Une photo en noir et blanc d’un homme souriant, capturant l’essence de la joie.

Série Du beau monde. Snapshot 4 : Dominique

Série Du beau monde. Snapshot 4 : Dominique. Par Aline Apostolska
« Que tu es belle ! »

Je sursaute puis me fige, tenant à deux mains mon plateau. Un repas macrobiotique, copieux, mais sain. Marie-France, mon amie et éditrice de chez Calmann-Lévy, dont les bureaux sont situés rue Auber, non loin de l’Opéra, insiste pour m’inviter régulièrement à la cantine de cet illustre édifice afin que nous nous nourrissions au mieux, moi et mon fils, dont elle sera la marraine.

En cette fin mars 1988, ma gestation arrive à terme. Dans un mois, mon premier enfant apparaîtra, apprendra l’air, la lumière et prendra sa place parmi nous. Je ne me sens pas belle, non, pas du tout. Je me sens lourde, je me sens gauche, et surtout paniquée. La voix appelle à nouveau derrière mon dos. Je me retourne et le vois, souriant avec un drôle d’air. Dominique. Dominique Bagouet. Mon plateau dans les mains, je me plante devant lui, tellement interloquée que je ne sais pas quoi lui dire. Lui fixe mon ventre habité, mis en valeur par une robe de camaïeu de bleus, en fine laine douce. Je me souviens de la robe tout à coup.

Cette scène improbable, pourquoi remonte-t-elle à ma mémoire, alors que depuis si longtemps, elle s’était tapie dans un recoin de ma conscience ? Nous sommes mi-décembre 2022. Récemment, j’ai reçu un communiqué du Centre chorégraphique national de Montpellier rappelant que Dominique Bagouet était mort le 9 décembre 1992, à quarante et un an. Cette scène a alors instantanément quitté les coulisses de ma mémoire pour s’imposer à l’avant-scène. Ça s’est mis à danser devant mes yeux, comme un film que sans le savoir je n’aurais jamais mis sur pause, malgré les décennies passées. La danse de Dominique Bagouet. Une diagonale dessinée au cordeau, dans une impeccable architecture de l’espace. Avec une attention particulière à la gestuelle du haut du corps (influence indienne), les bras surtout, une amplitude ronde d’une envergure singulière, et puis un port de tête, et des regards tissés comme des liens, et des jambes comme des compas, en pliés latéraux (influence du classique), beaucoup de cérébralité au fond, mais tellement de sensualité aussi, les textures, les couleurs, les découpes des costumes, la musique contemporaine (Pascal Sapin), une minutie et une précision notée dans ses carnets pas par pas (une chance), un goût littéraire certain (Emmanuel Berl entre autres).

En 1988, j’étais devenue la journaliste de danse que j’ai continué à être, en France puis au Québec. J’écrivais dans Globe, Pour la danse, Danser, je sillonnais la France, de ville en ville, d’un théâtre à l’autre, de spectacle en spectacle, de festival en festival, et puis j’ai découvert d’autres territoires de danse, l’Allemagne, la Belgique, bientôt le Québec où se déploiera ma connaissance de la danse contemporaine internationale. Un long parcours d’entrevues, d’articles, de voyages de découvertes à la rencontre de chorégraphes, d’interprètes, après l’Europe les États-Unis, l’Afrique du Nord, jusqu’en Afrique du Sud. Une passion devenue un métier. Tout un métier, jusqu’à ce qu’on m’offre l’opportunité incroyable de lier littérature et danse et que j’ai la chance de moi-même concevoir et même d’interpréter des spectacles à Montréal.

Évoquer mon parcours c’est d’abord évoquer l’extraordinaire déploiement qu’a connu la danse contemporaine depuis quelque quarante ans, mais je veux ici rappeler combien, de tout cela, Dominique Bagouet fut non seulement un fleuron, mais un pionnier visionnaire.

