Michel Tremblay, un homme avec des lunettes et un foulard, sourit devant la caméra.

Michel Tremblay : Victoire !

Michel Tremblay est un écrivain que j’admire depuis longtemps. Il se révèle au cœur. Il va plus loin que la petite flamme : il allume des incendies. Il possède lart de déconstruire les ténèbres.

Il est un chef d’orchestre dans les Chroniques du Plateau Mont-Royal où il raconte l’histoire du Québec avec son petit monde, ses petits malheurs. Il y a plus que ça. Nous rivalisons avec les dieux. Tremblay donne la place qui revient à nos parents, nos grandsparents, ceux qui ont construit le Québec de la Révolution tranquille. Avec lui, « le destin est un carnaval temporel » (1). Après avoir passé sept longues années dans un couvent pour devenir religieuse, Victoire décide de tout balancer. Elle rentre à Duhamel pour retrouver l’amour de sa vie : son frère Josaphat (sujet tabou qui existe depuis la nuit des temps). Michel Tremblay remonte dans le passé dans « la diaspora des Desrosiers ». Nous sommes en 1898. Histoire d’un frère et d’une sœur qui s’aiment. Il y a chez Josaphat sa passion pour l’harmonica. C’est aussi un poète, un bohème. Je me suis mis dans sa peau (sa solitude, son impossible rêve).

Alors que nous cherchons sans cesse le bercement d’un ange dans une immense géographie du cœur inhabitable, à travers Josaphat, je me revoyais dans ma propre adolescence. Séduire avec un instrument de musique. Guérir de la naissance en dehors d’un naufrage extérieur. Fuir de l’enfermement, de la loi du clergé presque toxique. Il y a la douleur de Victoire, comment faire son deuil de sept années d’enfermement. La mort affreuse des parents dans un incendie avec un « curé du village qui s’était sauvé comme un voleur pendant que tout le monde brûlait… » (p76)  Les enfants sont laissés seuls. Malgré tout, de petites étincelles brillent. Son frère : « l’autre soir, je l’avais trouvé beau, maintenant je le trouvais magnifique » (p78).

Le Voyage astral

Michel Tremblay me fait rêver. Il fait allusion au voyage astral (2). « Au couvent, on nous avait parlé des religieuses qui avaient la capacité de sortir de leur corps pour s’élever vers le plafond » (p79). Moi, je l’ai vécu durant ma jeunesse. Tremblay a effleuré le sujet du « dédoublement d’être en dehors de son corps » (2). Il y a longtemps que je lis Tremblay, que je comprends sa volonté particulière de décrire l’agonie de ceux qui apprennent à survivre dans le combat du quotidien. Sans épées, juste vivre au-dessus de la vague des inquiétudes. Loin de l’intellect. Être libre comme s’il fallait incendier par goût de l’Illiade. À vous de le découvrir.

Dans le magnifique décor des Laurentides, la poésie comme une complainte « a la paupière rose de l’aube » (3) « Josaphat exprimait à travers son instrument un malheur qu’il ne pouvait pas partager autrement. Il y avait là-dedans un message pour moi, je le sentais, c’est à moi que s’adressait cette confession ». (p117) Amour entre deux orphelins amoureux. Un frère et une sœur. L’amour, comme un souffle sacré. Comme un bruit qui monte au plus profond du cœur.

Un miracle signé Michel Tremblay qui ne cesse de m’éblouir. On lui doit beaucoup : ses  Chroniques  et ses pièces sont lues à travers le monde. C’est grâce aux deux orphelins incestueux que vont naître Albertine puis Gabriel, le mari de la Grosse Femme et le père de Jean-Marc (Tremblay lui-même). La tragédie se reformule constamment. Trop peuple, trop cosmopolite… Unique! N’est pas Michel Tremblay qui veut!

Notes

1— Emil Cioran, Précis de décomposition, Édition Tel Gallimard, 2011.
2— Michel Tremblay, Hotel Bristol, New York, NY, Leméac/Actes Sud, 1999.
3— De mémoire, je cite Mallarmé.

Michel Tremblay, Victoire!, Leméac/Actes Sud, 2020.

Mains LibresJGA

Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com