Rodney Saint-Éloi, Nous ne trahirons pas le poème

Un homme aux dreadlocks perdu dans ses pensées, captivé par un livre. Un homme aux dreadlocks perdu dans ses pensées, captivé par un livre.
Avant de parler du poète haïtien, voici un mot sur l’homme.  Cet être humain extraordinaire est d’une profonde humanité. «L’être humain est plus grand que les causes qu’on lui réserve. Ce qui m’intéresse, c’est la question de la mémoire qui écrira l’histoire de ces peuples dépossédés. » (1) À ceux qui ont volé l’âme des gens, leur esprit, la culture autochtone. L’essence même de la culture du Québec, si vous le permettez. « J’ai tellement pensé à Gaston Miron qui a parlé du pays dans L’homme rapaillé. Je n’ai jamais voyagé vers autre pays que toi mon pays » (2).

Nous sommes des humains

« Je nage décolonial
Je danse ma danse de batracien
Je ne trahirai pas le soleil
Je ne trahirai pas les étoiles je ne trahirai pas le poème. » (3)

Parler du passé et de notre histoire. Le présent qui tourbillonne dans les images. Nous sommes impuissants. Pourquoi, dans l’histoire du Québec, excluons-nous les Amérindiens ? Je n’ai pas de réponse là-dessus. Je veux simplement dire que l’humain est fragile dans ses contradictions. Assoiffé par l’idée de liberté, j’ai vu des Québécois se battre pour un pays en 1976. Écrire le poème. Écrire le récit de la résistance.  J’ai besoin de relire Miron. Il a tellement rêvé, comme vous :

« Et j’élève une voix parmi les voix contraires

Sommes-nous sans appel à notre condition ?

Sommes-nous sans appel à l’universel recours ?

Hommes, souvenez-vous de vous en d’autres temps. » (4)

Écrire sur la vie

Se perdre dans le sens de la vie . L’homme cherche son espace intérieur. Écrire comme on écrit sa vie dans un poème. Écrire la liberté. Écrire pour la conscience, pour le paysage ravagé, déserté, sans âme qui vive. Sommes-nous dans l’intersubjectivité, dans les modalités du rapport à autrui ? Le poète est philosophe. Il a son verbe. Il travaille sur son âme. Comment rester fidèle à notre « Nous » ? Comment élever la plénitude de l’être humain ? Celle du poète, dans son énergie psychique et spirituelle ?

De nombreux extraits lumineux

« Notre parole est atroce au jour
Tant les gestes suffisent
Nous avons pardonné le pardon des nuits. » (5)

Les fruits poussaient nus sur ta voix.

« Souveraine dans la mémoire parallèle.

Des villes et j’avais des désirs de volcans. » (6)
« L’urbanité de ces oiseaux électrocutés.

N’était pas un spectacle, nous avons inventé.

La maison d’ambre qui ressemble à l’exil de la Patience .» (7)

Désir d’éternité

Tout poète à un pouvoir. Une ascèse ou une catharsis pour purifier la lourdeur du monde. Saint-Éloi cherche l’harmonie. Souvent, la chair et l’âme se rejoignent au plus profond. Ce poète n’écrit pas par ressentiment, même si la douleur se déploie comme par interférence. Le poète est avant tout habité par ce désir d’éternité. Le grand projet de vivre et survivre à l’humanité. Avec le sang des mots. La logique freudienne, peut-être. C’est personnel. L’idée de l’ombre de Gaston Miron me revient machinalement.

« Et dans l’ombre de l’ombre de chaque nuit
Dormir et s’aimer encore
Ô dormir fleurir ensemble.» (8)

Après 317 pages de poésie

À la fin du livre, je vous recommande la lecture des « Lumières de l’amandier ». « C’est une lettre d’amour pour réapprendre l’amour sans mystère ni légende de cœur à cœur » (9). Une lettre à monsieur le rebelle. (10)  Saint-Éloi se livre comme si la terre était une page vierge qui n’en finit plus. La parole de Rodney Saint-Éloi est l’insondable « au-dessus de la froide logique du monde .» (11)

Notes
1. Rodney Saint- Éloi, L’humaniste. Marc Cassivi, La Presse plus.
2. Gaston Miron, L’homme rapaillé, 1998 3ème édition. Typo.
p. 87.
3. Rodney Saint-Éloi, Nous ne trahirons pas le poème et autres
recueils. p. 50.
4. Gaston Miron, L’homme rapaillé, p. 97.
5. Rodney Saint-Éloi, Nous ne trahirons pas le poème.  p. 132.
6. Idem. p. 143.
7. Idem. p. 149.
8. Gaston Miron, L’homme rapaillé . p. 152.
9. Rodney Saint-Éloi, Nous ne trahirons pas le poème, p. 321.
10. Idem. P. 324 à 327.
11.Serge Bouchard, L’ allume-cigarette de la Chrysler noire. Boréal Compact p. 110.

Poète, essayiste et éditeur, Rodney Saint-Éloi est né en Haïti. En 2003, il a fondé, à Montréal, Les éditions Mémoire d’encrier. Membre de l’Académie des Lettres du Québec.

Rodney Saint-Éloi, Nous ne trahirons pas le poème et autres recueils. Éditions Points 357 pages. 2021.

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Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com