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Introduction à la philosophie spirituelle. (Texte no. 2)

Lorsqu’un corps admiré provoque de l’émoi, c’est que son image éveille un « souvenir » inné. Celui qui se « souvient » ignore généralement ce qui est en train de se passer et, en suivant son seul instinct, fixe d’abord son attention sur ce corps. Mais, par une bouleversante expérience, l’être humain peut prendre conscience du caractère immatériel de la beauté aperçue et expérimenter l’amour de la Beauté elle-même, sur laquelle ni la mauvaise fortune ni l’injure du temps n’ont de prise. Alors que le désir charnel est dirigé vers le corps, un autre niveau de l’amour interpelle l’âme. Contrairement à la pornographie, qui vise à soulager et à éteindre le feu du désir, l’érotisme transforme celui-ci de par la conjonction de deux réminiscences : celle de la beauté idéale à partir d’une image corporelle, et celle de l’image divine telle qu’elle se présente en l’âme. La cause profonde du grand amour, irréductible au seul instinct, est le souvenir de la Beauté, où l’amoureux voit en l’autre son propre « Idéal », son Soi authentique. Ainsi, nous pouvons nous connaître nous-mêmes en découvrant la meilleure partie de l’âme d’autrui, qui devient alors une sorte de miroir de l’invisible. En définitive, l’éros n’a pour véritable objet ni le corps ni l’âme de la personne aimée, mais « l’Idéal », senti intensément comme présence et énergie. Contrairement à l’idéalisme moderne, selon lequel les connaissances a priori correspondent seulement aux structures subjectives de la raison, sans lien avec une réalité considérée seulement comme une immensité indéfinie, la doctrine platonicienne de la réminiscence implique la conviction d’une parenté entre la nature de l’intelligence humaine et la Forme du Cosmos, celle-ci étant qualitativement « formatée » par une mystérieuse présence. La théorie de la réminiscence ne pose donc pas une subjectivité gnoséologique jetée sur une réalité sans commune mesure avec elle, ni une objectivité où l’objet connu se détache du sujet de la connaissance, mais propose une ouverture et l’accueil de cela qui cause une inextinguible soif. Ainsi, au cœur même de l’expérience passionnelle en ce qu’elle a de plus intense, de plus bouleversante, et dès lors initiatique, émerge le souvenir du « Soi idéal », pour reprendre l’expression de Jung, du divin, participable dans ses énergies.

En faisant écho à Platon, pour qui « le temps est l’image mobile de l’éternité », nous pouvons penser l’immensité spatiale comme l’image apparente de l’Infini, et les instants vécus intensément comme la vibration d’un éternel présent. Le rapport entre le quantitatif et le qualitatif échappe à la science, car celle-ci doit s’en tenir à ce qui est observable et objectivable. Comme la connaissance intégrale de quelque chose est impossible sans connaître le tout dont cette chose fait partie, et qu’il est impossible d’observer la totalité de ce dont les choses font partie, nous devons admettre que, au plus profond des choses, nous ne connaissons rien du tout. Le « non savoir » conscient à propos des questions fondamentales est une condition préalable à un élargissement de la conscience et à l’accession à l’autoconscience, qui est un état de l’intelligence aussi étonnant que le soulèvement d’une chaise par qui est debout dessus. Comme l’enfant de la légende qui voulait transvaser dans un petit trou de sable toute l’eau s’étant écoulée dans une rivière, nous pouvons cultiver l’illusion que la science va finir par donner toutes les réponses, même si c’est dans un horizon imprévisible. Bien que l’hypothèse d’un monde sans Unité intelligible semble elle-même inintelligible, force est d’admettre que cette Unité n’est ni observable ni objectivable, donc inaccessible à la science. La connaissance « unifiante » est d’ordre existentiel et le « non-savoir savant » est un préalable à un état d’ouverture et d’accueil, par ailleurs impossible sans la participation à un « Tout Autre » dont l’être humain a perdu la ressemblance, mais conservé l’Image.