Rappel. À la nouvelle ère socialiste née en mai 1981, il fallait un nouvel emblème artistique. Il importait à Jack Lang que la France ajoutât un fleuron inédit à sa longue tradition artistique. Ce sera la danse contemporaine. Les moyens furent donnés pour que se déploie une nouvelle génération de chorégraphes contemporains, une génération exceptionnelle en ce flamboyant début des années 80. Les Gallotta, Saporta, Chopinot, Découflé, Larrieu, Marin… En presque tout, néanmoins, Dominique Bagouet fut le premier. Il fonda le premier Centre chorégraphique régional (puis national) de danse contemporaine, installé à Montpellier, puis le Festival qui en naquit. Il fut le premier à imposer musique et vocabulaire chorégraphique contemporain. Le premier à attirer le grand public, à remplir des salles désireuses de découvertes, le premier à avoir une compagnie d’interprètes à plein temps, à former de futures générations de chorégraphes internationalement connus (Prejlocaj entre autres), le premier à léguer grâce à ses Carnets un répertoire contemporain. Transmettre un répertoire classique paraissait évident, mais on pensait cela impossible avec le contemporain. Il fut l’un des premiers à mettre une écrivaine qui lisait son texte sur scène, ce qui par la suite est devenu tout à fait banal. L’un des premiers à travailler avec des cinéastes (Charles Pick) pour faire des films avec ses propres danseurs à partir de ses pièces, le premier à créer des pièces pour d’autres compagnies que la sienne. Le premier aussi, à avoir créé une pièce contemporaine pour les danseurs, de formation classique comme il l’avait été lui-même, de l’Opéra de Paris (le GRCOP).

Et d’ailleurs, au moment de notre rencontre de mars 1988, s’il déjeune à la cantine de l’Opéra c’est précisément parce qu’il y répète avec le groupe de recherche contemporaine de l’Opéra, à l’invitation de la direction. Plusieurs de ses œuvres se trouvent aujourd’hui au répertoire de la troupe de l’Opéra. Il a été le pionnier et son œuvre s’est transmise, s’est déployée et a continué de rejoindre, avec une impérissable modernité, plusieurs strates de nouveaux publics, après sa disparition. Il est bien temps aujourd’hui de souligner combien sa création s’est transmise et a essaimé. Mais il y a autre chose. Derrière cet hommage au chorégraphe qui appartient à l’Histoire de la danse contemporaine se cache une autre histoire. Une histoire intime, secrète, une histoire derrière l’histoire. Une histoire qui m’a déterminée.

Lors de cette rencontre fortuite à la cantine de l’Opéra, nous ne parlons pas de danse. Il me félicite pour mon enfant, mon livre. Et qu’est-ce que je fais là ? J’ai rendez-vous avec mon éditrice et amie, et marraine de mon fils, lui dis-je. Et lui ? Il répète avec le GRCOP, mais ce n’est pas tout. Tu ne vas le croire, me dit-il. J’attends Hervé. Je me fige. Hervé. Je n’ai plus faim tout à coup. C’est fou, me dit-il. Je ne l’ai pas revu depuis longtemps et voilà que j’ai rendez-vous avec lui justement aujourd’hui, ici, et tu es là. Suis-je suis là vraiment ?

Retour quelques années auparavant, au point de départ. Mai 1981, je fête mon vingtième anniversaire. Je viens de rentrer de Londres où j’ai passé un an, j’étudie l’histoire à Jussieu, et je m’ennuie. Une nouvelle ère néanmoins se profile avec la victoire socialiste. J’y crois, moi aussi j’ai voté Mitterrand. Il y a une autre formidable nouveauté : les radios libres. Je veux en être. Je concocte un démo et me rends bille en tête dans une radio libre située derrière les Buttes Chaumont, Radio Gilda. J’ai entendu dire que cette radio était liée au Parti socialiste et je me dis que j’y trouverai une place. Un homme d’une quarantaine d’années me reçoit, écoute mon démo, m’intègre dans son équipe. Il se prénomme Hervé. Qu’est-ce que je vais faire ? Tout. J’apprends tout sur le tas avec une équipe de journaliste aguerris. Des reportages, des critiques, des billets, des chroniques, une émission sur l’Histoire des noirs, une autre en direct avec des détenues de la prison de Fresnes. Il y a une fille qui anime une émission de danse contemporaine. Ça m’intrigue. Je n’y connais rien, mais je l’écoute attentivement. Pour moi, la danse, c’est mes nuits au Palace et au Balajo et mes cours hebdomadaires avec Elsa Wolliaston. J’ai aussi un petit ami, Franck, qui étudie l’édition et fait de la radio lui aussi. Il interviewe de grands chanteurs populaires, Gainsbourg, Bashung… pour Radio Mégal’O, dans son studio perché dans la tour de la Porte-Maillot. Une époque formidable. Formidable, et je pèse mes mots. On vit un rêve éveillé. On ne voit rien se profiler à l’horizon, sinon une suite de lendemains qui chantent et qui jamais ne déchanteront. Croit-on. On était à fond dans la foi au début des années 80 à Paris, en France, jusqu’à ce que tout se déglingue.

