Une photo en noir et blanc d'un homme portant des lunettes, prise dans le contexte de Littérature québécoise.

Philippe Manevy, Ton pays sera mon pays

Mon pays a toujours été le Québec. Lorsque j’étais jeune ado, mon voisin m’a demandé si ça m’intéressait de travailler pour le Parti Québécois. Je me trouvais dans le Cercle des Idéaux. J’habite depuis longtemps un pays dans un autre pays. C’est aussi une vision poétique qui se déploie.
Sur Messenger

J’ai connu Philippe Manevy sur Messenger. Il m’a dit que son livre pourrait m’intéresser. Le titre est fort : “Ton pays sera mon pays”. J’ai revu du coup mon adolescence : René Lévesque, Harmonium, Gaston Miron. Son livre est composé de divers carnets d’anecdotes et d’opinions. Il évoque Saint-Denys Garneau (1). Je retiens plusieurs phrases. “Le génie de Montréal c’est la contradiction : le dénuement et la richesse, le confort et l’âpreté” (2). L’auteur est doté d’un cœur immense. Il possède une sensibilité à fleur de peau. Je pense à Georges Schehadé : “Ne cherche plus les yeux dans les musiques profondes. Un grand cœur les a visités” (3). Voici un livre qu’on ouvre comme une Bible, tout près de la lampe de chevet. À la page 97, “Mon pays ce n’est pas un carnet dédié à la chanson québécoise”. Il s’amuse avec quatre titres de chansons. Cette allusion à une pièce de Beau Dommage : “un pays légèrement improbable où les phoques exprimaient leurs émotions et sortaient avec des femmes blondes qui ressemblent à Marilyn Monroe” (4).

La mémoire du temps

La découverte de “Prochain épisode” de Hubert Aquin (5) a été une grande illumination. Il parle d’un tunnel aquinien où il s’est enfermé volontairement. Il va même jusqu’à acheter plusieurs exemplaires du livre pour le faire découvrir à ses amis. Il persiste pour le décrire comme un grand écrivain. Le poète Claude Beausoleil, que j’ai eu comme professeur, en était fou. C’est avant tout une aventure humaine. L’histoire d’un français qui essaie de comprendre d’autres humains (les Québécois). La vie est plus vaste que le pays. Le temps a-t-il une mémoire? L’origine? La fin? “Quelle est la marge d’erreur dans l’à-peu-près insignifiant… Seuls les humains se confinent à la pauvre ombre de ce qu’ils estiment être leur ambitieuse lumière.” (6)

Un projet de société

Comment vivre au Québec? Manevy est un fin observateur. Connaître son histoire est un fait. Pour Manevy, “c’est la littérature qui m’a permis de passer la frontière, d’habiter le territoire” (7). Plus loin, être chez soi. Je tente de le rassurer (c’est moi qui souligne) : “Ce n’est pas d’aimer la poutine, de sacrer et d’associer spontanément religion et obscurantisme” (8). Oui, il y a eu la grande noirceur, la Révolution tranquille, l’avènement du Parti Québécois. Une révolution intelligente. Gaston Miron l’a tellement bien résumé : “Notre visage disparu, s’effaceront tes images, mais il me semble entrevoir qui font surface. Une histoire et un temps qui seront nôtres. Comme après le rêve quand le rêve est réalité.” (9)

Ton pays sera mon pays

À la lecture de ces carnets, de ces réflexions, de la découverte de soi, je me suis attardé au texte “Ton pays sera le mien”. Il est question de mariage, de la foi, de l’enseignement moral de Jésus. Le souci de trouver le bon texte lors de la cérémonie de mariage. La première lettre aux Corinthiens (10). Comme vous, Philippe, j’ai souvent pensé (médité) ce texte. Le livre de Ruth, avec la phrase “Ton pays sera mon pays”. La voix poétique s’engage dans un chemin qui s’éclaircit à mesure qu’on y avance. La vie, même incendiée, mérite d’être célébrée. Elle se trouve parfois dans la fugacité d’un instant. “Le pays, désormais, c’était elle” (11).
En vous lisant, je vois bien que votre âme est écorchée. Dans l’enchaînement des textes, je fais des pauses. J’ouvre la fenêtre. Je prends une grande inspiration. J’apprécie votre ouverture d’esprit.

Monsieur Manevy, sur tous les possibles. À un moment précis, je me suis effondré. C’est que vous connaissez le Christ (ce Dieu malmené par la postmodernité et la woke generation). “Je crois au Christ qui affirme qu’il souffre dans les plus faibles d’entre nous” (12). Une autre méditation (une prière) :
“C’est ce que j’appelle le cercle léger d’un souffle, aimer avec le courage des éclipses” (13).
Votre livre est tellement beau. Votre désir d’être québécois est un désir qui m’emporte. Vous m’avez enseigné à être un meilleur humain. Votre humilité à chercher votre pays est une métaphore subtile. Merci de tout cœur, monsieur Manevy.


Notes
1.Philippe Manevy, Ton pays sera mon pays. p. 51
2. Idem. p. 61.
3. Georges Schehadé, Les Poésies, NRF, 2001.
4. Philippe Manevy, Ton pays sera mon pays, p.  79.
5. Prochain épisode est le premier roman d’Hubert Aquin paru en 1965. Sa narration est complexe et baroque. Il est considéré comme le véritable symbole de la Révolution tranquille.
6. José Acquelin, Libertés de la solitude, Nota Bene, p. 86.
7. Philippe Manevy, Ton pays sera mon pays, p. 122
8. Idem. p. 127.
9. Gaston Miron, L’homme rapaillé, p.97. Typo poésie, réimpression 1999. (version définitive)
10. Philippe Manevy, Ton Pays sera le mien,  p. 153.
11. Idem. p. 155.
12. Idem. p. 190.
13. Joël Pourbaix, Le mal du pays est un art oublié, p.138. Éditions du Noroit. 2014.
Philippe Manevy est professeur de français et de théâtre. Ton pays sera mon pays est son premier livre. Né en France, le narrateur de ces carnets a découvert le Québec au début des années deux mille, lorsqu’il était étudiant.

Philippe Manevy, Ton pays sera mon pays, Leméac. 2021.

Poésie Trois-RivièreLe Pois Penché

Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com