À propos des questions fondamentales, les tentatives d’objectiver la réalité vont toujours placer l’intelligence devant des impasses. Certains prétendent que l’universel peut être atteint par l’accumulation d’expériences objectives semblables et l’abstraction de leurs particularités, mais les penseurs spirituels considèrent plutôt l’universel comme étant toujours présent, dans une mystérieuse unité ontologique. La mémoire ordinaire, celle qui retient les événements particuliers, disparaît avec la mort. Elle est la sauvegarde de la perception et de la transmission des savoirs objectifs. Mais la réminiscence, consistant en la réappropriation d’une lumière présente en notre âme, mais d’abord perdue dans des strates inconscientes, est favorisée par des événements intenses où le monde des phénomènes et la réalité intelligible se compénètrent. Sans une expérience existentielle tendue vers l’unité, l’esprit se perd dans des oppositions sans fin, comme dans un labyrinthe de miroirs. Par exemple, il est logiquement impossible d’envisager de « sortir » du Cosmos, tout comme les voiliers des découvreurs de l’Amérique ne risquaient pas de tomber aux confins de la Terre. L’hypothèse selon laquelle les choses seraient contenues dans « du rien » est scientifiquement insoutenable, tout autant que celle voulant qu’elles s’étendent sans limites : les avancées récentes de la science tendent plutôt à montrer qu’il y a du vide et du plein partout, même l’atome est plein de vide, et le vide présente toujours des « probabilités de présence » quantiques. Fondée sur des témoignages, en tension vers une mystérieuse unité, la philosophie spirituelle n’a pas de prétentions scientifiques, mais elle ne contredit pas la science sur son plan. Pas davantage, ne se base-t-elle que sur des religions aux prétentions d’objectivité. Incidemment, si Platon a fait appel aux mystères orphiques, ce fut essentiellement pour favoriser l’élargissement des vues de certains néophytes. C’est pourquoi, en épilogue au Phédon, il prévient qu’un homme intelligent ne doit pas prendre tous ses propos à la lettre. En langage d’aujourd’hui, cela revient à dire qu’il ne faut pas confondre un discours mythique (avec ses aspects poétiques et symboliques) et un discours portant sur des faits. Mircea Eliade a été un des premiers à enrichir le sens du mot « mythe ». Naguère, principalement à cause du combat des chrétiens contre la mythologie grecque, le mythe était compris seulement comme une histoire fausse. Aujourd’hui, il signifie aussi une tradition sacrée, une révélation primordiale et un modèle exemplaire (un archè). En racontant une histoire sacrée qui a eu lieu dans un temps primordial, les mythes fournissent symboliquement un sens au monde, une valeur à l’existence et des modèles de comportement. Depuis Jung, nous parlons de la dimension existentielle des archétypes, mais déjà, chez Platon, les Idées sont des Images premières, des Archès, des Principes primordiaux dotés d’une dimension énergétique qui trament notre conscience perceptive : ils confèrent un sens au monde sensible tel que nous le percevons.