Franck m’annonce qu’il part pour Montpellier, il a rencontré quelqu’un, quelqu’une à vrai dire. Qu’il mette brutalement fin à une jolie relation de quelques années, passe encore, mais Montpellier ? Pourquoi Montpellier, m’étonnais-je en bonne Parisienne très Paris centrée. Ça là que ça se passe, me dit-il, puis s’en va. On se verra quand tu viendras, ajoute-t-il, et je me demande bien pourquoi j’irais là. Pour des vacances peut-être ? En tout cas, je réponds aux avances insistantes d’Hervé et rapidement habite à mi-temps chez lui, rue Tiquetonne, à Beaubourg. J’adore le quartier et puis c’est bien plus proche de la fac, de la radio et de toutes mes activités diurnes et nocturnes. On me dit qu’il couche avec une autre fille de la radio, et d’autres sans doute, des hommes aussi, ça ne m’étonne pas. Je ne suis pas très amoureuse, mais je vis une formidable relation dans laquelle j’apprends continuellement des choses, découvre des horizons, rencontre des gens. Et puis Hervé est une personne intense, c’est peu dire. Pas vraiment beau, maigre, un peu voûté, mais un magnétisme indescriptible et inévitable. Une voix envoûtante. Professeur d’informatique aux CNAM, brillant, cultivé, l’esprit critique toujours aux aguets, sans merci. Qui joue du saxophone. Peint. Il est baba devant Jean-Hugues Anglade auquel il ressemble en plus vieux, même dégaine nerveuse, même débit, même regard laser. Il adore Chéreau et revoit L’Homme blessé tous les jours pendant plusieurs semaines. C’est sa blessure. Il a toujours voulu être comédien, être artiste, être reconnu comme artiste. Il souffre d’être un artiste un peu raté, marginal, méconnu. aurait tant voulu être un artiste reconnu comme tel. Moi j’écris. Il lit. Il m’encourage. Je continue. Tout le temps où je ne le vois pas, je lui écris.

Il commence bientôt à partir tous les week-ends. On est en 1983. Et où va-t-il ? À Montpellier ! Qu’est-ce qu’ils ont tous avec cette ville ? C’est la plage, la vieille ville, la vibe comme on dirait aujourd’hui ? C’est Bagouet, me dit-il, il est extraordinaire. Et quand Hervé dit de quelqu’un est extraordinaire… D’ordinaire personne ne passe à travers les mailles de son cynisme aiguisé. Je suis sans doute jalouse, là, pour le coup. Bagouet ? Je décide d’y aller voir. Je vais à Beaubourg et visionne les vidéos danse de Charles Pick. Alors ça a lieu. Il se produit quelque chose d’aussi inattendu que puissant : je tombe littéralement les pieds dans l’athanor de la danse contemporaine, amoureuse de la danse contemporaine que je découvre à travers les œuvres de Dominique Bagouet. Je veux en être. Dès lors, mon but est de devenir journaliste de danse. Dont acte. La relation avec Hervé se défait, rien de grave, on se voit sporadiquement, on reste amis-amants, comme ça se faisait tant à cette époque. Je m’installe non loin de chez lui, rue Chapon.

Été 1984, j’ai 23 ans, ma cousine et moi allons partir en Italie pour les vacances. Hervé m’appelle et me donne rendez-vous dans un café de l’esplanade de Beaubourg. Lui s’apprête à partir à Colombo, à Ceylan (actuel Sri Lanka). Il est embêté, mais il est obligé de me le dire. Il a une chaude-pisse. C’est pas mortel, me précise-t-il, il suffit d’aller voir le gynéco et de prendre des antibiotiques, c’est rien. Il insiste : c’est rien. C’est pas le sida, en tout cas, qu’on n’avait pas vu venir et qui commence ses ravages. Va voir le toubib et t’en fais pas, conclut-il, on se revoit à la rentrée.

