Une femme en veste marron debout devant un édifice, incarnant l'essence de la Littérature québécoise.

Marie-Hélène Poitras, La désidérata

C’est le plus bel après-midi du monde. Je suis dans une autre dimension ; celle de Noirax, un univers de légende. Je suis ailleurs. C’est beau, à fleur de peau. Cette fable s’immisce au plus profond de mon cœur d’enfant. Je découvre une autre vie ; celle de la Maison aux parfums. Aliénor est partout dans ma tête. C’est La désidérata.
Voyage dans l’imaginaire

Des journées à lire ces jolis mots, à découvrir ses personnages issus d’un univers parallèle. Je pense à Anne Hébert. Personnellement, je crois que les premiers moments de l’amour sont ceux du corps. Dans la folle folie du désir, il y a le fils Jeanty qui est de retour après une peine d’amour. Une quête identitaire se prépare. Si je lis ce conte, je m’offre un voyage dans mon propre imaginaire. « Vous lire, c’est regarder le poitrail de l’oiseau qui se gonfle, cette joie atomique. » (1)

Dans La Maison aux parfums 

Il faut lire le passage à propos de l’oiseau prisonnier dans le grenier de la maison : « Point jaune effondré dans la cendre comme le soleil dans le ciel de Noirax, la mort aussi soudaine qu’un baiser. Aussi souveraine que le désir. » (p.41) C’est mon amour des oiseaux qui traverse cet extrait. Aliénor, de son côté, a passé quatre nuits dans le pavillon à dormance. Aliénor aime la forêt. Elle n’a peur de rien, pas même des hommes. « Elle veut redresser l’ordre du monde. » (p.59)

Le fils et le père sont amoureux d’Aliéanor. C’était chose courante, à l’époque. L’amour interdit (le non-dit), à la limite de l’inceste. J’ai pensé au Fou du père de Robert Lalonde. Il y a de la magie dans l’air depuis que notre héroïne fait tomber les cœurs. La Maison aux parfums est sous son emprise.

Poésie et lumière

Il faut lire ce que l’autrice Marie-Hélène Poitras a inventé avec son vocabulaire d’une grande poésie. « Aliénor passe d’un désir à un autre, d’une fontaine à une fée à une forêt à une robe à un homme, à un animal à un champignon, à un cœur d’oiseau. » (p. 72)

Cette femme (fée) est la pureté diaphane de mon cœur de petit garçon amoureux. Trouver cette écrivaine qui dévoile pour moi l’architecture du désir. Il y a de la poésie dans les interdits de l’adolescence. On finit toujours par trouver sa vérité dans un livre ou dans le regard d’amour de notre ami(e). Mme Poitras, il y a tant de ferveur dans votre livre. Vous connaissez cette sensation d’inadaptation à ce monde. « Cette petite veine bleue rompue, toute la rivière passe la mémoire. » (2)

La psyché de Jeanty

Jeanty a quatorze ans. Ce qui se passe dans sa tête, son imaginaire fou, m’a fait basculer dans ma propre adolescence. L’effet miroir ? Dans le monde du désir, tout se consomme. Être gouverné par un fantasme que même les anges ne peuvent comprendre. Marie-Hélène Poitras est venue me chercher profondément, jusqu’aux larmes. Selon moi, c’est une expérience de lecture spirituelle.

La musique du livre 

Il y a de la musique et des chansons qui traversent tout le récit. La trop brutale énergie d’Aliénor a besoin d’une fenêtre pour adoucir le paysage enchanté. Comme dirait l’autre, j’ai été moineau et archange. De longs extraits d’une chanson de Marjo (3) chantés dans la volupté, en chœur :

« Emmène-moi là où ça sent l’amour

Pour faire mon nid, le mien se détruit

Emmène-moi là où ça meurt le jour

Ailleurs c’est trop loin

Beaucoup trop loin. » (p. 94)

Il faut lire, goûter à ses mots (le Sacré de la Vie).

« C’est beau.

Comme une danse funèbre ou un poème naïf qui laisse croire 

que ce monde pourrait être satiné. » (p.117)

Tout est vanité 

Dans la Bible, c’est écrit : « Vanité, tout est vanité. »(4) Que restera-t-il des forêts généalogiques de Noirax? Il y aura d’autres enfants, d’autres aventures. Pour moi, petit garçon lecteur, que de lunes à pousser au poignet des étoiles et surtout ce livre, laminé sur mon cœur !

Notes

  • Christian Bobin, La grande vie, Folio 2013.
  • Anne Hébert, poème, La chambre des bois.
  • Marjo, Tant qu’il y aura des enfants, 1990.
  • Vanité des vanités, Ecclésiaste 1;2 La Bible.

Marie-Hélène Poitras a reçu le prix Anne-Hébert pour son premier roman Soudain le Minotaure en 2002.

Marie-Hélène Poitras, La Désidérata, Alto, 2021.

Mains LibresLas Olas

Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com