Une femme tient un bouvier bernois dans ses bras, plongée dans sa littérature préférée.

Mélanie Béliveau, La femme meurt en juillet

La vie est un cadeau. Sauf quand la maladie, le cancer, arrive sans prévenir. Les images se bousculent. Mon meilleur ami est mort d’un cancer du cerveau au début de l’année. Je l’ai vu mourir à petit feu. Il n’arrivait plus à prier. Mélanie se bat contre le cancer du sein. Comment Dieu peut-il permettre une chose pareille ? J’ai perdu le sommeil, j’étais soucieux de vous.
Comme Marie Uguay

Elle crie son désarroi “Fuck you mille fois dans ma voiture en mille morceaux” (p.69). Je revois des images comme un mauvais film :

“Je suis venu ici tous les matins
Te respirer comme le charognard étudie le soir

Le corps démembré de ses proies” (p.72)

Je vous imagine dans votre lit, en plein mois de juillet. Je voudrais vous bercer pendant des heures tellement j’ai mal pour vous. Je suis en miettes au point ou les pages me sont insoutenables. Cette phrase m’interpelle : “on sera comme Marie Uguay et Louis je ne sais plus qui” (p.83). Je me suis arrêté la. J’ai lu des passages du journal de Marie Uguay. (1)

“C’est difficile quand on est dans le noir, le coeur vide, tout s’éloigne de moi, il n’y a pas de paysage pour me recevoir, aucun lieu ne me délivre, il n’y a que la marche, que l’action pour me sortir de ce long silence qui m’accable” (p.67). C’est un petit bout de poème. C’est de la prose qui fait réfléchir. Le cancer viendrait d’une défaillance de l’esprit. Je tombe dans un demi-sommeil. Je m’accroche à cet extrait (la rédemption).

“Et tout à coup je suis une fête qui commence

Trois lanternes allumées captant quelques

Cauchemars
Derrière moi un utérus désaffecté” (p.105)

Guérir est un art

“Guérir est un art et qu’il faut avoir la vocation” (2). C’est un combat, c’est le rêve de survivre à l’hécatombe. Et vous avez réussi :

“Je dois écrire ma mise au monde rouge
Comme en juillet” (p.105)

Ce livre met en lumière la force vive de la guérison. Le soleil après la révolte. Un très beau livre sur l’espoir.

Notes

1. Marie Uguay, Journal. Boréal Compact 2015. Marie Uguay a publié trois recueils de poèmes avant d’être emportée par un cancer à l’âge de 26 ans.
2. Sylvain Trudel, Du mercure sous la langue, Éditions Les allusifs 2001. P. 66.
Mélanie Béliveau est médecin de famille en Estrie et est mère de quatre enfants.
Mélanie Béliveau, La femme meurt en juillet. Mains libres 2022. Web:  https://www.editionsmainslibres.com/livres/melanie-beliveau/la-femme-meurt-en-juillet.html#:~:text=Dans%20ce%20recueil%2C%20M%C3%A9lanie%20B%C3%A9liveau,de%20la%20suite%20des%20choses.

Francis Catalano, Climax

Nous traversons les saisons avec le poète Catalano. Il me raconte qu’il a mis dix ans à écrire ce livre sous les ciels combattants. D’un même cœur, le poète est habité par le temps ou les saisons “pliées arrondies comme les portes” (1). Il vit à contretemps. Il raconte le cycle des saisons. Une écriture “avec un don d’ubiquité du cristal” (p.13).

Terrain de jeux

“Entre les dents le sacre du printemps à plein volume nous avons froid nous gelons emballée dans une rétroaction positive adieu les beaux jours tu perds la boule” (p.42)
Posséder, édifier, habiter les saisons. Ce poète est un peintre. Les saisons sont des fragments (complexes) à une écriture poétique à la fois ésotérique et hermétique au monde. Chaque poème est un labyrinthe pour les lecteurs, lectrices. Le mouvement génétique. L’épreuve ontologique qui aspire l’espace-temps. C’est l’enfant mort (comme René Char) dans son combat ou sa tentative de recréer son monde intérieur. Le terrain de jeux est immense. Ici, il est Rimbaud et Nelligan:

“Si j’avais vingt ans j’abandonnerais la poésie

Ferais le recel de stupéfiants au Yémen ou l’argent

A neigé” (p.61)

La guerre climatique

La fragilité de la planète est évoquée par une image douce dans “Anneaux (d’une légèreté respirable )” au quatrième chapitre. C’est la petite mésange que l’on suit dans les méandres urgents de l’air qui l’avaient vu disparaître (p.70). Le poète l’observe minutieusement. Langue anarchique, esprit d’analyse, la syntaxe de l’instant qui pousse l’auteur à raconter le monde dans la vivacité de son cœur, dans le brut instant (Gatien Lapointe). Une lointaine musique plane. Au plus haut du souffle. Il écrit : “L’ombre d’une guerre climatique cogne de plus belle à la porte dans la tourmente” (p.71)

La connaissance et l’érudition du poète est remarquable. La transparence est pour lui une vision du monde. Aucun dogme philosophique. Le poète Catalano incarne le Verbe au cœur de l’humanité. Il traverse l’univers à travers un miroir:

“Tel un œil dans le champ visuel qui ne se voit pas

Nous marchons à l’intérieur d’un miroir.” (p.84)

J’ai pensé à Prévert : “le grand paysage intempérique, mouvementé, un paysage déchiré un incertain certain temps.” (2)

 

C’est un grand voyage. Une fête pour les fans de poésie recherchée.

Notes

1. Aimé Césaire, Fragments et d’autres poèmes, Éditions Points 2008.
2. Jacques Prévert, Choses et autres. Folio 1987.

Francis Catalano est romancier, poète et traducteur. Il fait partie du comité de rédaction de la revue de poésie Exit.

Francis Catalano, Climax. Mains Libres 2022.  Web: https://www.editionsmainslibres.com/livres/francis-catalano/climax.html

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Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com