Nous sommes nombreux à aimer Naomi Fontaine et pour son troisième livre qui a l’allure d’un essai.
L’auteure écrit à son amie d’enfance, une blanche, qui veut s’établir à Uashat pour aider la communauté. On y trouve anecdotes, réflexions et notes autobiographiques. J’ai pensé à Dany Laferrière par sa manière de raconter, de mettre un peuple dans la Lumière, sur cette planète, les communautés, (peu importe laquelle). Le Peuple. La Nation. Les enfants de René Lévesque ont tant rêvé d’un projet de reconnaissance. Ce sont aussi des pages d’une grande poésie (presque du Félix Leclerc). « Et toi, Julie, sais-tu reconnaître les pistes du lièvre ? Sais-tu lire le temps qu’il fera sur les feuilles des arbres ? Sais-tu entendre, au-delà de la souffrance qui est visible, le pouls d’un cœur qui s’accélère pour continuer à battre ? » (p. 31)
On construit une affirmation, on parle d’histoire, de ce qui est vrai, faux ou relatif, de l’importance de la langue « J’écris en français, parce que c’est la seule langue dans laquelle je sais écrire. Ce n’est pas mon choix de ne pas écrire en innu. Cette décision a été prise bien avant ma naissance » (p. 38). Pas facile comme parcours identitaire (quasi anthropologique). Appartenir à un peuple, une histoire, une vie. Le doute s’installe quant à la tentation d’être comme tout le monde pour éviter le rejet, le complexe d’infériorité. La mère pense à son fils Marcorel : saura-t-il survivre à sa différence ?«J’ai pleuré cette nuit-là. Pas pour Marcorel. Lui il est petit et fort. Il affrontera le monde avec ou sans épée… L’immensité du monde devant lui ». (p. 57.)
Parfois, il y a des visages, des destins plus tragiques que d’autres. L’auteure parle du suicide, une véritable problématique chez les autochtones. C’est difficile, le ciel devient gris, puis noir. Le cercle se referme. « Mais lorsqu’il s’agit d’un suicide, un immense silence s’installe. Suivi d’une colère presque aussi spontanée et violente. La colère contre soi, de ne pas avoir remarqué le désespoir… La colère contre la vie, Dieu ». (p. 77.)
Il faut chercher une fenêtre pour se dérober. Il faudrait écrire partout l’illusion terrible de la mort. Écrire le poème de Rilke : « Ô mon Dieu donne à chacun la mort-née. De sa propre vie où il connut l’amour et la misère » (1)
Puis, il y a ce chapitre sur l’Art, les Français et les idées, l’éloquence du vocabulaire, les élans émotifs et sa voix qui vacille devant une discussion. En Espagne, l’art est partout, surtout dans les lieux publics. Ah ! Picasso, Dali ! On voyage, elle parle d’Haïti, des discours presque poétiques. « On écoute les mots de Dany Laferrière comme on se laisse bercer par les vagues une journée de canicule ». (p. 104)
Revenons au récit… Comment perpétuer les mythologies sur la fondation des nomades ? La mémoire comme moteur de survie. L’auteure s’avance vers nous, en toute humilité. « Cette sagesse je l’ai vécue avec Joséphine Bacon » (2) « Cette manière de transcender ce mouvement absolu » (Nietzsche). « L’âme multiple comme un destin multiple » (3). Puis, survient un autre moment lumineux : elle parle de ses lectures de Félix Leclerc, Anne Hébert et de bien d’autres. Métissage des cultures comme nouvelle réalité.
Et en conclusion… Elle a reçu un prix littéraire (4). Elle parle à son fils et le regarde avec tendresse, voyant sa jeunesse et sa peau foncée. Puis cette phrase tombe : « Je sais que la vie est un cercle ». (p. 151) Que représente-t-il, ce cercle ? Ne serait-ce pas le Bien, le Mal, la Responsabilité ou le Devoir, et tout ça dans le changement que nous voulons dans le monde, comme le disait Gandhi ? Un livre de réflexions. Un appel à l’amour et à la solidarité.
Notes