Un homme plus âgé portant des lunettes et une chemise noire, absorbé par la littérature.

Normand de Bellefeuille, J’étais donc maintenant sur la terre

Professeur, critique, éditeur et écrivain, Normand de Bellefeuille fait figure de monument dans le paysage littéraire québécois. Pour les besoins de son nouveau recueil, il s’est adjoint les services de Laurent Theillet, photographe et ami personnel de l’auteur. Cette chronique permet aujourd’hui de présenter l’oeuvre de Normand de Bellefeuille.
La génétique du poème

À la manière d’une confession, de Bellefeuille avoue candidement “qu’il écrit des romans de poète et que son roman “Un poker à Lascaux », publié aux Herbes rouges, avait rejoint 348 lecteurs à sa sortie” (1). Souvenez-vous de ces poètes : Anne Hébert, Paul Verlaine ou Jim Morrison qui ont tous publié à compte d’auteur. La poésie est une science du cœur (Christian Bobin). Grandir nous arrache. Les mots sont des traversiers. Choisir les mots les plus beaux, les plus courts. La poésie est une prière. De Bellefeuille sculpte les mots. Je me souviens de son recueil “Mon nom”, paru en 2009. J’y reviendrai un peu plus tard. D’entrée de jeu, le poète se décrit amèrement :

“Même enfant il y avait deux hommes
en moi et je crois bien que les deux déjà me détestaient”. (p.12)

L’intérieur de l’œuvre. L’archéologie des savoirs. (selon Michel Foucault) Le poète est critique. Il est le défenseur de sa propre voie. L’enfant poète, celui qui vit à contre-courant. Il habite son monde dans la lenteur.

“L’art de faire semblant et la lenteur terrestre Lenteur lenteur terrestre du temps”. (p.18)

Ou, un peu plus loin, l’enfant qui habite la nuit sans trop le savoir, au souffle du hasard. On vit. On meurt. Je suis avec le poète. Je comprends son parcours. C’est l’étonnement du poète et ses inquiétudes.

“Le poème est un acte souvent rebelle
Souvent urgent et heureusement presque anonyme”. (p.40)

Grandiose et minimaliste

Faire entendre sa voix malgré nos doutes et nos paradoxes.

“Une liturgie silencieuse car il arrive
Que même le silence hurle et on nomme
Cela un peu légèrement sans doute poème”. (p. 54)

C’est très beau. Ce n’est pas une cage de verre. Pas d’engueulade. Pour moi, c’est revenir à la lumière par l’écriture. Il n’est jamais facile d’écrire le poème sans le délester de la douleur de cette vie moderne.

“Oui, les mots me sont souvent venus Des cantiques et du Minuit Chrétien
Car je suis un enfant de la nuit et du froid De la fin de décembre”. (p. 80)

Écrire à tue-tête

Je fais un retour en arrière. Finaliste au prix du Gouverneur général, le recueil “Mon nom”. La solitude du poète. De l’être humain à la recherche d’illumination. Le métro est bondé. Tout le monde est absorbé par des images qui défilent sur l’écran du téléphone portable. Je repense à “J’écris à tue-tête” ; à cet extrait foudroyant qui vous écorche brutalement:

“J’écris en appui sur le vide
J’écris à tue-tête si fort qu’à langue perdue
Plus rien n’est reconnaissable d’une parole
Humaine en ce monde”. (3)

Je suis toujours dans ce métro bondé où je lis pendant que les passagers se bousculent aux stations afin de quitter les wagons. Je m’attarde à cet enfant trop sage. “Qui vit maintenant dans sa véritable cathédrale”. (p.96) Le poète évoque son parcours. Il évoque sa réalité. Il y a l’écho de Bonnefoy :

“Je l’écoute vibrer dans le rien de l’œuvre qui peine de par le monde “. (4)

Un mot sur Laurent Theillet.  Lui, il se situe ailleurs, dans une autre sphère, moins limpide:

Être une chose parmi les choses

Une pierre parmi les pierres”. (p. 41)

Parmi ces photos, des feuilles mortes. Le poète saisit l’instant hors du mouvement. L’artiste transcende l’ici-bas par un au-delà. Les atomes s’exilent plus loin que le lyrisme d’un poème. Un beau livre d’exploration et de souvenirs à propos de la réalité du poète dans son humanisme.

Notes
1. Entrevue, Le Devoir, 30 janvier 2010.
2. Normand de Bellefeuille, Mon nom, Éditions du Noroît, 2009, Finaliste au Gouverneur général.
3. Idem. P. 35
4. Yves Bonnefoy, Poèmes. NRF Gallimard, Anthologie. 1982.

Normand de Bellefeuille avec des œuvres de Laurent Theillet.
Pour cette analyse, je me suis consacré uniquement aux poèmes de Normand de Bellefeuille
Prix du Gouverneur général en 2000 pour La marche de l’aveugle, 2016, Le poème est une maison au bord de la mer.
J’étais donc maintenant sur la terre, Noroit 2022. Librairie Gallimard à Montréal. 23$.

https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/j-etais-donc-maintenant-sur-la-terre-de-bellefeuille-normand-9782897663476

Le Pois PenchéMains Libres

Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com