetter les bouches, déterrer les dents jetées dans les fosses communes, mots incendies, horizon de métal martelé par des poings de cuir, que faut-il cesser d’être pour apaiser le rouge? (p.59).

À lire, ces passages bouleversants et ses réflexions sur l’origine du mal. Une possibilité sur l’éveil des sens (l’imaginaire enfoui). J’ai pensé à un acte de foi. À Leonard Cohen : La mer si profonde et occulte. Le soleil, le sauvage secret. Le baton, la roue, l’esprit. Ô mon amour, n’en as-tu pas encore assez? Le sang, le sol, la foi, ces mots que tu ne peux oublier. (La foi).

L’oeil soldat est un récit poétique qui expérimente toute la violence du monde occidental. Comment préserver sa vie intime, son imaginaire, celui de l’enfant en quête de repaires? Le pouvoir de la poésie permet d’activer le moteur de la Conscience.

Avant de conclure, quelques mots sur L’impureté, (1) roman post-moderne, sur la fragilité de nos idéaux. J’ai pleuré comme un enfant à la lecture de ce roman qui parle des démons dissimulés (il y a même quelques pages qui rendent hommage au chanteur Kurt Cobain, du groupe Nirvana, qui s’est enlevé la vie, en 1994, au sommet de sa gloire).

En lisant, Larry Tremblay, on est confronté à l’intimité de sa psyché. Son écriture est fascinante, touffue et introspective. La trace d’une éternité, le frisson d’une onde racine de lumière. ( p. 77).

1. L’impureté, roman, réédité  2018, Alto

Larry Tremblay, l’œil soldat, La peuplade 2019. Larry Tremblay nous présente son sixième recueil de poésie. Il est aussi un auteur de théâtre (une vingtaine de pièces), et un romancier (il a reçu le prix des libraires du Québec pour l’Orangeraie en 2014). Plusieurs de ses œuvres théâtrales ont été traduites en différentes langues, plus d’une douzaine). Il enseigne le jeu et l’écriture dramatique à l’Université du Québec à Montréal.

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Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com