REVIVISCENCE  (Écrits de jeunesse revisités.) (Texte no. 1) 

Un dessin en noir et blanc d'un homme et d'une femme, inspiré de la Littérature. Un dessin en noir et blanc d'un homme et d'une femme, inspiré de la Littérature.
REVIVISCENCE  (Écrits de jeunesse revisités.) (Texte no. 1) .  Par Robert Clavet 

 

VERTIGE 

Quotidienneté besogneuse 

Qui répugne et attire 

Comme cet étrange mal sur les hauteurs, 

Comme un puissant vertige. 

Brule flamme vacillante de l’infini désir ! 

Et comment faire pour être heureux ? 

NOVEMBRE 64

Transporté par un irrésistible charme, émerveillé et infatigable, je déambulais sur les pavés du Vieux-Québec. Dans la pénombre, chaque pignon, chaque corniche s’imposait comme autant de mystérieuses présences qui auraient défié le temps et que j’imaginais comme des refuges d’écrivains et d’artistes. Soudain, une rafale souleva poussières et feuilles mortes, et je crus entendre le gémissement de nos ancêtres oubliés. Sur une rue d’un autre temps. 

TARTUFERIE 

J’ai toujours eu une sensibilité religieuse, mais j’éprouve de la répulsion pour l’étroitesse d’esprit et la tartuferie. La personne authentiquement spirituelle, chez qui la certitude se fait vertige et le vertige certitude, est un nœud de contradictions. Dès l’adolescence, je me suis révolté contre une religiosité qui n’aime ni la liberté ni la création humaine. L’obéissance consentie peut être une vertu, mais l’encouragement à la passivité spirituelle est suspect. La spiritualité est avant tout le réveil des larmes qui dorment au plus profond de nous, là où vibre le Néant, mystère glorieux de la Divinité. 

TURBULENCES 

Est-ce folie ou sagesse que de vouloir échapper à une normalité qui se fait rassurante au détriment de la poursuite d’un idéal ? Seule l’idée de consacrer ma vie à l’étude et à la recherche me redonne de l’espoir. J’éprouve parfois de la répulsion pour ce qu’on prétend être « la vraie vie » : « Ce n’est pas comme ça « la vie », mon petit gars ! Il ne faut pas chercher le petit oiseau bleu… » Bien des gens présentent la vie comme une courtepointe de lieux communs délétères. Combien de fois m’a-t-on brandi l’épée de la soi-disant vraie vie comme avertissement et menace. Est-ce l’amour qui m’attire ou l’aversion qui me pousse. J’ai parfois l’impression qu’on veut me tuer de mes propres mains. Ma soif de vivre ne tient-elle que du rêve ? Qu’est-ce qui noue ma gorge et fait trembler ma main ? 

INTELLECTUALISME MORTIFÈRE 

Séparer les mélanges, c’est produire des abstractions. On peut aussi se noyer dans l’eau claire. Sous couleur de démystifier, certains intellos refroidissent tout au détriment du grand mystère de l’existence. Quel destin dérisoire serait le nôtre si celle-ci n’était qu’un jeu de naissances et de morts à l’intérieur d’un processus fini et insensé ? N’y a-t-il pas un Aimant qui attire les humains au cœur de chair ? 

SPLEEN  (Juillet 67) 

Comme d’habitude, vers 12h30, je terminais machinalement mon repas. Soudain, mon attention fut captée par une exclamation en provenance de la radio : « Le général de Gaulle approche de Trois-Rivières ! Il va traverser le pont Duplessis dans une quinzaine de minutes… » Ce glorieux personnage, conscience vivante de la France libre, était sur le point de passer au coin de ma rue ! 

J’accourus aux abords de la rue St-Maurice où une foule s’était déjà massée. Malgré la cohue, je réussis à prendre place. Un sursaut d’excitation annonça l’arrivée du cortège présidentiel. Une délégation bruyante se pressa derrière mon dos : c’était la taverne du coin qui venait de se vider. La foule était maintenant en délire. Des centaines de drapeaux de la France et du Québec s’agitaient au-dessus de têtes anonymes. Plus la stature imposante du Président s’avançait, debout dans une Cadillac convertible, plus les gens manifestaient leur enthousiasme. Et vroom ! 

La foule se dispersa en jacassant. Je pensais aux grands personnages de l’Histoire lorsqu’un individu me bouscula sans même s’excuser. Avec un pincement de cœur, je pris la mesure de mon insignifiance, mais je me débarrassai aussitôt de cette pensée comme d’une chimère qui se serait inopinément accrochée à mon cou. Après-tout, l’important n’est-il pas d’être soi-même… Et la vie reprit son cours. En ce bel après-midi d’été. 

L’INDICIBILITÉ 

Comment dire sans risquer les pires malentendus qu’on croit en Dieu ? Plus un mot est utilisé, plus il risque de refléter des idées reçues sans la richesse de l’expérience. Si un individu demande à un autre s’il croit en Dieu, le « oui » ou le « non » sera interprété d’après celui qui pose la question. Que comprendrait par exemple une personne croyant en un Dieu qui surveille, punit et récompense comme un monarque impitoyable ? Ma révolte précoce contre les représentations aliénantes de Dieu a pu peut-être donner l’impression d’un athéisme militant. Mais ce militantisme, du fait même de sa ferveur, dénotait au contraire une sensibilité spirituelle. 

LA BEAUTÉ DU CHRISTIANISME 

Quel magnifique message trouve-t-on dans un christianisme axé sur la confiance, l’amour et la liberté créatrice ! Malheureusement, privé du correctif de l’expérience spirituelle des saint Jean, des saint Paul et des Pères orientaux, le christianisme n’a pas échappé au cancer de l’intolérance et de l’étroitesse d’esprit. Et la foi-confiance fit place à une foi-croyance au service d’un moralisme instrumentalisé. 

ENTHOUSIASME 

Qu’ils sont riches ces rares moments où l’enthousiasme et la paix du cœur ne font qu’un. Dans cet état, j’ai l’impression qu’il suffit de poursuivre mon idéal pour que tout le reste vienne de surcroît, qu’il n’y ait plus d’opposition entre faire ce que j’aime et faire ce que je dois. Mais de douloureux réveils m’attendent : je le sais bien, on me l’a assez dit. 

L’IMAGE 

Le microcosme-homme est par sa constitution ternaire (esprit, âme et corps) le miroir du macrocosme-univers (sphères divines, psychiques et naturelles). Dans la manifestation, l’être humain a perdu la ressemblance de Dieu, mais a conservé l’image. Il peut tendre vers Dieu en développant les facultés latentes de sa conscience. Le corps et l’âme sont reliés comme les yeux et le regard. On ne peut pas observer un regard dans un pot de formol, mais qui contestera la réalité du regard de l’être aimé ? 

L’ÉQUILIBRE   (1970) 

Comme j’ai toujours craint d’être avalé par le quotidien, je fus particulièrement touché par un passage de l’autobiographie de Jung où l’auteur explique combien le vide créé entre sa vie psychique et la vie de tous les jours aurait pu être fatal à son équilibre si ce n’eut été de la « normalité » de ses obligations de médecin et de père de famille qui a contrebalancé l’abîme mystérieux de l’inconscient qu’il osait explorer. J’ai alors ressenti une sorte de réconciliation. 

À SUIVRE… 
Robert Clavet, PhD
Le Pois PenchéPoésie Trois-Rivière

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.