Marie St-Hilaire-Tremblay, L’ancolie. Par Ricardo Langlois
Les Romains en tiraient un philtre aphrodisiaque. L’ancolie se retrouve dans un poème du 14e siècle rimant avec mélancolie. « L’ancolie » dissimule un tempérament solide. Ce recueil multiplie les métaphores (représentation et images hermétiques). Entre mère, fille et petite fille.
La mère se noie
« Maman se révèle douée en escarpement
Elle concocte ses propres jurons
Sublimes et hideux
Elle les articule puis les conserve
Dans ses creusets
Sa nostalgie moirée sous mesure. » (p. 15)
L’autrice, Marie St-Hilaire-Tremblay privilégie, d’une part, l’alliance du concret et de l’abstrait. Son écriture est dense. La mort dévoile le visible authentique d’une perception.
« Je freine l’hémorragie du ciel
Pratique la lévitation
S’anime ta silhouette carton-pâte
Sous mes griffes
Je cueille les reliques
Maman-résine s’ajoute aux décorations
Avec une plainte enfouie dans sa cachette. » (p. 47)
Une écriture symbolique
Partout, le récit qui fleurit malgré mille obstacles. Il y aura ce garçon amoureux de la grande sœur.
« Je m’attache à une chienne ivre
Tunnel bouche
L’aphasie aveugle
J’en crayonne la dépouille
Le garçon m’inverse. » (…) (p. 63)
Cette image d’ancolie n’inverse pas seulement le mythe, il tente aussi d’inverser l’obstination de l’homme vis-à–vis l’horizon. Cette écriture fragmentée est une constellation telle cette vivace incontrôlable. Malgré le « vide, maman approche clandestine hissant son adoration vers notre (sa) fille. » (p. 76) Il y a un travail d’intériorité, une écriture symbolique. J’ai pensé à Paul Celan. À propos « du néant qui est et se tient dans l’amande. Il est là et continue d’être. » (1)
De l’exploration pure. Un éternel chassé-croisé. Cette ancolie si insistante s’accrochera jusqu’au jour où « de jolies défuntes vierges » arriveront de nulle part.
Note
Marie St-Hilaire-Tremblay est née à Québec en 1979. « L’ancolie » est son deuxième livre.
Merci aux Éditions Les Herbes Rouges
René Lapierre, « Aimée soit la honte »
Le recueil de 2010 est maintenant disponible en livre de poche. René Lapierre est considéré comme un poète visionnaire. Le jeu de la création se livre aux cycles perpétuels d’évolution. « La loi du cœur, au-dessus des lois de la beauté, bien au-dessus de la loi de l’artiste. Éros au centre. » (1)
« Tu songes au plus beau visage.
Nécessairement tu les revois tous,
transparaissant : lumineux comme des voyelles,
des ciels entiers de noms et de voix
Qui aimes-tu ? » (p.33)
Poésie de la résistance. Un langage poétique qui fait accroître les potentialités suggestives ou évocatoires des mots. Breton disait que le poète se sert du langage pour qu’il en fasse une œuvre d’exploration du psychisme.
« Nous aimons des idoles trash
Dont les jupes embaument et
Dont les lèvres sont bleues.
Nos nuits sentent le mil, le benjoin…
Voici du lilas, des tempêtes ; de l’encens
Et des vasques. Je ne sais plus ce que je
Dis, hélas, mes joies, mes sœurs, je n’en
Ai plus la moindre idée. » (p. 39)

Note
1.Yvon Rivard, « Personne n’est une île. »Essais. Boréal 2006.
Né en 1953, René Lapierre est poète, romancier et essayiste. Son œuvre a été maintes fois primée.
René Lapierre, « Aimée soit la honte », Les Herbes Rouges 2022. Collection Territoires.