Je m’exécute. Comme je pars trois jours après, le gynéco n’a pas le temps de faire faire des analyses et pour tuer toute bactérie, il me donne un antibiotique hyper puissant. Trois jours, et ça tuera, m’assure-t-il. Compris. Ma cousine et moi partons en Italie. Je prends les trois cachets. Une semaine plus tard débute un écoulement vaginal noir d’encre. Ça pue la mort, le cadavre en décomposition. Mon bas-ventre enfle, je ne peux plus marcher. Je rentre à Paris, de l’aéroport je vais direct à l’hôpital d’où je ne ressors pas. Double salpingite. Deux perfusions dans les bras, un sac de glace sur le ventre, un bombardement d’antibiotiques. Les médecins réservent leur pronostic, se tenant prêts à pratiquer une hystérectomie. Il faudrait faire un prélèvement pour analyser l’infection, mais on ne peut pas à cause de la virulence de l’infection. Il faudrait absolument que la personne qui m’a transmis cette infection fasse des tests, qu’on puisse nommer la bactérie. Les médecins soupçonnent une chlamydia sur laquelle le fameux antibiotique censé tout guérir produit à l’inverse une méga surinfection. J’appelle Hervé, dix fois. Le médecin l’appelle aussi, insiste. Hervé oublie. Il n’a pas le temps. Il promet, il ira demain, puis il oublie. Trois semaines se passent. Je finis par guérir. J’ai la peau sur les os, je ne tiens pas debout, mais j’ai guéri. On a évité l’hystérectomie. Le gynéco, désolé, doit pourtant me dire la vérité. À moins d’un miracle, je n’aurai pas d’enfants.

On est à l’automne 1984. Je sors de l’hôpital, prend un taxi, me rend directement rue Tiquetonne, chez Hervé. Il habite au sixième sans ascenseur, c’est à peine si j’ai la force de monter. Il me regarde, interloqué, sur le pas de la porte. La vache, la gueule que t’as, me dit-il. En venant le voir, je voulais discuter, mais là du coup, la fureur m’emporte. J’entre dans son appartement, la fenêtre est ouverte. Elle donne sur la rue. Un à un, je jette les meubles. Ils atterrissent dans la rue dans un fracas infernal. Hervé s’est assis sur une chaise. Les bras croisés, il me regarde sans bouger, sans dire mot dire. J’aperçois sur sa table la pile de lettres que je lui ai écrites. Je m’en empare et me met à les déchiqueter. C’est là qu’il bondit, m’arrache les feuilles des mains en hurlant que c’est à lui, que je n’ai pas le droit d’y toucher. Je me retourne et envoie un coup de poing sur son nez, qui se met à saigner. Va-t’en, me dit-il d’une voix cadavérique, les mâchoires serrées, le regard fou. Va-t’en ou j’te tue. Ben non, justement pas. Tu m’tue pas. Je pars sans me retourner. Je ne reverrai plus jamais Hervé. Quand je regarde cette scène aujourd’hui, je vois une très jeune femme qui se bat pour rester en vie. Cette chlamydia mortifère m’aura littéralement sauvé la vie. Je ne le saurai que plusieurs années plus tard.

Quelques années après, je ne sais plus quand, quelqu’un de ce milieu de la danse française qui est devenue mon univers me dit que Dominique a le sida et que c’est Hervé qui l’a contaminé. Je le reçois comme un violent coup dans le ventre. Je pleure, et je pleure, de tristesse, et de rage. Dans ma génération, il y a eu avant et après le sida. Tellement ont été emportés, des fleuves de cadavres squelettiques, stigmatisés de noir, et le milieu de la danse a payé un lourd tribu. Ceux qui ont surnagé l’ont-ils fait parce qu’ils ont été plus prudents, plus conscients ? Mais non. Ils ont surtout eu de la chance. Comme moi. Dominique n’aura pas eu cette chance. Lui qui depuis longtemps vivait en couple avec une femme, et avait une fille qui dansait dans sa compagnie après avoir dansé pour Gallotta, avait un jour croisé la route d’Hervé.

