Pierre Ouellet, Monde! Par Ricardo Langlois
Composer, échafauder, réfléchir sur les ruines du Monde. Une sorte d’entreprise architecturale du médiateur. Ouellet est un chercheur. Il ressuscite Dante. Que faire avec la justice de Dieu? La vie est une épreuve, une initiation, une injustice?
La chair du vide
Pierre Ouellet marche sur un monde qui est déjà en ruines. Il écrit ceci : « les mots qui graillent, craillent, bayent aux corneilles, pour ne rien faire, pour rien dire, la bouche ouverte, la tête au ciel, toute la journée à rêvasser. » (p. 24). J’ai pensé à Yves Préfontaine : « les fracas d’un verbe nouveau, un chant solide bourgeonnera avec l’ancien du monde en ses rythmes. » (1 ).
Nous sommes de pauvres humains dans la Grande Nuit. Comment vivre dans la chair du vide? Ici, je lis, je souligne, le lyrisme exceptionnel (la matrice )
« Au vent ou vous vous
Laissez aller dans le va-et-vient
Qu’on appelle la vie…
La vie de tout son long que l’homme
Écoute avant la fin et Dieu prolonge
À l’infini. » (p. 32 )
Le poète signe un testament. Il mène son combat intérieur.
Sur la soumission, la rupture, le libertinage ou sinon l’errance. Il maltraite l’être humain. Peut-on s’automutiler par l’écriture? Peut-on par la poésie trouver une réponse salvatrice. Comment aimer? Comment faire abstraction du désir? Les prémices sont brûlantes.
« J’écris pour mieux
Me taire dans l’air qui me manque
Pour dire la vérité
Comme elle est : une poignée
De souffles
Sur un cercueil refermé dont nul
Ne sait ce qu’il peut renfermer :
Un dieu, un vide, soi-même ou ce qui n’a plus de nom
Dans aucune langue qui se parle sur terre… ou loin
En dessous. » (p. 73 )
L’art d’user de soi
Comment interpréter un tel constat sur l’humanité, l’histoire, la religion. Jodorowsky a dit ceci : « il nous est impossible d’agir en accord avec nous-mêmes, car nous nous ignorons, ignorant notre ignorance, nous ne tentons pas de dépasser les limites. Mais qui peut inverser le cours d’une rivière? « (2 )
Nos pensées ne sont pas nôtres, elles appartiennent à un Tout. C’est le mythe de la nostalgie d’un paradis perdu. J’aime l’idée de Bobin quand il voit sa vie comme celle d’un enfant tumultueux de retour à la maison, gagné par l’ardeur d’un jeu.(3 ) J’ai envie aussi de dire à l’auteur : le temps et la vie m’ont donné des explications mais mon Âme préfère le mystère.
Un beau moment dans votre livre que je souligne en rouge :
« Je craque l’ultime allumette
Qu’il reste au monde
Pour que tout flambe
En un vaste feu de joie qui
Atteindra le ciel plus vite
Que mes prières. » (p. 78 )
Sur les traces symboliques de Rilke
Le narrateur est dur avec lui-même. Il est sur les traces symboliques de Rilke : « les dieux, nous les imaginons d’abord en des concepts hardis, que le destin chagrin de nouveau détruit. Mais ils sont immortels.» ( 4) Oui, une allégorie mythologique pour la poésie québécoise. Le symbole de la Chute. Les Lamentations. La fonction ontologique. Ou tout simplement recréé le mythe d’Orphée.
La blessure du poète qui se lit et relit à travers une œuvre imposante. Il abandonne son carrosse pour avancer nu dans la mémoire. C’est un poésophe selon l’expression de Jodorowsky. Qu’est-ce que le vent dicte au poète? À l’être intérieur. Pierre Ouellet est le seul à poétiser la Conscience. (5)
Notes
- Yves Préfontaine, « Terre d’alerte » (Anthologie ) p. 161.
- Alexandro Jodorowsky, « L’échelle des anges » Albin Michel 2005.
- Christian Bobin, « Le huitième jour de la semaine dans Les différentes régions du ciel », p. 219. Gallimard, 2022.
- Rilke, « Les sonnets à Orphée », Flammarion 1992.
- « Poétiser la Conscience. » J’ai pensé à Francois Baril Pelletier, Christophe Condello, Paul Chamberland, Mathieu Belisle essayiste .
Pierre Ouellet, lauréat de multiples prix prestigieux dont le prix Athanase-David 2015 pour l’ensemble de son œuvre, est romancier, poète et essayiste. « Monde! Est son vingt-quatrième recueil de poésie ».
« Monde! « Pierre Ouellet, Éditions Mains Libres 2023 Illustrations :Christine Palmiéri.