D’où vient ce sentiment, appelé Érôs par les Grecs, qui tantôt précipite dans une passion destructrice et tantôt, à l’occasion d’une initiation libératrice, élève vers la révélation du Soi ? Que sont cette vision et cette énergie qui donnent le sentiment très net d’être en contact avec le noyau de l’être ? Jung considérait la sexualité au-delà de sa signification individuelle et de sa fonction biologique. Il a personnellement vécu une expérience amoureuse qui l’a convaincu comme jamais auparavant de l’existence dans l’inconscient d’une force capable de changer un destin apparemment inéluctable. Il lui a fallu rendre conscient le sens profond de la relation à l’origine de la grande passion dont il fit l’expérience, car autrement il aurait été submergé par les expressions obscures de l’instinct. Alors que nos constructions mentales ne sont souvent que des agglomérats de mots d’où ne sort rien de plus que ce que nous y avons mis, nous sommes habités par de grandes images primitives qui remplissent inconsciemment les profondeurs de notre âme. Jung en est arrivé à la conviction que la vie n’était possible dans sa plénitude qu’en harmonisant notre pensée avec les images premières de l’inconscient, avec les archétypes. Notre existence quotidienne met en scène une réalité qui dépasse de beaucoup les limites de la conscience ordinaire. « Plus nous sommes aptes à rendre conscient ce qui est inconscient, insiste Jung, plus grande est la quantité de vie que nous intégrons ». Comme Platon, le célèbre psychanalyste pense que la structure de base de la réalité ne se situe pas au niveau de la strate matérielle observable de l’Univers, mais à un niveau intangible que seule notre sensibilité spirituelle peut appréhender. Il a été influencé par Paracelse qui enseignait que de même qu’il y a une essence dans la poire qui lui enseigne comment être une poire et non une pomme, il y a dans l’âme humaine des « modèles idéals », des archétypes, qui permettent à l’être humain (microcosme) « d’être participé » par l’Univers (le Macrocosme), et l’orientent sur le chemin de l’humanisation. Les archétypes habitent l’âme dans un rapport mystérieux avec la totalité cosmique. Ils permettent de nommer et de qualifier la réalité aperçue, sans toutefois empêcher la contamination par des croyances acquises. Le propre d’un archétype est d’être inné, commun à tous et d’agir sur plusieurs plans sans qu’il soit nécessaire d’en être conscients, mais dont la prise de conscience favorise la transmutation de l’ego.

Ce conte, inspiré de la tradition soufie, illustre la différence entre une démarche initiatique et un moralisme normatif aux prétentions d’objectivité. Il y a très longtemps, un saint homme était resté en retraite pendant quarante ans à faire pénitence. Doté d’une grande volonté, il avait de surcroît les avantages de la notoriété. Un jour, il se mit à faire à répétition un rêve troublant : il allait faire un voyage où il allait adorer une idole. Bien qu’il pressentît que ce voyage allait lui causer des problèmes, il décida quand même de l’entreprendre avec une centaine de disciples. D’aventure, le groupe rencontra une femme qui avait la réputation de posséder des facultés contemplatives. La grande beauté de cette dame avait troublé bien des hommes. Contre toute attente, le saint homme n’y échappa pas : un amour passionné envahit son cœur. Il n’avait jamais connu un tel bouleversement ni une telle douleur. Bientôt, il fut déterminé à tout faire, quitte à sacrifier sa réputation, pour gagner les faveurs de la belle. Les disciples, affolés, ne tarirent pas de conseils et d’exhortations. L’un d’eux dit : « Ô saint vieillard, si tu as péché, repens t’en sans retard. » À quoi celui-ci répondit : « Je me repens d’avoir suivi la loi à force de volonté, je veux quitter la position absurde où j’étais. » Un autre : « Quiconque est intelligent te dira que tu t’es égaré. » Il rétorqua : « Je m’embarrasse peu de ce qu’on pourra dire. J’ai fait éclater la fiole de l’hypocrisie. » Un autre encore : « Crains Dieu, et rends-lui l’honneur qui lui est dû. » Il répliqua : « Ce feu que Dieu a jeté dans mon cœur, je ne puis m’en détourner inconsidérément. » Il refusa obstinément de se réajuster à la norme. Il courtisa la jeune femme et, pour lui plaire, se plia à toutes ses exigences, y compris de consacrer ses temps libres à garder les pourceaux de son père. Or, après une année entière, ayant perdu la face en même temps que ses amis, le vieil homme fut enfin libéré du voile l’ayant conduit à tant de conflits et tant de souffrances. Plein de reconnaissance, le regard transfiguré par la contemplation de l’immortelle Beauté, sa volonté allait désormais être embrasée par un puissant amour.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Le Pois PenchéMains Libres

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.