Jamais je n’en ai parlé avec Dominique. J’ai découvert, appris à connaître et adorer Montpellier, la ville, le festival surtout, tous les étés. J’ai fait plusieurs entrevues avec Dominique, des critiques de ses spectacles, j’ai eu avec lui des discussions professionnelles au cours desquelles nous ne parlions que de son travail, comme il se doit entre un chorégraphe et une journaliste. Il savait et savait que je savais. Je savais et savais qu’il savait, mais d’Hervé nous n’avons jamais parlé.

Jusqu’à cette rencontre de fin mars 1988, à la cantine de l’Opéra de Paris. C’était la première fois que je revoyais Hervé et c’est la seule fois où nous avons été en présence tous les trois, Dominique, Hervé et moi. Moi assise de biais, car mon ventre, que Dominique trouvait si beau, m’empêchait de m’asseoir de face, et eux deux, debout devant la table, blafards. Nous nous regardions, silencieux, de part et d’autre d’une ligne de vie invisible, mais bien étanche. Une ligne de vie qui tout à la fois unit et sépare. Mon amie éditrice se trouvait à table avec moi, elle se souvient très bien de cette scène, nous en avons reparlé récemment. Et comment, d’ailleurs, oublier pareille scène ? C’est le genre de scène que si tu l’écris dans un roman, on va te dire que tu exagères, que c’est invraisemblable. C’est le genre de scène orchestrée par un démiurge sadique trop conscient de son pouvoir.

J’ai eu un fils, puis un autre. Je suis devenue journaliste de danse, puis écrivaine. J’ai continué à danser avec la vie, sur cette ligne si fine entre visible et invisible. Après cette scène à la cantine de l’Opéra, je n’ai jamais revu ni Hervé ni Dominique. J’ai interviewé Dominique une dernière fois, par téléphone, je ne sais plus pour quelle raison, à l’automne 1992. Sa voix était éteinte, trouée de silences, mais je n’ai rien su lui dire. Il est mort quelques semaines plus tard. J’ai appris qu’après un séjour à l’hôpital, il était retourné dans son studio, avec ses danseurs, jusqu’au bout.

À bien y penser, j’ai plongé dans la danse contemporaine par les entrailles. Dominique Bagouet fut l’un des pionniers fondateurs de ce qu’est devenue la danse contemporaine française, et à sa suite, elle s’est un peu éteinte. Pour moi, il reste la genèse, la propédeutique de mon lien à la danse qui a influencé et façonné non seulement mon cheminement professionnel, mais sans doute mon être et ma vie. J’ai eu dès le départ ce lien viscéral, organique, avec la danse contemporaine. Mais comment autrement appréhender la danse ? Je me souviens de toute l’éducation du public qu’il fallait faire dans les années 80 (et toujours en vérité) parce que les gens disaient qu’ils « ne comprenaient rien », comme s’il était question de comprendre, comme s’il n’était pas question, au contraire, de la vivre. Cela renvoie à ce que m’a déjà dit Jean-Pierre Perreault (lui aussi disparu, comme Pina Bausch tiens… en un claquement de doigts), que la danse « ça vient du ventre et ça atteint au ventre, et certainement pas à la tête ». La danse c’est du corps, « mais le corps n’est pas qu’une organisation de chair » m’a déjà dit Édouard Lock.

La danse, tout comme la littérature, est une communion du silence (étymologiquement une communication par le silence) au même titre que Picasso le disait de la peinture. De toute cette histoire claire obscure, libidinale et métaphysique, il reste la danse. À vrai dire, toute cette histoire est une histoire de danse. L’essentiel, je crois, c’est que la danse, éphémère et fragile comme un geste unique, se transmette encore et toujours. En héritage.

À Saint-Élie-de-Caxton, loin, très loin de Montpellier et de la Méditerranée, le lac Plaisant commence à geler. Devant la fenêtre, je regarde l’eau se figer lentement, dans un ultime flamboiement de lumière. Bientôt, la glace sera opaque et la neige la recouvrira. On ne verra plus le fond.

https://ici-ccn.com/

www.lescarnetsbagouet.org

https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Bagouet

Vidéos des œuvres de Dominique Bagouet

https://www.numeridanse.tv/themas/expositions/collection-bagouet

Las OlasLe Pois Penché

Parisienne devenue Montréalaise en 1999, Aline Apostolska est journaliste culturelle ( Radio-Canada, La Presse… ) et romancière, passionnée par la découverte des autres et de l’ailleurs (Crédit photo: Martin Moreira). http://www.alineapostolska.com