Stéphane Dompierre, Un petit pas pour l’homme

Une photo en noir et blanc de Stéphane Dompiere, un homme portant des lunettes. Une photo en noir et blanc de Stéphane Dompiere, un homme portant des lunettes.
Premier roman sur les trentenaires, paru en 2005. Un petit pas pour l’homme, de Stéphane Dompierre, un roman culte (plus de 40,000 exemplaires vendus), maintenant en réédition.

En laissant sa copine, Daniel pensait se libérer de ses tourments et accéder à un monde sans angoisse. Vivre en célibataire. Combattre la solitude par tous les moyens. L’auteur est brillant sur tous les plans. Un vrai régal littéraire ! L’angoisse du jeune vendeur dans une boutique de disques, le gars chargé de testostérone et qui fait partie de ceux qui recherchent les nouvelles bébelles. Il est de son temps et à la recherche d’un appartement. Il sort pour s’acheter un « six pack » de Sleeman Dark. Il travaille, aime les meubles rétro, mange de la pizza. C’est aussi un grand lecteur, voire un érudit : Eduardo Mendoza, Fernand Montagne ou les poèmes de Rilke. Un sujet tabou : son énergie sexuelle assez omniprésente, mais la culpabilité s’installe, elle me manque. Elle est partie outrée depuis moins d’une minute et déjà elle me manque. Je m’ennuie d’une personne qui ne m’intéresse pas, c’est vraiment fascinant. La bêtise humaine est sans limites. (p49). Il peut observer la faune du Plateau : les « preppies« , les granos, les gothiques, les intellos. La boutique lui permet d’explorer le genre humain. Il crée son terrain de jeu.

La règle de l’auto-fiction s’inscrit dans une vague de l’écriture sur soi (autobiographique), tendance inaugurée en France par Emmanuel Carrère. Michel Houellebecq parle aussi du réel. La mondialisation bouffe carrément la décennie des années 2000 (ce livre a été un succès en 2005). Le libéralisme sauvage n’épargne pas celui qui est en mode intériorité. Le réel est une épreuve. Pour Stéphane Dompierre, le cynisme est une forme d’instrumentalisation. On a trop souvent tendance à ne pas organiser le chaos généralisé avec ses moments de déprime. L’insomnie, par exemple, mérite un minimum de planification. Si l’on souhaite s’y vautrer pleinement. (p69). Le narrateur est lucide, malgré ses pulsions sexuelles. Il se sent désœuvré, mais trentenaire du Plateau-Mont-Royal, il y a des démons à exorciser. On se plaît à l’entendre penser tout haut. Il se rappelle son adolescence : J’inventais des bandes dessinées dont le scénario, assez limité, consistait en quelques héros qui flinguaient des bandits. (p83). Il cherchera le plaisir par une rétrospective de Stanley Kubrick au Cinéma du Parc. Il se vantera d’avoir lu Nelly Arcand. Son obsession de la sexualité serait nécessaire, sujet abordé par Simone Weil.

Apprendre à vivre à 30 ans ? En lisant ce petit roman, on apprend du narrateur que dans cet ennui de vivre, se cache parfois un certain plaisir. On y notera cette citation de Bukowski comme un résumé de sa vie imparfaite : Elle est mon côté sombre, ma toxine, la muse qui m’assassine. (p215).

Notes

1.J’ai pensé à Soumission, de Michel Houellebeck, où le narrateur se perd dans un état affectif. Il y a de l’errance, une forme de cynisme, et la chute vers la folie d’une simple survie. Si le monde paraît superficiel, sans loi du karma, il y a ce désir de vivre sa vie dans les méandres et les rouages de l’existence humaine. Une sorte de fable morale. Soumission, Livre de poche, 2016).

2.Stéphane Dompierre est écrivain, scénariste, éditeur, chroniqueur. Il est l’auteur de six romans à succès. Son plus récent, Marcher sur un Lego, est une forme d’autobiographie.

3.Stéphane Dompierre, Un petit pas pour l’homme, Éditions Québec Amérique, 2019.

Le Pois PenchéMains Libres

Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com