Invitation au concert du baryton montréalais Pierre Rancourt

Un homme vêtu d'une veste bleue sourit dans un bureau tout en écoutant de la musique classique. Un homme vêtu d'une veste bleue sourit dans un bureau tout en écoutant de la musique classique.

Pour le moins éclectique est le parcours du baryton Pierre Rancourt  ! De l’opéra au concert solo, du récital de musique de chambre à la musique traditionnelle canadienne, sa carrière s’est bien affirmée d’année en année, ici comme à l’international.


Alors, hélas ! comme la quasi-totalité des artistes de scène et de spectacle vivant, ses projets ont été stoppés en plein vol à partir de la mi-mars 2020, alors que l’année 2020 s’annonçait remplie et marquante avec, notamment, la sortie de son premier disque dont le lancement aura finalement lieu le 25 septembre au Conservatoire de Musique de Montréal.  
Ici, en prime, en guise de cadeau au lecteurs mélomanes de La Métropole, un lien pour assister en ligne au concert de lancement de son premier disque 

Vendredi 25 septembre prochain, 19h30:  http://livetoune.com/descarries-lancementcd/

Une belle occasion de le rencontrer :

  • Dans votre premier disque comme baryton (avec le Trio Hochelaga sous étiquette Atma Classique) vous proposez une redécouverte du compositeur montréalais Auguste Descarries. Pourquoi ce choix?

Jusqu’à tout récemment, l’œuvre de Descarries était complètement inconnue des musiciens et du public, et pourtant c’est une véritable mine d’or. Le langage harmonique, en particulier, témoigne d’une sensibilité et d’une audace tout à fait uniques. Mais ce qui rend Descarries irrésistible, selon moi, c’est le souffle romantique qui porte ses mélodies. C’est ce qui m’est apparu en 2015, alors que je me préparais à en présenter quelques-unes pour le concours organisé par l’Association pour la diffusion de la musique d’Auguste Descarries (ADMAD) – concours dont j’ai remporté le Premier prix. C’est ce qui a marqué le début d’une belle collaboration avec l’Association et m’a mené à faire mes débuts comme soliste à la Salle Bourgie en 2017. Le succès du  récital donné nous a encouragés à inclure les mélodies de Descarries, dont plusieurs inédites, sur un album de musique de chambre déjà projeté avec le Trio Hochelaga.

  • Quelles sont les spécificités que vous souhaitiez apporter à cet enregistrement et que souhaitiez-vous transmettre au public ?

Dans l’interprétation, j’ai voulu traiter cette musique avec le même respect que celui qu’on a en abordant Gounod, Fauré, Debussy ou Tchaïkovsky (tous des compositeurs qui ont une certaine parenté avec Descarries). J’avais constamment dans le cœur une grande fierté : l’œuvre devant laquelle j’étais, cette œuvre exquise à bien des égards, c’était celle d’un compatriote! C’est cette fierté que j’ai voulu transmettre au public. Particulièrement touchant était l’enregistrement d’À la claire fontaine : la Salle de concert du Conservatoire de musique de Montréal, où avait lieu la captation, était vide… et pourtant je me sentais en présence d’une grande multitude, comme si je devenais la voix de l’âme d’un peuple. Il me semblait entendre, en particulier, le rire de mon amie la regrettée Anne-Marie Trahan, qui adorait cette mélodie; j’entendais la voix de ma mère aussi, bien sûr. J’aime penser que les auditeurs pourront sentir quelque chose de similaire.

Pochette de disque

  • Le lancement prévu en avril aura lieu le 25 septembre prochain, cela doit vous soulager quand même ?

Oui! Tout à fait. Le récital de lancement était prévu le 3 avril dernier, et même s’il a forcément dû être annulé, ATMA Classique a décidé d’aller de l’avant avec le lancement du disque sur ses différentes plateformes à cette date. Les commentaires des critiques et du public m’ont apporté un réconfort plus qu’apprécié en ces temps difficiles. Que le récital de lancement puisse lui aussi avoir lieu, même avec un public réduit ou présent de façon virtuelle, est un autre cadeau inestimable en ces temps qui demeurent extrêmement précaires pour tous les artistes de la scène. On peut dire que chaque projet qui fonctionne par les temps qui courent est une véritable « planche de salut » artistique!

  • Comment avez-vous vécu cette pandémie et quel impact a-t-elle eu pour vous ? 

Avec le recul, je réalise la violence qu’a représenté cet arrêt soudain, cette destruction simultanée de tant de projets. Mais sur le coup, j’étais trop occupé à gérer les changements qu’imposait la situation, je ne m’en suis donc rendu compte qu’en partie, il me semble. J’ai quand même senti tout ce qu’ont probablement senti plusieurs de mes collègues : incrédulité, deuil, solitude existentielle, incertitude, découragement… Mais d’un autre côté, j’ai trouvé des avantages à la situation : il est extrêmement intéressant pour un artiste de décrocher et de prendre un recul, et ma carrière de ces dernières années ne m’en donnait plus le temps. J’ai pris le temps d’être avec ceux que j’aime, de me rapprocher de mes enfants. Et maintenant, chaque activité artistique ou créatrice prend une importance vitale, nouvelle, profonde.

 Temps libre imposé ne signifie pas instantanément créativité, avez-vous pu en «profiter» pour travailler sur d’autres projets ou pas ?

Vraiment pas : un confinement avec trois jeunes enfants en permanence à la maison n’est pas tout à fait synonyme de « temps libre »! 

