Une femme plus âgée portant un foulard jaune, plongée dans un livre de littérature.

Monique Proulx, Enlève la nuit 

Markus a 20 ans. C’est lui le protagoniste du nouveau roman de Monique Proulx. C’est l’histoire d’un jeune immigrant qui entre dans le monde. Ce monde où cet empire est chaque jour un apprentissage. Le récit est habité par de purs moments de poésie. Monique Proulx réinvente la jeunesse en adoptant le point de vue d’un immigré. Le Québec est une terre d’accueil. 
L’intégration 

De son ancienne vie, Markus n’a presque rien conservé, excepté la capacité de « sacraliser les petits gestes du quotidien et d’entretenir la gratitude. Et s’il était venu pour donner aux autres ? » (1). Nous sommes en 2022, la nécessité de l’intégration, le manque de main-d’œuvre.  « On discutait d’intégration avant que tu arrives, tu trouves que les immigrants sont bien intégrés, toi ? … On parlait aussi des débordements de Mee Too » (p.84). Mitou n’est pas un chien. Il faut comprendre les codes. La vie de quelqu’un qui a grandi dans le Grand Nord où il a passé son enfance avec les Inuits. Markus n’aime pas parler de son passé. Parce que le monde n’est pas beau. Tout s’en va chez le diable. Nous vivons dans le chaos. La guerre, l’apocalypse des animaux, etc. 

La Lumière ou l’absence de l’Ego 

Ayant travaillé dans une église au début des années 2000, j’ai vu des jeunes et des vieux laissés à eux-mêmes, obligés de survivre dans l’instant présent. Ce qui est raconté dans ce roman, je l’ai un peu vécu (2). J’ai hébergé des jeunes qui n’avaient même pas un millième de rêve. Ils étaient punk, sans abri, je leur ai appris à rêver par la musique. L’autrice invite Markus à apprendre le vélo. Moi, je les invitais à descendre des côtes en long board. Ce sont des petits rêves. L’Ego est mis de côté. L’autrice parle d’une Gigantesque bibliothèque, un temple pour les plus qu’initiés (p.104). Lire est aussi un refuge. 

Les rituels

On est épris par les petits rituels de Markus pour sa maman. Un des moments forts de cet admirable roman est quand il est question de la mort (p. 134) et de cette solitude qui vient par la suite. Comment évacuer la détresse ? Comment survivre ? Peut-être est-ce la nouvelle proximité de cœur de cette inconnue qui l’a sauvé de sa solitude d’enfant abandonné. Le pauvre Markus qui sert de la gibelotte à des tout nus et qui pédale comme un idiot. C’est aussi ça la vie, la réalité. Peu importe, Markus s’attire du fond du non-être, en tant qu’être humain qui s’investit, avec le regard de Dieu posé sur lui. « Il crée de l’Être par le concours de sa transcendance avec les autres. Il s’abandonne dans un destin plus grand que lui » (3). 

Maître Markus 

Il y a tellement de beaux passages lumineux. Nous sommes hors de soi. Tout se mélange dans les grandes eaux. On vit dans un monde jetable qui se débarrasse de sa mémoire, de son histoire. La tête pleine de rêves, je me mets à la place de Markus, l’Éden redécouvert. Je me remémore les années où je cherchais la belle étoile. Je me projette dans cet univers d’espérance. Maître Markus, il mérite ce nom et elle le lui donne avec force. Madame Proulx est en amour avec son personnage. Ce monde qui se meurt, elle le décrit froidement.

« Le Frais Monde meurt de peur 

Le Frais Monde a la chienne 

Oui mais 

Quoi mais ? 

Moi aussi, j’ai toi, c’est pas pareil, tu es réchappable.

Et pourquoi je suis réchappable ?

À cause de la flamme » (p.202) 

Une leçon d’humilité 

Ce roman est une leçon d’humilité pour l’espèce humaine. Après le déluge et cet univers immoral où l’on se questionne sur son identité, où l’on combat des adversaires habités par des certitudes et des idéologies, je préfère La colombe de Leonard Cohen : « La colombe est venue vers moi avec le style même du Saint-Esprit » (4). C’est un roman à lire et relire.

Notes 

  1. Entrevue avec Monique Proulx, Le Devoir, 14 mars 2022. 
  2. Au début des années 2000, j’ai travaillé pour la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes au centre-ville de Montréal et le soir j’organisais des spectacles de rock au Café Chaos. J’ai rencontré plusieurs jeunes de la rue. 
  3. Je cite Jean-Paul Sartre, Saint Genet comédien et martyr. Tel Gallimard 2010. L’Imaginaire contre le Mal. 
  4. Leonard Cohen, Étrange musique, étrangère. Typo. Poème p. 201. 

Monique Proulx, Enlève la nuit, Boréal 2022. 

En 1983, Monique Proulx a obtenu le Prix Adrienne-Choquette et le Prix littéraire Desjardins pour son livre Sans cœur et sans reproche, ainsi que le Grand Prix du Journal de Montréal 1984. Pour Un Homme invisible à la fenêtre, elle a reçu en 1993 le Prix Québec-Paris, Le Signet d’Or de Plaisir de lire et, en 1994, le Prix des libraires du Québec et le Prix littéraire Desjardins. Au XIIe Concours d’œuvres dramatiques radiophoniques de Radio-Canada, Monique Proulx a gagné le deuxième prix pour son texte Deux par deux, dans la catégorie 30 minutes, en 1984. Le film Le sexe des étoiles aussi remporté le Prix du meilleur film canadien au Festival des films du monde de Montréal, le Prix du public au 3e Festival du cinéma québécois de Blois (France), le Prix de la critique et le Grand Prix du Festival de Marseille, le Grand Prix du public au Festival de Vancouver et le Prix du meilleur scénario au Festival international de Chicago. Ce film était dans la course aux Oscars en 1994 pour représenter le Canada dans la catégorie du meilleur film de langue étrangère. Monique Proulx est membre de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois.

JGALas Olas

Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com