  • Au-delà de cette situation malheureuse, vous avez eu un parcours fulgurant et éclectique, grâce à votre voix qu’on dit exceptionnelle, mais aussi je suppose grâce à vos choix et l’orientation que vous avez menée. Quels ont été vos inspirateurs ou mentors, et comment avez-vous bâti votre parcours jusqu’ici ?

Je ne pense pas avoir eu un parcours fulgurant, je me considère plutôt comme une personne assez lente dans son mûrissement et avec une trajectoire plus proche de celle du papillon que de la fusée! Le premier mentor que j’ai eu, c’était un prof de français de mon école secondaire. Il pilotait le journal étudiant dans lequel je me suis enrôlé. Il a su déceler l’amour des mots, de la beauté et de la poésie chez ce grand timide que j’étais, ouvrant la porte du monde des arts à mon inextinguible soif de dire et à ma grande sensibilité. Rapidement, il est devenu clair que l’art devait occuper le centre de mes activités, mais durant la quinzaine d’années qui ont suivi je me suis borné à dévier sans cesse ma trajectoire au gré des commentaires et des conseils de chacun. Je n’avais pas trouvé de modèle ni senti d’appel social clair, donc j’explorais. Je suis donc allé des sciences à la guitare classique, puis au travail humanitaire, à l’enseignement, à la militance environnementale, à l’écriture, à l’entrepreneuriat… C’est ainsi que j’ai bâti des capacités dans bien des domaines, comme on ajoute des ingrédients à une soupe… Il y a pourtant quelque chose d’un peu angoissant à ne pas savoir clairement ce que goûtera le résultat final! Le contact avec la voix chantée a été salutaire : le chant m’a fait passer enfin de la timidité à l’affirmation, et il s’est trouvé réunir tant de mes intérêts (langues et cultures, histoire, psychologie, physiologie, contact humain, poésie et littérature) qu’il m’est devenu vital.

Durant les 10 dernières années, j’ai senti que l’action sociale m’est devenue tout aussi essentielle. J’ai besoin de sentir que je participe à quelque chose de plus grand que moi. Ici je dois reconnaître l’influence de Chantal Lambert, la directrice de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, et celle de Pierre Vachon, directeur de l’Action sociale et éducative pour l’Opéra de Montréal. Tous deux ont senti cette dimension chez moi, et ils m’ont donné de nombreuses occasions de l’expérimenter. Pour le reste, je choisis mes projets en fonction du plaisir artistique qu’ils peuvent me procurer (bien égoïstement je l’avoue), mais aussi en fonction de leur valeur humaine, sociale et identitaire.

La scène montréalaise de la grande musique est-elle pour vous toujours aussi remarquable et pourquoi ? 

Elle l’est, mais pourrait l’être davantage. Elle l’est par le foisonnement des cultures qui l’influencent. Elle l’est par la force de ses grandes institutions, mais aussi par la multitude d’initiatives plus petites ou expérimentales. Elle l’est par la quantité et la qualité de nos artistes, qui rayonnent à l’international et assurent l’aller-retour entre Montréal et le monde. Elle l’est par un financement public et un réseau de diffusion municipal qui, à ma connaissance, n’ont pas leur pareil de ce côté-ci de l’Atlantique. Mais elle pourrait l’être davantage, oui, surtout si on s’inspire de ce qui se fait ailleurs. J’ai gardé un souvenir marquant de mon année d’études à Berlin. La quantité de spectacles et de spectateurs témoignaient d’une « culture de la culture » bien différente, dans laquelle le récital et le concert semblaient attirer un public souvent plus jeune, plus assidu. Pourquoi? Je pense que c’est en partie parce que là-bas, l’art est reconnu davantage comme un acteur social, un vecteur d’idées. Le concert n’est pas seulement divertissement, il est souvent lieu de polémiques. La grande musique gagne à s’associer à la discussion sur des sujets d’actualité, et à sortir du cadre « muséal » dans lequel on l’a souvent cantonnée.

  • On dit le public montréalais averti, qu’en pensez-vous, surtout si vous le comparez à d’autres publics que votre carrière internationale vous a permis de connaître ?

J’aimerais me flatter d’avoir une expérience de scène internationale qui me permette de mieux en juger, mais en réalité mes choix de carrière m’ont mené à une carrière locale avant tout. Cela dit, j’ai bien eu quelques expériences, et d’après ce que j’ai pu percevoir, le bassin de personnes qui peuvent venir voir un opéra, par exemple, est peut-être moins important ici qu’ailleurs, mais l’accueil est toujours chaleureux, souvent enthousiaste. C’est notre côté latin, j’imagine!

  • Quels sont vos projets à moyen et long terme ? Un rêve professionnel de longue haleine ?

En ce moment je suis en train de créer un organisme qui me permettra de m’investir plus à fond dans la création de spectacles et d’autres activités artistiques et éducatives. Mon rêve est de mener de front une carrière d’interprète et de créateur, en espérant que ma contribution fasse une différence dans la société. Et puis, j’aimerais me remettre à voyager — quand la pandémie le permettra! Entre autres, j’ai un spectacle de tango que j’aimerais beaucoup présenter en Argentine et en Uruguay dans les prochaines années. J’ai le rêve que les spectacles que je créerai puissent bâtir des ponts avec d’autres cultures pour embrasser cette terre dans toute sa grandeur et sa diversité.

Photo principale Pierre Rancourt. Crédit :Tora Chirila

Site : https://www.pierrerancourt.com/

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Parisienne devenue Montréalaise en 1999, Aline Apostolska est journaliste culturelle ( Radio-Canada, La Presse… ) et romancière, passionnée par la découverte des autres et de l’ailleurs (Crédit photo: Martin Moreira). http://www.alineapostolska.com